Le cinéma regorge de ces films censurés, traficotés et parfois perdus dans des caves souterraines où la lumière de la pellicule est restée de marbre. Cet été, retrouvez chaque semaine notre feuilleton sur ces films qui continuent de susciter des mystères et dont les histoires tristes et rocambolesques démontrent qu'il est toujours possible, en 2012, de croire en l'innocence du 7e art.
Dans les années 80, lors d'une conférence de presse, un journaliste questionna Jerry Lewis, comédien et réalisateur américain, sur l'état des lieux de son film, le très mystérieux The Day the Clown Cried (Le jour où le clown pleura). Celui-ci lui répondra sèchement : «Ce ne sont pas vos affaires !» Lewis ne veut plus entendre parler de cette entreprise qui le ruina moralement et financièrement, qui le placarda contre un mur de lamentations et finalement donna au cinéma l'une de ses 'uvres les plus intrigantes qui soient. Nous sommes en 1972, Lewis est adulé en France et sévèrement critiqué chez lui (films benêts pour les Américains, chefs-d''uvre mélancoliques pour les Français), même s'il continuait de conserver une solide réputation d'entertainer dans son pays natal (il fut celui qui lança les fameuses 'uvres de charité dans la petite lucarne dont le Téléthon fut son apanage).
Un jour, à l'issue d'une représentation à l'Olympia de Paris, il se voit proposer par le producteur Nathan Wachsberger de mettre en chantier une adaptation d'un bouquin sur l'histoire d'un clown durant la Seconde Guerre mondiale et dont le destin allait côtoyer la communauté juive dans un camp d'extermination. Lewis est sceptique, mais il rêve d'une chose, d'être enfin reconnu par les professionnels du cinéma US, et se lance forcément dans l'entreprise en qualité de réalisateur et surtout de comédien. La suite allait devenir aussi torturée que le tournage d'Apocalypse Now (Francis Ford Coppola), sept ans plus tard. Que s'est-il réellement passé pour que ce film entièrement tourné et monté n'ait jamais profité d'une correcte distribution dans les salles de cinéma '
Amphétamines
D'abord un producteur assez louche qui, par un truchement lié à un revirement de bord, décida de se retirer de l'affaire alors qu'il n'avait pas transféré la totalité des financements. Il voulait voir ce clown allemand, alcoolique notoire, nommé Helmut Doork, surnommé Helmut le Grand, et qui, par un concours de circonstances, se retrouvera dans un camp de la mort pour mener les enfants vers les douches tout en les amusant de ses gags visuels. Frisson qui parcourt l'échine surtout quand on connaît la séquence finale présentant un Jerry Lewis habillé en clown, jouant de sa flûte, suivi de centaines de petiots vers une mort certaine. Mélo ou comédie ' Nous ne le saurons jamais. Puis d'autres problèmes vinrent obscurcir ce tableau cinématographique. Lewis perd 17 kilos, se bourre d'amphétamines et doit sans cesse remanier le script tout en tournant entre Paris et la Suède. Et l'argent dans tout cela ' Impossible d'obtenir les financements pour la post-production, pour l'équipe, pour tout en somme. On raconte que la plupart des comédiens acceptèrent de travailler bénévolement. On raconte aussi que Lewis dut payer de sa poche pour venir à bout de ses créanciers.
Coffre
Et le film dans tout ça ' Il existe bel et bien mais sous différents aspects. Harry Shearer, acteur du film, fut l'une des rares personnes à l'avoir vu et ne cacha jamais son scepticisme devant une 'uvre totalement imparfaite, voire mauvaise : «Ce film est considérablement mauvais. Sa pathologie et sa comédie sont si grandement mal placées que nous ne pouvons pas, dans notre fantasme de ce que ça aurait pu être, améliorer ce qu'il est réellement. Tout ce que nous pouvons dire c'est : Oh mon Dieu !» Finalement, et ce pour des questions de droits, le studio de Wachsberger conserva les négatifs alors que Lewis eut le temps de s'approprier le montage brut et d'avoir en sa possession une cassette qu'il dissimula. Quant aux négatifs, et après maintes rumeurs qu'ils soient tirés pour une éventuelle distribution, ils restent enfermés à ce jour dans un coffre jalousement gardé. En 2012, Jerry Lewis continue de penser que ce film sortira un jour ne serait-ce que pour «les enfants du monde qui ont entendu parler de cette chose qu'est l'holocauste».
A suivre donc'
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Posté Le : 20/07/2012
Posté par : presse-algerie
Ecrit par : Samir Ardjoum
Source : www.elwatan.com