Dans son spectacle Tous les Algériens sont des mécaniciens, Fellag abordait la débrouille mécanique et sa mythologie populaire. Il révélait ainsi un décalage de son inspiration avec une nouvelle réalité nationale fleurie de showrooms et services après-vente de toutes les marques autos du monde. L'artiste, qui revient assez régulièrement au pays, ne pouvait ignorer ces changements. Mais il fait partie de ces créateurs qui ont besoin de saisir directement les aberrations de leurs compatriotes, de humer le même air qu'eux, de partager leur quotidien. Aussi, c'est dans l'Algérie antérieure à son départ, début 1994, qu'il a surtout puisé la chair de ses spectacles.Nombre d'artistes et d'écrivains «exilés» ont vécu ou vivent cette sorte de jet-lag symbolique. A un moment, leur nouvelle vie prend le pas sur l'ancienne et le «là-bas» devient pour eux un «ici». Plusieurs s'entêtent à travailler sur un stock de souvenirs qui s'amenuise plus ou moins vite. Certains aussi sont taraudés par une mauvaise conscience de leur départ et n'osent aller vers d'autres sources. Et la plupart, enfermés dans l'étiquette de «créateur algérien», formatée par leurs producteurs et portée par leurs publics, craignent, sans «couleur locale», de perdre toute audience. Dans l'interview accordée à Montréal à notre confrère Samir Ben (El Watan, 24/11/16), Fellag fait preuve de lucidité et d'une belle franchise. Sur son prochain opus, Bled Runner, il déclare : «Je boucle les histoires algériennes, toutes les valises d'histoires et de fantaisies que j'ai prises avec moi en m'arrachant du pays.»Quel rapport entre les ?uvres et le pays de leurs auteurs ' En fait, la thématique et son lieu importent moins que l'expression et le style. N'est pas moins algérien celui qui traite d'autres situations que celles de son lieu d'origine. Mohamed Dib a bien produit une trilogie scandinave, trois romans d'une royale beauté, qui honorent la littérature algérienne. L'écriture d'Anouar Benmalek a arpenté la Tasmanie, puis la Namibie. Amara Lakhous a eu le génie d'écrire en italien des histoires romaines. Récemment, Waciny Laredj a pisté Casanova au XVIIIe siècle, tandis que Yasmina Khadra a porté sa plume à La Havane.On trouve aujourd'hui des Algériens dans toutes les parties du monde, même les plus insoupçonnables. Ceux qui sont restés au pays sont de plus en plus branchés. Malgré tant d'obstacles, l'Algérien se mondialise, faute de toujours s'universaliser. En détournant le titre du film de Ridley Scott, Blade Runner, Fellag nous prépare un «coureur du bled». C'est lui. C'est nous. Ce sont les comédiens de Alloula courant sur scène. C'est la course algéroise, car nous courons depuis des siècles. Fellag répondra peut-être à la question-titre du roman de science-fiction de Philip K. Dick qui a inspiré le film Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ' Une question qui nous concerne, je vous assure.
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Posté Le : 24/12/2016
Posté par : presse-algerie
Ecrit par : Ameziane Ferhani
Source : www.elwatan.com