Algérie

Le guépard saharien fait l’objet d’un grand projet d’étude et de conservation: Un emblème et une chance pour l’Algérie



Le guépard saharien fait l’objet d’un grand projet d’étude et de conservation: Un emblème et une chance pour l’Algérie


L’espèce est en danger critique d’extinction à cause de la réduction drastique de ses effectifs. Il ne resterait plus que près de 200 individus répartis sur l’Algérie, le Mali et le Niger. Sa survie dépend de la durabilité de ses habitats naturels et d’un plan de conservation intégrée impliquant les populations locales. Des caméras pièges placées à des endroits stratégiques ont encore donné des preuves de sa présence.

«Nous avons la chance d’avoir le guépard, c’est une espèce emblématique et particulière à nos territoires», dit Salah Amokrane.

Le guépard, la grande star de l’Ahaggar, est un animal farouche, insaisissable, fantôme tacheté se confondant parfaitement avec les paysages rocailleux des immensités désertiques que l’on imagine fondre sur ses proies à 113 km/heure. Le soir, au coin du feu, sous la voûte céleste du Tassili qui scintille de milliards d’étoiles, les Touareg évoquent souvent cette légende vivante que les bergères et les grands voyageurs ont quelquefois la chance d’apercevoir tel un mirage.

Mieux que le guépard saharien, l’Algérie a la chance de posséder l’un des plus vastes et des plus beaux déserts du monde pour le lui offrir comme habitat. Ces immenses territoires qui comprennent le complexe de l’Ahaggar et du Tassili n’Ajjer ont été divisés et organisés en parcs culturels afin de mieux valoriser et préserver la biodiversité de leurs richesses naturelles et sauvegarder le patrimoine culturel qu’ils renferment.

«Le parc culturel est une spécificité algérienne. La gestion indissociable du culturel et du naturel, dans les territoires du Sud, se vérifie tous les jours. Nature et culture se mélangent depuis la préhistoire. Cette notion d’interdépendance nous permet d’aller vers une gestion intégrée des aspects nature et culture et nous permet d’allier également le suivi des deux thématiques», estime Salah Amokrane, archéologue, conservateur en chef du patrimoine culturel, directeur national du projet conservation de la biodiversité d’intérêt mondial dans le réseau parcs culturels en Algérie, cadre depuis 1996 au parc de l’Ahaggar et actuel coordinateur pour la coopération internationale avec le PNUD-GEF.

«L’Ahaggar, ce sont 630.000 km2 et le Tassili n’Ajjer 138.000 km2. Site mixte, culturel et naturel, le Tassili est classé patrimoine mondial de l’humanité et réserve de la biosphère mondiale depuis 1987. Ce n’est pas tout, on peut y lire l’histoire de l’évolution humaine comme dans un livre ouvert. L’histoire naturelle et culturelle de l’humanité défile sur 12.000 ans», estime Salah Amokrane.

Sur ces immenses territoires, plusieurs découvertes de stations de gravures rupestres, comme Aguennar, ont été faites. Plusieurs monuments funéraires et de grands ensembles témoignent de l’antériorité de la présence humaine.

. Une biodiversité d’intérêt mondial

En 2005 et 2009, ces deux parcs ont bénéficié d’un premier projet de conservation des deux parcs financé par le Fonds de l’environnement mondial. «Suite à la réussite de ce premier projet, l’Algérie en a proposé un deuxième. Entre-temps, nous avons étendu ce réseau de parcs par la création de trois autres ensembles: le Touat-Tidikelt, le Tindouf et l’Atlas Saharien», raconte Salah Amokrane qui estime que les instances internationales financent ce qui a une valeur mondiale en matière de biodiversité. «Cela porte aussi bien sur la faune et la flore que sur le patrimoine culturel des millions de peintures et de gravures rupestres ainsi que des monuments funéraires vieux de plusieurs dizaines de milliers d’années. L’intérêt mondial, ce sont aussi les zones humides classées mondialement d’Iherir dans le Tassili et d’Afilal dans le circuit de l’Atakor», dit-il encore. Le projet a deux niveaux, explique notre interlocuteur. Au premier niveau, il faut mettre en place un schéma d’orientation générale des parcs avec des textes de lois qui encadrent leur gestion. Au deuxième niveau, c’est la gestion conservatoire des sites dont il est question avec la mise en place d’un système de suivi de la biodiversité sur plusieurs sites prioritaires depuis 2014. «La biodiversité, ce sont les espèces phares végétales ou animales comme la faune mammalienne. Nous avons engagé plusieurs études diachroniques sur 40 ans des écosystèmes. Parmi ces études, il y a la mise en place du plan de conservation du guépard saharien et des espèces proies depuis 2017», dit Salah Amokrane. A cet effet, un groupe d’experts nationaux a été recruté. Ce sont des spécialistes en écologie, des anthropologues et des géomaticiens pour la cartographie ainsi que des guides de terrain. Plusieurs missions d’inventaire ont été menées sur le terrain depuis 2017.

. Derrière le guépard, la gazelle dorcas et le mouflon à manchettes

«On l’appelle le guépard saharien, mais c’est la sous-espèce du nord-ouest de l’Afrique dénommée Hecki. Des études sont actuellement en cours pour la caractériser génétiquement. Il y a des petites populations dans le nord-ouest de l’Afrique mais la zone pour laquelle il y a le grand espoir pour la conservation du guépard est le complexe du Hoggar-Tassili», précise Farid Belbachir, enseignant-chercheur dans le domaine de la biologie de la conservation à l’université de Béjaïa. Son credo est d’étudier les espèces et de trouver des solutions avant leur disparition et à c’est à lui que l’on doit les premières images du guépard en liberté grâce à des caméras traps. «En juillet 2008, nous sommes sortis pendant deux mois pour poser les caméras puis en 2010. C’est la première recherche pour tout le nord-ouest de l’Afrique et le premier travail de camera-trapping», dit-il encore. Notre homme s’est ensuite astreint à 7 mois de terrain pour recueillir des indices pour la partie sociologique de son étude et à faire des entretiens avec les Touareg sur leur connaissance des grands carnivores, spécialement le guépard et les espèces proies comme les gazelles et les mouflons.

«Trois grandes missions sur le terrain portant sur l’inventaire du guépard saharien ont été menées par le PPCA dans les parcs de l’Ahaggar et du Tassili n’Ajjer. Juillet 2017, févier 2018 et mars 2020», dit Abdenour Moussouni, maître de recherche en écologie, chargé de la planification au niveau des PPCA. «On réalise beaucoup de monitoring, de conservation et de suivi de la biodiversité. Le plus gros du travail se fait sur les parcs de l’Ahaggar et du Tassili. On travaille avec les équipes locales des offices des parcs culturels. Pour la biodiversité, il y a un suivi de l’évolution des écosystèmes à travers des études diachroniques. On s’intéresse aussi particulièrement aux zones humides et à la qualité des eaux de ses zones», estime encore Abdenour Moussouni. «On intervient aussi pour le suivi de la biodiversité spécifique pour la faune et la flore. Un travail focalisé sur certaines espèces phares et leurs cortèges. Pour la faune, trois espèces emblématiques sont particulièrement suivies pour plusieurs raisons dont leur rôle écologique: le mouflon à manchettes, la gazelle Dorcas et le guépard saharien. Elles sont rares et menacées et protégées», ajoute Abdenour Moussouni.

Le guépard est au sommet de la chaîne alimentaire. En sauvegardant ces espèces parapluie, comme on les appelle dans le jargon scientifique, les scientifiques et les responsables du PPCA pensent pouvoir sauvegarder toutes les espèces qui sont dans son habitat et qui lui permettent de survivre. «On a capitalisé tout ce qui a été fait en première phase mis en place fin 2014. Le travail qui est fait est basé sur des protocoles techniques et scientifiques. On essaie d’apporter de l’information pour les gestionnaires afin qu’ils puissent orienter leurs décisions et puis des connaissances sur le plan scientifique», conclut Abdenour Moussouni.

. Un travail colossal sur des terrains immenses

Le PPCA a donc décidé de la mise en place d’une stratégie pour la conservation du guépard saharien et des espèces proies comme la gazelle et le mouflon. L’espèce est en danger critique d’extinction à cause de la réduction drastique de ses effectifs. Il ne resterait plus que près de 200 individus répartis sur l’Algérie, le Mali et le Niger. La survie dépend de la durabilité de ses habitats naturels et d’un plan de conservation intégrée impliquant les populations locales. Nous n’avons pas encore assez de données pour estimer ces effectifs en Algérie. Un autre problème d’ordre génétique se pose pour cette espèce. Elle a subi un goulot d’étranglement qui a eu pour conséquence un appauvrissement de la diversité génétique. «Il risque donc d’y avoir des problèmes de consanguinité», estime Farid Belbachir. «Il faudrait envisager des projets de réintroduction des espèces proies du guépard pour sa survie, car si le braconnage du mouflon et de la gazelle Dorcas continue à ce rythme-là, sachant que le climat de notre Sahara et ses écosystèmes sont à faible productivité, cela va mettre en danger la survie de l’espèce. C’est pour cela qu’il faut également penser à des projets de réintroduction», conclut Farid Belbachir.

Entamée en 2017, la stratégie de conservation du guépard se fait avec une équipe pluridisciplinaire qui se déploie sur le terrain. Il y a eu deux grandes expéditions, une dans l’Ahaggar et l’autre de 40 jours dans le Tassili. «C’est un travail colossal qui exige une très grande logistique pour dérouler le protocole scientifique. On a utilisé une quarantaine de caméras pièges fonctionnant sur 24 jours minimum. Une distanciation de 10 km entre une caméra et une autre. Ce sont des surfaces énormes. L’équipe se déplace à bord de véhicules tout terrain mais pour les parties les plus inaccessibles, on doit se déplacer à dos de dromadaire ou même à pied. En 2018, on déploie le même protocole dans le Tassili», raconte Abdenour Moussouni.

Au moment de relever les caméras pièges, l’équipe est déçue. Sur les écrans de contrôle défilent gazelles, loups dorés, mouflons, fennecs, renards de Rupell et diverses autres espèces mais point de guépard. «Il n’y a pas de capture directe de l’espèce phare, le guépard. Mais en mars-avril 2020, une troisième mission de terrain est lancée dans l’Atakor», dit Abdenour Moussouni. L’Atakor est un site-clé en matière de biodiversité et les signalements de guépard par la population donnent de réels espoirs. De nouveau, on a recours à des caméras traps et aux guides locaux connaissant parfaitement le terrain pour traquer sa majesté le guépard. «On avait déjà des indices indirects de sa présence comme les crottes et les traces sur les arbres ou les lits de l’oued». Au premier contrôle, bingo! Des captures nocturnes et diurnes. Ouf!

«A présent, on va procéder à un échantillonnage en gras. Sur la base des stations qui ont fourni les premières captures, nous allons procéder à l’installation d’autres caméras pour estimer l’abondance des effectifs de l’espèce», poursuit Abdenour Moussouni.

La biodiversité des parcs du grand Sud est riche. Aux côtés du guépard, il y a la gazelle Dorcas, le mouflon manchettes, le loup doré, le renard de Ruppell, le chacal, le fennec et bien d’autres espèces. «Le guépard est attesté, mais pour la panthère ou le léopard c’est autre chose. Lors d’une sortie en 2005, nous avons identifié une crotte de léopard et lors de mes enquêtes, des témoignages suggèrent sa présence sur la base de plusieurs caractéristiques rapportées par les Touareg», raconte Farid Belbachir. «Pour le cas du lycaon, je pense que sa présence serait exceptionnelle. Ils sont connus pour vivre en bandes et ce n’est pas viable dans le Sahara central. Sûrement une présence exceptionnelle. L’hyène rayée existe dans la région de Timiaouine, Tinzaouatin, Taoudert mais elle est plus rare dans l’Ahaggar. Il y a bien sûr le loup doré africain, le complexe de renards, le fennec, le chat sauvage d’Afrique et le chat des sables, le ratel, la zorille. Pour les grands herbivores, la gazelle Dorcas, le lièvre du Cap, le mouflon à manchettes, l’addax et la gazelle dama ayant disparu», poursuit Farid Belbachir.

«Comme les guépards d’Afrique australe et orientale, les guépards sahariens doivent affronter des menaces qui sont bien identifiées, parmi lesquelles la diminution de ses proies qui sont déjà présentes en faible densité avec une augmentation du braconnage et la dégradation de son habitat. La dynamique enclenchée par les autorités algériennes pour la conservation est encourageante, notamment avec le renforcement récent du cadre législatif pour l’application de la loi. Elle doit se poursuivre en privilégiant la collaboration étroite avec les populations locales, garante directe de la survie du guépard et du maintien de son habitat», estime de son côté Audrey Ipavec, coordinatrice régionale du programme panafricain de conservation du guépard et du lycaon pour l’Afrique du Nord, de l’ouest et centrale, basée à Cotonou, au Bénin.

Il est évident que si le guépard est une vraie chance pour l’Algérie de par son rôle de vitrine pour l’immense patrimoine naturel et culturel d’intérêt mondial du grand Sud, il est du devoir de notre pays de tout faire pour le sauvegarder. Ce que les scientifiques, les responsables et les hommes de terrain du PPCA font admirablement bien jusqu’à présent.



Photo: Dernière capture d’image du guépard en mars 2020

Reportage réalisé par Djamel Alilat


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