Algérie

Le Golfe n'est plus l'eldorado d'hier



Le Golfe n'est plus l'eldorado d'hier
Nouvelle bulle immobilière en vue ' Alors que la récession frappe les économies occidentales, les pays du Golfe se sont lancés dans une course effrénée à la démesure. Reportage à Abu Dhabi. Partout des gratte-ciel surgissent des sables, comme une oasis de béton grignotant le désert. Abu Dhabi veut rattraper son retard sur Dubaï à coups de centaines de milliards de dollars pour construire plus grand, plus exubérant. Aux Emirats, on ne lésine pas sur les moyens pour en mettre plein la vue au voisin. Résultat : Abu Dhabi est un énorme chantier. La moitié du parc mondial des grues, trax ou autres pelleteuses travaillent dans la région. Les journaux locaux sont remplis de réclames pour des appartements ou des maisons à vendre. « Les projets immobiliers sont estimés à 190 milliards de dollars. Les Zayed Al Nahyan, la famille régnante d'Abu Dhabi, ont la haute main sur les affaires », déclare Malik, guide libanais qui fait visiter les chantiers de la cité. Partout se dressent des palissades avec d'énormes posters dessinant des immeubles à l'architecture futuriste. « A deux pas de l'énorme mosquée Cheikh Zayed se trouve le projet de ''Capital City''. 40 milliards de dollars vont y être investis pour créer le Washington des Emirats. Une vraie capitale avec des ministères, des ambassades... » Le projet doit prendre fin en 2030, proclame une pancarte. Ailleurs, les gratte-ciel poussent comme des champignons grâce aux petites mains pakistanaises, indiennes et palestiniennes, notamment. « Comme à Dubaï, ici on aime bien bâtir des tours », poursuit Malik en montrant un terrain vague. « Ce sera le futur centre d'affaires. Sa construction coûtera 24 milliards de dollars. A la fin, il y aura onze buildings, des hôtels, des centres commerciaux... »InquiétudeReste que depuis cet été et l'aggravation de la crise financière, ce dynamisme commence à s'essouffler, reconnaît Iskandar Karim, consultant immobilier à Abu Dhabi. Pire, le gouvernement des Emirats dont le modèle économique repose sur trois piliers - immobilier, tourisme et finance - estime qu'il faut revoir sa copie de toute urgence. « Les bonnes années sont derrière nous », estime John, agent immobilier d'origine britannique, établi dans la cité depuis trois ans. « Nous sommes face à une crise des ''subprimes'' puissance 4. » D'autant qu'avec la récession en Occident, les banques prêtent moins et les fonds propres des sociétés immobilières, qui pèsent 500 milliards de dollars, ont fortement baissé. Beaucoup se rapprochent très dangereusement de la ligne rouge de la faillite au point qu'elles bradent leurs propriétés pour libérer de l'argent frais. Pire, sans l'aide de la Banque centrale des Emirats arabes unis, qui a débloqué des milliards de dollars pour soutenir le marché du crédit, le secteur se serait effondré en septembre alors que le prix du brut chutait, passant de 140 dollars à moins de 60 dollars et que l'immobilier a chuté de 50%. « Beaucoup de gens sont inquiets », explique Pierre Disse, un agent immobilier libanais. « Ils attendent de voir s'il va se passer la même chose qu'aux Etats-Unis. Il y a quelques mois encore, Russes, Iraniens, Français, Anglais ou Américains m'appelaient pour acheter les yeux fermés des duplex simplement sur catalogue. » Aujourd'hui, le Libanais rôde dans les halls des hôtels en quête de clients. Mais les acheteurs se méfient désormais. Certains ont été roulés dans la farine, comme Saber Mahmood. Cet Iranien de 50 ans devait recevoir les clefs de son appartement de luxe en juillet dernier. « J'attends toujours et je n'ai pas récupéré mon argent. Le système est fou. Les vendeurs te présentent le rêve sur CD-ROM, mais c'est de la poudre aux yeux. Ils te montrent l'immeuble grandiose mais il n'y a pas de route autour. Sous le vernis, il y a beaucoup de mauvaises surprises. » Conscient de la catastrophe à venir, l'Etat a réagi. Cet été, il a durci les lois concernant la propriété foncière. Les investisseurs dans l'immobilier risquent de perdre 30% de leurs fonds en cas de revente spéculative de leurs biens. Fini le temps où les financiers empruntaient pour payer rubis sur l'ongle un immeuble pas encore construit. Même marasme à la Bourse d'Abu Dhabi. Il est 13h. Les cotations viennent d'être bouclées, elles reprendront demain matin. « Il y a deux mois encore, tout le monde applaudissait à la clôture. C'était la fête à chaque fois », confie Selmane, un Emirati d'une soixantaine d'années, dans une longue dishdasha blanche et gutra traditionnelle. « Aujourd'hui, on se cache le visage avec nos mains. Nous ne voulons pas voir la catastrophe. Comme si Dieu voulait nous punir. » Ce matin, après avoir parqué sa grosse américaine sur Hamdan Street, Selmane était entré « très optimiste » dans l'énorme bâtiment de la Bourse. Issu d'une famille très respectable d'Abu Dhabi, toujours flanqué de ses deux conseillers en finance égyptiens, l'homme dirige une société d'import-export de textile. « Aujourd'hui, ça devrait aller. Le ministre des Finances et de l'Industrie, Cheikh Hamdan Bin Rached Al Maktoum, a promis que le système financier de la région allait tenir. Il a constitué un fonds de plusieurs dizaines de milliards de dollars pour garantir les dépôts. » Autre bonne nouvelle : les investissements étrangers continuent à affluer sur cette place financière où seuls les hommes peuvent faire des affaires. Mais dès le début des cotations, vers 10h, Selmane doit déchanter. « C'est reparti pour une chute libre. » Une mélodie qu'il répète depuis des semaines. Le marché d'Abu Dhabi a grillé plus de 600 milliards de dirhams (162 milliards de dollars) depuis le début du krach financier. La salle des marchés de la Bourse d'Abu Dhabi a des allures d'un grand lieu de prière avec de hautes colonnades et des fauteuils en cuir très confortables, mais l'ambiance est pesante. Les visages sont scotchés aux indices qui courent sur les énormes écrans accrochés aux quatre coins de la pièce. Ils sont tendus. Tout comme Selmane. « J'ai misé un gros paquet sur des valeurs refuges comme le monstre de la construction Emaar qui valait quatre dollars au début de l'année », peste l'Emirati, dont les ancêtres étaient bédouins. « Aujourd'hui, elle est tombée à 1 dollar sous sa valeur nominative. » L'Emirati qui gigote dans son fauteuil confortable ne comprend pas. « Il y a encore quelques mois, le marché ici était ''win-win'' (gagnant-gagnant). On faisait rentrer une pièce et on en recevait trois en retour. C'était ça l'économie ! Faire du profit. Mais depuis, j'investis une pièce et elle disparaît ! Il faudrait qu'on m'explique. »OpacitéA ses côtés, son conseiller égyptien, âgé d'une trentaine d'années, s'exécute. « Il n'y a rien de diabolique là-dedans », argumente Attia en baissant les yeux. « Le pétrole est en train de se casser la gueule. L'économie locale est très dépendante du dollar. Tout comme le dirham qui est arrimé à la monnaie américaine. S'il baisse, le dirham plonge aussi. » Dernière mauvaise nouvelle : l'inflation bat des records. Cette année, elle dépassera 10%. Après s'être éloigné de son employeur, Attia poursuit : « Ce qui plombe ce pays, c'est l'opacité. Les Emirats sont gérés comme une entreprise privée. Rien ne filtre. On ne connaît pas les bilans des sociétés comme Emmar, Tatweer, Deyaar... Tout le monde a l'impression que la famille régnante a des ressources inépuisables. Mais plus dure sera la chute. » En résumé, le Golfe n'est plus l'eldorado d'hier. Autre boursicoteur déprimé, Abdel Aziz s'approche de Selmane. Svelte, barbe bien taillée, habillé de blanc neige, l'Emirati lui glisse à l'oreille : « Ici, nous sommes les petits poissons. Mais j'imagine que dans les tours de Dubaï et d'Abu Dhabi, on pleure des larmes de sang. Le problème, c'est que tous les secteurs plongent. » Que ce soit ceux de la finance islamique, de la construction ou des matières premières. « Et nous qui imaginions être préservés de la tempête grâce à nos pétrodollars », lance Abdel-Allah, en levant les bras au ciel. Abdel Aziz et Selmane ne quittent plus des yeux les indices en rouge vif. « Nous tombons de haut. Et dire que chaque semaine une nouvelle banque appâtée par la finance islamique vient s'installer à Abu Dhabi. » Selmane reçoit alors un appel de sa femme qui lui rappelle qu'ils ont rendez-vous à 15h au Marina Mall, le plus grand centre de shopping d'Abu Dhabi. Le cheikh sort de la Bourse pour lui parler. On ne mélange pas les affaires publiques aux affaires privées. « Je serai à l'heure », coupe-t-il, alors que le trafic s'écoule, bruyant, sur Hamdan Street. « C'est ce passe-temps qui va me ruiner. Car crise ou pas, notre sport national favori reste le shopping. » Après quelques minutes, Selmane reprend sa place au milieu de la quarantaine d'hommes d'affaires qui traînent les pieds, la majorité d'entre eux pendus à leur téléphone portable. « Après le 11 septembre 2001, nous avons rapatrié une partie de notre argent des banques américaines pour les investir dans la région », poursuit le vieux cheikh qui ne veut pas décrocher du monde des affaires. « C'est la première fois que nous prenons une raclée à Abu Dhabi. Mais je préfère ne pas appeler mon banquier à New York, à la Citibank. Je ne veux rien savoir. Ça doit être pire. Si ça continue ainsi, je mettrai quelques économies en Suisse. » 13h. Comme Abdel-Allah ou Abdel Aziz, Selmane a de nouveau perdu beaucoup d'argent. Il reprend sa voiture et s'arrête au Marina Mall pour y retrouver sa femme. Le centre est plein à craquer et les gens dépensent sans compter. « Les affaires ne vont pas si mal », glisse le sexagénaire qui sirote un Coca à une terrasse. Puis, philosophe, il ajoute : « L'argent, ça vient et ça part. Allah, lui, reste. »


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