La victoire sur
l'Egypte a déclenché un déferlement impressionnant. Un raz de marée, un tsunami
que les gens du système ne comprennent pas ou font semblant de ne pas
comprendre, mais qu'ils redoutent, tout en voulant l'exploiter sans vergogne.
Tout le monde
s'interroge: pourquoi cet immense engouement et que peut-il révéler sur
l'avenir de la République, que beaucoup, frileux en diable, avaient hâtivement
précipitée aux oubliettes de l'histoire. Et pourtant, le peuple des jeunes est
là, plus présent que jamais, plus virulent et exigeant qu'hier. Surtout
conscient des enjeux réels, un temps occultés par un match de football qui a
redonné à tout un peuple fierté et dignité ; et un élan patriotique dont on ne
mesure pas encore toute la portée après des décennies de hogra et de barbarie.
Mais avec cela nous sommes côté cour et
personne ne veut admettre la réalité de ce qui est caché, de ce qu'ils veulent
cacher et travestir au peuple plus jamais dupe des simagrées d'un pouvoir à
bout de souffle, voulant reprendre haleine, en puisant dans cet immense
réservoir qui s'offre à lui ; et qu'il sait ne pas être dupe.
Un quart de
siècle de déserts traversés
Cela fait près
d'un quart de siècle, après le faste des années 82 et 86, que l'Algérie n'avait
pas fait la fête. Puis notre pays a traversé, à partir d'octobre 88, les affres
de la barbarie. Avec, cependant, les fulgurantes éclaircies dues, en sport, à
Hassiba Boulmerka, Nourredine Morceli, Djaber, Hamed et Nouria Benida. Même si
l'athlétisme n'a rien à voir, en terme d'audience et de charisme collectifs,
avec le football.
Pour ce qui est du politique, nul ne fut dupe
de la supercherie de l'après-octobre 88. Peu crurent aux faux-semblants de la
libéralisation économique, politique et sociale. Maïs ils furent beaucoup à se
laisser emporter par la vague d'unanimisme qui montait, via médias emportés par
une euphorie qui fit tourner la tête à toute la mouvance démocratique. Penser
que la société se libérait fut une tragique illusion. Au contraire, elle était
de plus en plus ligotée, bâillonnée, interdite de manifester et de s'exprimer
pour oser réclamer ses droits constitutionnellement établis. La parole des
pauvres et des miséreux n'était plus portée par personne, pas même par ceux que
l'on appelle «élus du peuple». La création littéraire, artistique et
scientifique végétait à l'ombre de ministères tutélaires, plus prompts à
organiser de grandes zerdas qu'à accepter que la liberté des justes s'exprimât.
La glaciation systémique
et le dégel footballistique
Une pieuvre
immense, que l'on nomme commodément système, enserre la société et tous les
appareils politiques, syndicaux ou associatifs, et surtout économiques, dans
une nasse de tentacules invisibles mais puissants, propres à décourager toutes
les velléités ou tentatives de résistance ou de changement. Dans cette énorme
opération d'embastillement social, politique et culturel qui dessert plus le
système qu'elle ne le sert - parce que par définition les systèmes exècrent la
liberté et l'intelligence - il est à craindre de voir ces bastilles où
croupissent droits et libertés du peuple, exploser un jour au visage de ceux
qui les construisent ou les contiennent, en se servant de mille et un
expédients.
Etat d'urgence, répression policière, justice
aux ordres, redressements intempestifs, islamisation planifiée de la société,
non pour sa libération, mais essentiellement pour sa plus grande
caporalisation, grâce à l'effet du sacré et au recul de la citoyenneté,
dévitalisation et dévirilisation de la vie politique, sont les maîtres mots de
la vaste entreprise de dépossession du peuple de sa souveraineté et, partant,
de ses droits les plus élémentaires à espérer qu'un jour le changement
advienne.
Et, sur cette lente mais inexorable
glaciation systémique, s'abat l'éclair fulgurant de l'exploit de l'équipe
nationale de football. Le «peuple jeune» et moins jeune, où la femme a réussi à
imposer son espace - pour un temps, admis et respecté - envahit les rues et
fait sauter, sans coup férir, les verrous d'un état d'urgence, plus alibi
liberticide que rempart sécuritaire.
La joie gronde dans les rues bousculées et
chavirées par un enthousiasme sans retenue. On dirait que les jeunes
générations ont voulu faire plus fort, plus large et plus haut, que celles de
l'indépendance, lorsque le peuple en joie, s'est réapproprié sa liberté pendant
de folles journées de liesse.
Ils ont senti d'instinct que la patrie était
«en danger» et qu'il était de leur devoir de voler à son secours ; alors foin
des entraves de toutes sortes face à cet enthousiasme patriotique démesuré,
plus fort et plus étendu que tout ce qui aurait pu lui être opposé.
Les politiques
surfeurs
Le président de
la République, qui fait partie de ces leaders du 21e siècle sachant surfer sur
les événements, après s'être rendu compte que l'ère des Grands Timoniers était
révolue, a su utiliser cette vague énorme qui a déferlé sur tout le pays dans
ses coins les plus reculés.
Joël de Rosnay attentif aux nouveaux types de
gouvernance écrit dans L'Homme symbiotique: «Le politicien-surfeur cherche à
créer des événements qui fournissent l'énergie nécessaire à son propre
mouvement. Comme le disait Henri Kissinger: «Il faut non
seulement surfer sur la vague des événements mais créer celle sur laquelle on
surfera».
Et cela, non seulement pour répondre à
l'appel d'une jeunesse chauffée à blanc et frustrée de n'avoir pas eu de
révolution à faire comme ses aînés, mais pour s'assurer les rênes d'un pouvoir
que des «niches» du système avaient tendance à lui contester.
Quelles lectures faire
?
Quelle lecture
faut-il faire de ces journées de crainte, d'angoisse et de joie partagées, pour
une équipe nationale de football, nouvelle, jeune, dynamique et consciente de
l'ampleur de ses responsabilités ; conscience encore plus aiguisée par les
traquenards du Caire.
Une équipe qui va aller loin. Tout le monde
s'en doute et le prédit, parce que conduite par un chef avisé, qui sait être
prudent quand les circonstances l'exigent et conquérant lorsqu'il le faut. Pour
l'essentiel, je retiens trois pistes de lecture possibles.
Un: C'est grâce au sport que l'unité
patriotique s'est réalisée, alors que tous les hommes politiques s'y sont cassé
les dents et ont blanchi sous le harnais, sans trouver de formule «magique»
pour y parvenir. Et puis, l'ont-ils vraiment voulu ? Le peuple, faisant fi de
tous les atermoiements déchirements et autres frilosités, a donné sa réponse:
la bonne, celle ayant transcendé les clivages politiques, les bégaiements et
hiatus de l'histoire.
Deux: C'est grâce au sport que le peuple
s'est réapproprié l'espace de sa souveraineté. Même si cela tient plus du
symbolique que du réel. Il lui a fallu près d'un demi-siècle pour bousculer
tous les obstacles qui lui ont barré la route de la liberté et notamment la
peur que le système lui a instillé comme un insidieux poison.
Trois: C'est grâce au sport que la voix du
changement, que le système a voulu rendre inaudible, vient de se faire entendre
avec une clarté sans pareille et une patriotique unanimité nationale,
surprenante et indestructible. Un fleuve qui emportera tout sur son passage
s'il venait à être vite oublié et méprisé, comme du temps de toutes les hogras
qu'il a eu à supporter. Il est évident que cette victoire va avoir d'autres
répercussions, notamment au plan économique, comme l'a mis en évidence El Kadi
Ihsane, dans sa dernière chronique d'El Watan économie ; ou, sur le plan
administratif et institutionnel, comme l'a si bien prédit le ministre de
l'Intérieur, faisant allusion à «l'Algérie qui gagne» et à toutes les implications
de ce que gagner veut dire en terme de changement.
Le changement: un
dialogue constructif entre l'Algérie d'en bas et l'Algérie d'en haut
Le président de
notre République l'a compris. Il a décrété, en un temps record, la mobilisation
générale de tous les appareils étatiques autour de l'équipe nationale et de ses
supporters.
Il est simplement à souhaiter que cette
mobilisation collective ne soit pas circonstancielle mais s'inscrive
durablement dans le temps, pour le sport, le logement, l'hôpital, l'école, le
niveau de vie, l'emploi des jeunes et l'environnement. Le tout couronné par des
institutions démocratiques.
Saura-t-on se servir de cette victoire et de
celles qui vont suivre pour impulser, de manière vigoureuse et décisive, les
voies du changement et se mettre enfin à écouter le peuple et sa jeunesse, pour
les faire participer effectivement à la gestion des affaires de leur pays. A
abattre toutes les citadelles de l'immobilisme et de la corruption qui ont
entravé la créativité et le dynamisme de jeunes entrepreneurs ; à lever tous
les obstacles que le système et la bureaucratie ont élevés entre le pouvoir et
le peuple au point de rendre infranchissable le fossé qui a séparé, depuis
l'indépendance, gouvernants et gouvernés, fourvoyant ainsi notre pays dans une
terrible impasse ? J'ai vu au stade du 5 Juillet les jeunes venus reprendre
leurs passeports pour aller à Khartoum, après l'ébullition de la veille. Je les
ai vus se réunir, débattre et dégager entre eux une solution. Puis désigner leurs
représentants qui ont exposé aux responsables des pouvoirs publics la solution
et les moyens de l'appliquer. Pour moi, ce moment ne fut pas vain, comme on
pourrait le penser. Il fut exceptionnel parce que porteur de la démarche
démocratique et citoyenne qui va faire advenir le changement véritable. Pas le
changement décrété par en haut, mais celui construit démocratiquement avec les
principaux concernés, en mobilisant les énergies et compétences de tous, pour
le mettre en oeuvre. Le changement véritable et durable est un dialogue
démocratique permanent entre l'énorme énergie et l'intelligence collective de
la société face aux pôles de la décision politique qui ne seraient plus seuls à
gouverner, mais gouverneraient avec un peuple désormais debout. Sinon, nous
risquerions de retomber dans le monde de l'illusion, de la peur et de la hogra.
Elles mèneraient alors, de manière inéluctable, aux dérives nourrissant des
désordres, difficiles, si ce n'est, impossibles à contenir. Un match de
football vient de le démonter sans conteste et de rendre possibles les voies du
changement et d'une nouvelle gouvernance.
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Posté Le : 26/11/2009
Posté par : sofiane
Ecrit par : Si Mohamed Baghdadi
Source : www.lequotidien-oran.com