Algérie

"Le financement non conventionnel ne peut être une solution à long terme"



Liberté : Le gouvernement a annoncé que le financement non conventionnel sera abandonné en 2020. En tant qu'économiste, estimez-vous que la page du recours à ce mode de financement peut être définitivement tournée alors que les déficits budgétaires sont toujours importants et que les prix des hydrocarbures, qui constituent la principale source de revenus pour l'Algérie, demeurent faibles 'Brahim Guendouzi : Dans les conditions actuelles de fonctionnement de l'économie algérienne, le gouvernement actuel voudrait attirer les investisseurs étrangers en disant que la règle 51/49% est abandonnée pour les secteurs non stratégiques, or les investisseurs étrangers ne viendront pas investir dans le contexte actuel de l'économie nationale. En second lieu, le retour à l'endettement extérieur n'est pas également évident pour obtenir des financements externes et cela peut prendre beaucoup de temps. Par conséquent, vu les déficits budgétaires importants, d'une part, et les contraintes de financement existant dans l'économie nationale, d'autre part, à notre avis, l'abandon du financement non conventionnel peut être remis en cause à tout moment, si d'autres solutions de financement ne sont pas trouvées, puisque la contrainte du financement reste toujours posée. En tout cas, le financement non conventionnel est d'une durée de cinq ans et juridiquement toujours existant, donc un autre gouvernement autre que l'actuel peut toujours recourir à ce financement.
On vient de prendre connaissance que l'Algérie pouvait éviter le recours précipité au financement non conventionnel, cela dit que d'autres alternatives existent ; peut-on savoir lesquelles '
Les alternatives existantes sont les financements bancaires et les facilités que peut accorder la Banque d'Algérie aux banques pour continuer à accorder leurs crédits. L'économie algérienne étant une économie d'endettement, tout repose sur le crédit bancaire, donc on peut trouver des formules de financement direct ou indirect, telles que le financement alternatif qui peut apporter des solutions au financement de l'économie nationale. Mais, comme on n'a pas trouvé de solution aux questions de fond, comme celles de la politique budgétaire, fiscale et des subventions, et aussi le climat des affaires, la question du financement restera toujours posée.
Puisque la question du financement restera toujours posée, comme vous le dites, est-ce à comprendre donc que l'abandon du financement non conventionnel n'est qu'une annonce populiste '
Compte tenu de l'importance des dépenses publiques, que l'Algérie fonctionne avec la commande publique et que l'Etat ne trouve pas de solution à la dépense publique, vu son importance et son déficit, nous serons toujours confrontés à la même contrainte de financement, et ce qui arrange le gouvernement, c'est généralement la solution de facilité parce qu'il n'arrive toujours pas à mener les réformes importantes et profondes qu'il doit mener.
Des expériences de recours au financement non conventionnel qui ont donné des résultats positifs au bout de quelques années viennent d'être présentées. Qu'est-ce qui fait qu'en Algérie ce mode de financement n'a toujours pas donné les résultats escomptés '
Les expériences des financements non conventionnels présentées ont eu lieu dans des pays avancés, des pays à économie de marché où il y a des marchés financiers très développés, un marché des titres, et les banques centrales font de la régulation et ont une indépendance quant aux mécanismes de gestion monétaire, et où le recours au financement non conventionnel dans ces pays est une mesure qui a été prise pour éviter la déflation qui est un phénomène où les taux d'intérêt sont proches de zéro et qui peut créer des problèmes de fonctionnement dans l'économie, notamment l'investissement et la consommation. Ce qui n'est pas le cas en Algérie qui est un cas spécifique, puisque la décision du recours au financement non conventionnel est prise parce qu'il y a une dette publique importante. Le Fonds de régulation des recettes était de zéro en 2017, et nous avons un déficit budgétaire énorme. Donc, on subventionne, en fin de compte, les prix à la consommation.
Vous avez déclaré que d'ici à deux ans les réserves de changes de l'Algérie auront atteint le seuil limite que se fixe chaque pays. Quelles pourraient être les conséquences si la situation venait à rester en l'état '
Il faut réformer la politique budgétaire. Jusque-là on n'a pas osé s'attaquer à la question de fond de l'économie algérienne, à savoir celle des réformes nécessaires. Le financement non conventionnel ne peut être une solution à long terme. Paradoxalement, on a mené une politique de financement non conventionnel, mais on a laissé le dinar surévalué, ce qui fait que nos importations sont restées au même niveau alors que les réserves de change ne cessent de diminuer et dans deux ans, on risque d'avoir 30 à 40 milliards de dollars de réserves, ce qui est une alerte, un feu rouge pour l'économie algérienne, et cela peut induire l'Etat à rationaliser les importations, ce qui peut se traduire par des pénuries de produits et une inflation.
Cela a déjà commencé puisque les pouvoirs publics viennent de décider de diminuer l'importation des kits automobiles, de l'électroménager et de la téléphonie mobile et de plafonner l'importation des céréales. Et dans le cas où l'ajustement structurel viendrait à s'imposer au pays, les réformes à mener seront sévères pour la population, dans la mesure où les prix vont changer parce qu'on ne pourra plus se permettre de subventionner les prix à la consommation.

Propos recueillis par : Samir leslous


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