Algérie

Le fils du pauvre Evocation-Mouloud Feraoun


Le fils du pauvre                                    Evocation-Mouloud Feraoun
Jusqu'à l'âge de cinq ans, il est admiré comme un objet précieux, pas de remontrances, il grandit dans une liberté quasi totale.
Sa grand-mère, sage-femme du village, le gavera de toutes les bonnes choses, qui lui sont offertes. Pour le rendre hardi, on lui permet de battre ses s'urs, parfois ses cousines, et d'être grossier avec les grandes personnes de son entourage. Son père conscient qu'il n'y a pas de vie décente à Tizi-Hibel, si on ne possède pas une bonne santé, un bon jugement et un caractère bien trempé, se chargera de lui inculquer une éducation conséquente : on lui interdit de reculer dans les batailles et d'avoir le dessus contre un camarade de même âge, afin de développer sa force et son courage. Dans cette école de la vie, Feraoun apprend vite. Emmené par son oncle à la Djemaâ, il sait bientôt juger. C'est à l'âge de six ans que Feraoun entame ses études élémentaires. En 1927, il est reçu au certificat d'études qu'il passera à Fort National, « Une vraie ville avec beaucoup de Français, de grandes maisons, de belles rues... ». En 1928, il réussit au concours des bourses et entre en 6e au collège de Tizi-Ouzou, où il bénéficia d'un généreux hébergement. C'est là qu'il se liera d'amitié avec Azir, du village Agouni. Quatre années durant, ils rentrent en classe « en sachant à fond tous leur cours ». Heureusement pour lui, car à ce niveau d'étude, il n'a pas droit à l'échec ce fils du pauvre, dont le père s'est endetté pour lui.
Ou il devient instituteur, ce qui va alors signifier l'aisance retrouvée de la famille, retourner au pays et devenir berger, ou bien partir pour la France et travailler en usine comme ouvrier. C'est, presque, sans surprise qu'il obtient finalement son brevet, en 1931, et prépare le concours d'entrée, à l'école normale d'Alger-Bouzaréah. La chance qui a une part dans tous les concours, n'oubliera pas le jeune candidat, à l'heure décisive. A Bouzaréah, « le paradis terrestre » qui a représenté « dès son jeune âge une espèce de rêve inaccessible » ne le déçoit pas. Les barrières raciales tombent, du moins, en apparence. Un climat d'égalité (') où notre montagnard timide « retrouve une dignité ».
Les professeurs qui prennent consciencieusement le relais des institutions de Tizi-Hibel, qu'ils ont le plus souvent d'ailleurs formé, ne parlent pas de vertu mais sont tous des vertueux, selon Jack Gleyze qui, pour mieux étayer ses propos, cite l'exemple du directeur Giorgetti qui donne 600 francs à Feraoun ' une somme pour l'époque ' afin qu'il puisse envoyer un mandat à son père, en bute à des difficultés financières. Et pour qu'il ne se sente pas humilié, le saint homme ajoute : « Si le c'ur vous en dit, vous me payerez quand vous serez instituteur ». Il n'oubliera jamais cette délicatesse. « Il m'est souvent venu à l'idée, écrit-il dans L'anniversaire, que ceux qui ont appris, par leur enseignement et leur exemple, toutes ces belles choses auxquelles personne ne croit, sont un peu fous ». A sa sortie de l'Ecole Normale, Feraoun est nommé instituteur à Taourirt Aden, prés de Tizi-Hibel, son village natal. De 1937 à 1952, il occupera ainsi trois autres postes dans la région d'Ath Douala : Thaboudrist de 1937 à 1945, Ath Abdelmoumen de 1945 à 1946 et Taourirt Moussa de 1946 à 1952. Entre temps, il s'est marié. En 1938, il a épouse sa cousine Dehbia, une orpheline de dix ans sa cadette qui lui était « promise » depuis longtemps. « L'héroïne des chemins qui montent, la jeune fille la plus attachante de toute l''uvre de Feraoun, lui doit certainement son prénom », fait remarquer Gleyze.
Exempté du service militaire en 1934, par tirage au sort, selon le « Code de l'indigénat », il ne fera pas la guerre de 1939-1940. En novembre 1952, il est nommé directeur de l'école de Fort National. Il est chargé également du cours complémentaire, annexé à l'établissement. C'est à Fort National, après le déclenchement de la guerre d'Algérie, qu'un capitaine de S.A.S et un administrateur nommé Achard s'acharneront contre lui, à tel point qu'il devra demander son changement pour Alger. Son v'u sera exhaussé au mois de juillet 1957, en obtenant le poste de directeur de l'école de Nador, au Clos-Salembier dans la banlieue d'Alger. En novembre 1960, il est nommé inspecteur des centres sociaux, crées cinq ans plus tôt par l'UNESCO.
UNE 'UVRE ROMANESQUE DE QUALITE
Parti d'un modeste projet d'autobiographie, Mouloud Feraoun s'acheminera progressivement vers une 'uvre romanesque de qualité. C'est ainsi qu'il publie, à compte d'auteur, son premier livre, Le fils du pauvre, aux cahiers du Nouvel Humaniste. Il obtient le grand prix littéraire de la ville d'Alger. Nous sommes en 1950. En 1953, paraît aux éditions le Seuil, La terre et le sang. Cette fois, le livre obtient le prix populiste. Un livre « naturaliste et documentaire à la dimension d'un drame de la vengeance ». Il y a aussi le retour de l'enfant prodige, le thème du kabyle devenu étranger à sa propre terre, parce qu'il a émigré trop longtemps et le thème de l'adultère. La même année, paraît Jours de Kabylie, un essai dans lequel l'auteur évoque d'une manière savoureuse la vie quotidienne en Kabylie : il y parle de son village, de la Djemaâ, de la saison des figues, du marché de Tléta et des jeunes filles allant à la fontaine. En 1957, c'est la parution du 3e roman, Les chemins qui montent, l''uvre la plus réussie de Mouloud Feraoun aux yeux de Gleyze, qui note que ce livre « se situe presque constamment dans le registre passionnel et met en scène des personnages excessifs, des acteurs d'une richesse et d'une intensité auxquels l'auteur ne nous avait pas encore habitué... ». L'anniversaire qui est rejeté par le comité de lecture du Seuil en 1959, pour le motif qu'il pourrait être ...retravaillé (') sera publié en 1972. En 1960, un essai sur Les poèmes de Si Mohand, lui permet de décrier l'unilinguisme à outrance, imposé par le système colonial et du coup, rappeler que les kabyles ont une langue bien à eux et une culture qui ne demande qu'à être prise en charge.
Des lettres à ses amis qui seront publiées en 1969, ont émaillé toute la période qui va de 1949 à 1962. Il parle à c'ur ouvert de ses joies, de ses peines, des événements de sa vie et de la guerre. Au début de l'année 1962, enfin, paraît Le Journal. « Commencé en 1955, un an après les attentats qui avaient secoué l'Algérie, ce journal est la chronique d'une guerre telle que la vit l'auteur dans sa vie quotidienne. Un livre dans lequel il laisse parler franchement son c'ur de kabyle.
Il fait part de l'éc'urement que lui inspire la mentalité de certains Français extrémistes, qui prétendent avoir tous les droits (commander et se servir). Il leur reproche de classer les arabes en deux catégories : les bons et les mauvais ».
En accusant l'administration française de tricherie et de partialité, il citera l'exemple d'un instituteur d'autrefois au service de la France qui, en fin de carrière a voulu postuler, pour la direction d'une petite école, on lui a préféré un jeune collègue français de trente ans son cadet. Il a eu droit, en guise de consolation, aux palmes académiques. Les massacres, les injustices, la méchanceté, la haine, le malheur furent tour à tour dénoncés par Feraoun à qui, c'est la fin des beaux rêves humanistes, qu'il se faisait à l'époque de ses vingt ans. Cette agressivité constante mais justifiée envers les militaires et les colons, y est pour beaucoup dans son assassinat survenu, le 15 mars 1962, à El Biar avec cinq de ses collègues des centres sociaux. A noter, enfin, que Mouloud Feraoun avait refusé le poste au Quai d'Orsay, qui lui a été proposé par la France lors de son dernier voyage à Paris. Il savait que sa place est ici, parmi les siens, où sa vie allait bientôt avoir un sens...
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