Algérie

LE FEUILLETON DES LECTEURS



Par Mohamed-Seddik LAMARA
Les riches ne se mariaient qu'avec les riches. BRC ne comptait plus de mendiants. Tout était clean, aseptisé et fade. Les fêtes religieuses étaient célébrées par mimétisme et non par conviction. Durant l'Aïd El Adha, et faute de nécessiteux, les voisins s'échangeaient des quartiers de viande. Une épaule contre un gigot, un bouzelouf contre une douara pour faire comme si c'était… La baisse de religiosité se remarquait à tous les coins de rue.
Une seule mosquée subsistait sur les piémonts des Ouled Boumerdès où trônait, naguère, une prestigieuse zaouia. Gare à l'intrus débarquant par accident ou par curiosité à BRC et qui oserait lancer, à la cantonade, un chaleureux «salamou alaykoum». C'est ringard et mal venu pour les «Béerciens» si précieux et si habitués aux «hallo», «by by», «chaw, chaw» et autres sirupeuses salutations. Par un matin printanier du 11 septembre 1447, journée décrétée fête nationale, les gratte-ciel de BRC émergeaient langoureusement de la brume matinale. Pas âme qui vive dehors. Du large parvenait un gémissement inhabituel ne ressemblant ni aux échos émis par la houle ni par le sac et ressac des vagues. Plus au sud, depuis les cimes du Bouzegza, un vent chaud et mugissant déferla sur le Sahel. La terre est prise de soubresauts dont l'intensité allait crescendo. Subitement, le sol se fendit faisant dégringoler jusqu'à la côte de gigantesques monceaux de roches disloqués des collines. Bouillonnante et affligée, la mer se souleva, subitement, sur plus d'une centaine de mètres avant de submerger dans un assourdissant fracas toutes les localités comprises entre le littoral et le barrage de Keddara qui, sous l'onde de choc, a brutalement cédé, libérant ainsi l'exceptionnelle réserve d'eau, jamais emmagasinée depuis sa mise en service. Conjugué au terrible assaut du tsunami, le déferlement des eaux du barrage drainant des masses inouïes de boue a contribué à colmater la totalité du Sahel de la région. De l'amas de vase sous lequel a été ensevelie BRC, l'on ne distinguait depuis le large et une fois venue l'accalmie, qu'un bout de bras désarticulé de la réplique de la statue de la liberté implantée dès l'arrivée des Américains sur le promentoir du domaine Brok (une ferme ayant curieusement conservé le nom de son propriétaire colon français). En cette funeste année, Black Roc City sur Mer des Boues a, prémonitoirement, scellé son destin. Un destin qui la fit, progressivement, revenir à sa vocation originelle de coin de paradis peuplé de gens humbles préférant la paix, la sobriété et le partage à la vie égoïste, dissolue et déshumanisée par la rapine et la quête gloutonne des richesses mal acquises. On assista alors au retour de l'authenticité et des secrètes et exquises noces du ciel et de la terre exhalant de son généreux humus les senteurs d'espérances à hauteur d'homme. Haletant et ruisselant de sueur, Mharbic Bey émergeait péniblement de cet épuisant cauchemar au long cours. La veille, vingt-septième jour du Ramadhan de l'an 1431 de l'Hégire, il avait fait, outre mesure bombance. Une boulimie suscitée par un fort stress consécutif à sa révocation de la société où il occupait un poste doré de P-dg, bien au-dessus de ses très maigres compétences. La sinécure venait de prendre fin, en même temps que d'être récemment dissoute, la boite où il n'eut de cesse de fanfaronner. Une boîte dont le nom rimait curieusement avec celui de l'entreprise du mauvais rêve : «Hef-Lef».


Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Nom & prénom
email : *
Ville *
Pays : *
Profession :
Message : *
(Les champs * sont obligatores)