Le feu aux poudres

«La guerre, c'est la guerre des hommes; la paix, c'est la guerre des idées.» Victor HugoIl y a des conflits qui portent en eux tant de motifs, apparents ou criants, qu'ils peuvent durer une éternité. Un différend entre deux pays peut naître d'un litige frontalier ou d'une différence de régime. Il est évident que quand une guerre se déclare quelque part, le peuple n'y est pour rien car, souvent, la différence entre la composante des belligérants est si ténue qu'on se demande pourquoi une guerre aussi destructrice a eu lieu. Victor Hugo déclarait en son temps: «Une guerre entre pays européens est une guerre civile.»
C'est le cas du conflit qui a duré une éternité entre l'Allemagne et la France: sans remonter aux guerres napoléoniennes qui ont fait de ce pays un champ de bataille ou de passage continuel, on est surpris par la récurrence de conflits entre ces deux puissances, la France déclinante et l'Allemagne montante. 1870, 1914 et 1939 sont les points de repères des conflits les plus sanglants de l'histoire contemporaine. Le conflit portant sur la contestation d'un territoire donné a toujours une origine économique sous-jacente: le contrôle de sols et de sous-sols est générateur de revenus appréciables qui aiguisent l'appétit des hommes politiques et des investisseurs qui les poussent. 1870 a eu pour motif un différend sur la succession au trône du Grand Duché du Luxembourg entre un pouvoir napoléonien corrompu et une Prusse belliciste en quête d'une unification des Etats allemands. Ce sera l'occasion pour la Prusse de céder la place à une puissante Allemagne industrialisée qui veut s'imposer dans le concert des nations et prendre une part plus grande dans le dépeçage en cours de l'Afrique. L'étincelle de Sarajevo sera un prétexte pour rallumer le conflit malgré l'opposition farouche des partis socialistes européens: le discours nationaliste et chauviniste l'emportera sur l'intérêt des peuples. Le régime français prétendait vouloir récupérer les territoires annexés par la Prusse en 1870 et l'Angleterre qui servait d'arbitre voulait affaiblir deux rivaux dangereux. 1939 n'est qu'une suite de la volonté du parti fasciste de vouloir annexer des territoires germaniques de l'Europe orientale et donner un espace vital plus vaste à une industrie en continuelle expansion. Quand les capitaux commencèrent à s'internationaliser, les prétextes de belligérance entre les deux pays tombèrent d'eux-mêmes: allez donc situer où logent les actionnaires de ces puissants cartels qui règlent la vie des nations.
Cependant, l'origine d'un conflit entre deux pays peut se situer dans la difficulté de deux régimes respectifs à gérer les problèmes qui se posent à leurs populations. Quoi de plus efficace qu'un discours nationaliste et chauviniste pour faire oublier à l'analphabète chair à canon ses soucis de digestion. En 1963, l'Algérie venait à peine d'accéder à une indépendance acquise au prix de huit années de sang, de larmes et de souffrances, que le roitelet nouvellement installé sur le trône marocain, se mit à revendiquer contre toute attente une portion du Sahara. Etait-il poussé par des lobbies étrangers alliés du sionisme (on sait que le trône marocain a toujours été un pilier du sionisme international) ou était-ce une occasion pour le nouveau monarque de vouloir se donner une stature contre un pays frère exsangue. La différence entre les populations algériennes et marocaines est moins importante que celle des populations vivant dans un même pays sur le continent américain ou européen. Cela ne pouvait pas mieux tomber pour le régime dictatorial issu de l'été de la discorde: le conflit de 1963 allait remiser à l'arrière-plan l'opposition armée qui se dessinait en Algérie et effacer toute contestation politique. L'union sacrée se fit contre le nouvel ennemi de toujours. L'annexion du Sahara occidental, malgré le traité d'Ifrane, n'est qu'un autre épisode de ce conflit larvé qui arrangera toujours les deux régimes si différents et si semblables. Et cela dure.
Gageons que quand le conflit du Sahara sera réglé, il y aura toujours un match de football pour mettre le feu aux poudres.