Algérie

Le festival, la médiocrité et les marionnettes



La troisième session du festival national du théâtre professionnel qui a commencé le 24 mai semble perdu dans les dédales d?une culture aléatoire marquée par les généralités ambiantes et les jeux étriqués de clichés et de stéréotypes sans fin.Encore une fois, cette rencontre, désormais trop routinière, va permettre à dix troupes de concourir pour des prix divers (mise en scène, texte, interprétation?) et à un certain nombre de jouer au Mouggar et au Palais de la Culture devant un public constitué essentiellement de festivaliers. C?est dire qu?Alger ne semble pas du tout intéressé par les bruits d?une manifestation dont on ne connaît pas le budget classé « secret défense », mais qui ouvre ses bras grands ouverts à une smala d?invités sans apporter un plus à une réalité théâtre asphyxiée, marquée par les tourments de la descente aux enfers.Une dizaine de troupes étrangères venues d?un certain nombre de pays (Irak, Tunisie, France, Syrie?) va se produire à Alger et ailleurs, mais personne ne connaît la qualité de ces formations dont on ne sait si elles sont à Alger pour faire du tourisme ou présenter des spectacles. A quoi bon inviter des étrangers s?ils ne servent pas à améliorer la prestation de nos artistes et techniciens qui ont un besoin urgent de formation et de contact avec de grandes formations théâtrales comme ce fut le cas pour les années soixante qui ont vu l?arrivée de grands hommes de théâtre de stature internationale comme Saad Ardache, Alfred Faradj, Dasté, Planchon, Garran, the living theatre, Bread and Puppet. La qualité devient une nécessité dans des théâtres où une seule personne décide quoi monter, même s?il préfère ses propres textes, tout en écrivant et mettant en scène ses pièces. Ne serait-il pas temps de rétablir les comités de lectures, mais véritablement indépendants, sans aucune exclusion ou complaisance ? Comme pour le foot, le théâtre voit désormais petit. Mustapha Kateb était d?une autre trempe et possédait une grande culture lui permettant de voir grand. Il est temps d?arrêter de meubler le programme de noms de pays étrangers qui, eux aussi, ont des groupes ridicules et de belles choses. Il faut aussi savoir que tous les pays arabes, à part peut-être la Tunisie, connaissent une véritable crise de médiocrité au niveau de la représentation théâtrale.Un colloque est organisé dont les contours thématiques sont tellement vagues et flasques qu?on pourrait tout simplement faire du « copier coller » et le tour est joué, d?autant que les gens invités sont, dans leur majorité, inconnus qu?on se met à méditer sur les motivations réelles de ce choix qui coûte cher sur plan financier. Les thèmes, trop généraux, ne peuvent inciter à un débat sérieux : le théâtre et les institutions culturelles et de jeunesse, le théâtre hors les murs, le théâtre et l?environnement social, le théâtre, parlement du peuple?Ce sont des titres bateaux de certaines conférences données au théâtre de Verdure. Il aurait été peut-être plus intéressant d?inviter de véritables personnalités du théâtre comme par exemple des Algériens reconnus, absents de ce séminaire, les Marocains, Abderrahmane Benzaydane ou Hassan Mniai, les Tunisiens, Djedidi ou el Majri, le Libanais Roger Assaf, l?Egyptien Ahmed Atman et bien d?autres qui auraient suscité un véritable débat. Des noms comme Issam Yousfi, Samia Habib, Nader Amrane, etc. pourraient ainsi faire leurs armes dans un colloque qui reste trop général, n?obéissant nullement aux règles scientifiques élémentaires et excluant tout appel à communications, en principe, obligatoire. Le fait du prince semble orienter la programmation dans une manifestation où même les anciens directeurs généraux du TNA, des chercheurs d?importance et des praticiens de renom sont oubliés au moment même où certains hôtes étrangers sont invités pour la troisième fois, aux frais de la princesse, comme Samiha Ayoub par exemple.Tous ces éléments qui semblent poser problème nous amènent à évoquer l?essentiel, c?est-à-dire les pièces programmées qui, beaucoup d?entre elles, parties de l?adaptation, mettent en scène des situations politiques. Comme d?ailleurs « Mabni lil maj?houl » de Annaba, le Rapport de Béjaia, El Khourda de Tébessa ou « Le pêcheur et le palais », une adaptation pour le compte du théâtre de Constantine du roman de Tahar Ouettar par Omar Fetmouche qui a déjà eu affaire à un autre roman, celui de Rachid Mimouni, Le fleuve détourné, mise en scène par Hamida Ait el Hadj. Il faut signaler que le TNA a déjà eu à jouer une pièce tirée d?une nouvelle de Ouettar, Les martyrs reviennent cette semaine, merveilleusement mise en scène par Ziani Chérif Ayad et adaptée par Mhamed Benguettaf qui aurait repris des passages d?un texte de Mohamed Dib, Mille hourras pour une gueuse les insérant dans la pièce, admirablement interprété par Sonia. Les pièces que nous avons vues avant le festival, de qualité inégale, souffrent souvent d?un déséquilibre flagrant entre la dimension spectaculaire et le discours verbal transformé en espace monologique, évacuant complètement l?aspect dialogique. Comme si les personnages répètent le même discours à tel point qu?on se met à penser à l?inutilité des autres personnages se satisfaisant de discours redondants et longs, parfois trop moralisants, paralysant toute direction sérieuse des acteurs, chacun fonctionnant comme détaché de l?autre, altérant ainsi le discours théâtral, se caractérisant par une certaine arythmie et un fonctionnement hybride. La maîtrise approximative des autres éléments du spectacle (éclairage, costumes, accessoires?) s?expliquerait par l?absence manifeste de formation qui devrait être un passage obligé à tous les comédiens et les techniciens. Certes, l?enthousiasme marque surtout les productions des troupes privées, souvent absent des structures publiques, l?apparition de formes nouvelles comme les jeux chorégraphiques, la marionnette, le masque permettent de penser que les choses iraient mieux si le volet formation et le contact avec des formations étrangères sont sérieusement pris en charge. Le jury présidé par Sid Ahmed Agoumi et composé de huit autres membres n?aura pas la tâche facile pour décerner le grand prix et d?autres palmes connaissant l?interpénétration de tous les éléments dans la construction d?un spectacle théâtral. Une pièce de théâtre est un espace autour duquel et dans lequel s?articulent plusieurs métiers et de nombreux professionnels, du dramaturge au public en passant par le metteur en scène, le décorateur, le machiniste ou le musicien. C?est l?ensemble des médiations qui marquent le passage de l?écriture dramatique à la réalisation concrète qui donne vie au processus de construction et de représentation d?une pièce théâtrale. Ainsi, le spectacle est le lieu de cristallisation et d?articulation de plusieurs éléments qui s?interpénètrent, s?interpellent et se complètent. Toute représentation est donc relativement autonome et paradoxalement dépendante de multiples réalités extérieures et d?éléments matériels et physiques internes qui, réunis, construisent le spectacle théâtral et apporte une certaine cohérence au discours. L?absence ou l?insuffisance d?un seul matériau influe sur le cours de la représentation. Un spectacle théâtral est donc tout simplement la réunion de nombreux paramètres et de lieux physiques concrets qui fabriquent du sens et investissent l?imaginaire. Nos pièces répondent-elles actuellement à ces paramètres ? Pourra t-on rééditer des spectacles aussi beaux que ceux réalisés par Bouguermouh, Mustapha Kateb, Ziani, Benaissa, Alloula, Allel el Mouhib,etc. ? Ce festival pourrait nous permettre de mieux cerner l?état des lieux de la production théâtrale aujourd?hui.
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