L'on semble bien
voir la tenue de festivals se dérouler entre le paradoxe de l'histoire et
l'irréflexion des décisions. Il est presque admis et de notoriété que seules
les villes, ayant un espace de ruines puissent s'émouvoir dans les pierres
tombales et s'éclater dans les sarcophages éventrés.
C'est sous la
fièvre estivale que toutes nos villes semblent frémir pour s'ériger en des
podiums dignes d'abriter des festivals. Certes, ils ont tous leurs effets
aléatoirement bénéfiques ; secouer un tant soi peu l'habitude, remplir une
mission d'animation agitatrice et créer du remous et du mouvement. Mais en fait
de festivals, tous se ressemblent.
L'on dit pour certains qu'il s'agit là d'une
tradition. A l'exemple des plus en vogue, Timgad (c'est connu) ou de Djemila.
Pour d'autres, c'est le cachet faussement culturel de la localité que l'on
tente incorrectement de le faire coller à l'un ou à l'autre. Le raï à Sidi
Bel-Abbès ou à Oran, la chanson actuelle à Bordj Bou Arreridj, le film arabe à
Oran... il n'y a rien de thématique dans ce carnaval de tant de festivals. La
Zehouania, la Fella, la Nedjoua, le Kamar, les Caracalla, le Bekakchi,
l'Espagnol et tout le reste passent tous par toutes les scènes. Ils sont là
comme ils seront ailleurs. Sans originalité distincte, ni label solfégique. Le
haouzi avec le rap en accompagnant le malouf et le sraoui peuvent être sur la
même mélodie. Un même orchestre peut faire indifféremment leurs variations
rythmiques.. Donc le heurt se trouve déjà dans la formulation le plus souvent
inappropriée de l'intitulé et de la dimension géoculturelle, très limité du
reste que l'on se plie à en attribuer. A quand un festival spécialisé ? Pour un
seul et exclusif registre. La Tunisie regorge, comme nous, de festivals. Ils
ont un cachet divers et diversifié. Mais l'un d'eux fait tache d'huile. Le
festival d'El Jem. Il est dédié uniquement à la musique classique au sens
classique du terme. Toute la philharmonie de Vienne et d'ailleurs est au
rendez-vous avec les Tunisois, encore fans de ce genre.
Se contenter d'un
encart télévisuel dans sa propre maison, sur son antenne intérieure et sur ses
ondes domestiques est, pense-t-on, une fin en soi pour un festival lourdement
qualifié d'international. Editer un recueil qui n'arrive pas sur les étals de
la haute connexion, ne produit que de l'autosatisfaction. Le mirage. Batna est
célèbre non pas par Timgad, mais par ses Aurès. Sétif l'est par son 8 Mai mais
pas par son Cuicul (dites-vous !). Selon la définition usuelle et universelle,
un festival est censé être une manifestation à caractère festif, organisée à
époque fixe (annuellement, le plus souvent) autour d'une activité liée au
spectacle, aux arts, aux loisirs, etc., et susceptible de durer plusieurs
jours. Il est souvent l'occasion tant attendue de la remise de trophées, de
prix et de récompenses diverses. Jusqu'ici ces normes structurelles sont
aléatoirement respectées. Mais il vise aussi une exportation d'images à l'usage
du monde entier. L'Algérie à besoin de s'internationaliser. Plus d'ouverture.
Une question cependant se pose. De qui de l'artiste ou du festival fait l'autre
? Nos festivals ont été le précurseur à pas mal de stars arabes. Ils se sont
fait sur nos scènes. Mais, si jamais l'on ramène de grosses pointures, même à
coup de milliards, le talent en question serait une tare bonne voie de
transmission et de communication. Au festival de Djemila nulle ombre d'un
journaliste étranger, voire arabe, pourtant consacré à eux ! L'ONCI avec un
responsable inamovible et très courtisé allant jusqu'à inféoder certains walis,
devrait penser plus à affiner les objectifs qu'affuter son absolutisme, sa
supériorité et son irresponsabilité organisationnelle.
Ainsi chez nous,
selon cet office ; à quels objectifs un festival serait-il destiné ? Simple
divertissement ? Remplissage d'un pauvre agenda, banale agitation ou mission
culturelle authentique, itérativement éducative, dynamique ? Que le festival
ait à changer de couleur, de date ou de lieux, l'essentiel se perdrait dans
l'obligation de vouloir faire coûte que coûte quelque chose. La ville n'aurait
jamais donné son nom à un festival épisodique ; si ce dernier n'était le nom
épique de cette ville.
La ville aurait connu tous les aspects des
sciences humaines. La ville fut un bastion de révolte déjà du temps de
l'invasion byzantine. Elle fut tout aussi un creuset intarissable dans la
révolte contre l'occupation française qui mit plus de onze ans, après 1830,
pour pouvoir insidieusement s'y installer. Ce grand sentiment d'amour et de
nationalisme s'est érigé également à travers les âges par les grâces d'une
lutte menée sur divers fronts. La culture en fut un outil rédempteur que
Nourredine Aba, Kateb Yacine, Abdelhamid Benzine et autres surent manier à bon
escient. L'on ne rate plus l'année du festival, pour essayer à chaque coup de
titrer l'édition par des étiquettes, enrobées dans un moule de solidarité
inefficace et paraissant d'ordre politique. La Palestine, El Qods, le Liban,
Baalbek. La solidarité peut se faire autrement. Classiquement aussi. Djemila a
montré ses limites. Cette sixième édition de juillet 2010 qualifiée subitement
et improprement « d'arabe » prouve une fois encore la recherche d'un repère
pérenne.
Paradoxe des
choses et dans la morosité quotidienne d'un été ressemblant aux autres et qui
fait que la cité souffre plus de sources culturelles qu'elle en souffre de
sources hydriques, elle reste confinée dans un veuvage indescriptible quant à
la prospérité et l'épanouissement de la culture. La véritable, celle de tous et
pour tous, sans exclusive, sans carton d'invitation, sans badges, ni bons
d'entrée. Absente, caporalisée et carrément mise au pas, car fortement
budgétisée, la culture dans la ville n'est qu'un programme officiel tracé,
comme l'est par ailleurs la liste des convives ; sur commande, à la pipe et à
la hâte. Elle n'est en somme qu'un protocole d'occasions et de circonstances.
Elle vise plus une cible de pouvoir remplir une case de service fait que
d'opter pour distraire une population.
Si pour le commun
des citoyens la culture demeure un comportement, l'art une attitude et la
science une recherche, il en est autrement pour les serviteurs du secteur qui,
par obligation ou par mécénat, devaient imaginer, sinon laisser faire et
encourager, l'initiative, la parole et l'acte de culture. Les journées
littéraires d'une ville d'à côté ont pu, hélas, enregistrer un
interventionnisme extra-poétique. Inculture ! Impudence !
L'on aurait voulu que nos festivals ne soient
pas uniquement un contenu hybride d'un lot de spectacles à mettre au-dedans
d'un amphithéâtre romain. L'art du spectacle ou le spectacle vivant comme l'on
dit ; se devait de dépasser le cloisonnement du seul but de divertir. Certes
faire oublier la morosité journalière serait, entre autres, l'un des soucis de
cette production de joie instantanée lors d'une représentation en public. La
joie est partagée et trop vite consommée. Le retour au jour difficile et
contraignant ferait subitement omettre sur la scène le spectacle,
l'enthousiasme et les décibels. D'autres décibels viennent le jour tarauder les
méninges fragilisées du spectateur d'hier soir. Le quotidien, les affres du
menu du jour. Le crédit bancaire, la loi de finances complémentaire, le
Ramadhan, sa propre loi de finances, ses compléments et le couffin feront le reste
de l'ultime assaut. Ils sont ainsi ces festivals censés donner une activité
apte à faire détourner l'attention d'un public de ses majeures et essentielles
préoccupations. La survie ou la mal-vie.
Quoi de plus ahurissant que de ne pas voir
s'éclore, hors toute hiérarchie, des talents, des Å“uvres et des chefs-d'Å“uvre ?
La culture n'est pas dans une administration ni se résume au desideratum d'un
pouvoir à l'Å“il culturel clos et semi-muré. A la voix asséchée, sèche, tarie et
aride. Elle devait être au moins une simple passion lorsque l'ambition de
l'avoir n'arrive point à câliner le moindre déclic. Et pourquoi devront-ils
nous argumenter ces organisateurs que le festival n'est autre que dans la
chanson locale, arabe ou timidement internationale ? Il y a bien, ailleurs, des
festivals sans cor, ni cri, ni trompette. La famille des loisirs est large de
gammes et de produits. Elle va de l'image, au son, passant par les deux pour
arriver jusqu'au rituel, le mimique, l'ancestral, le traditionnel, le local,
etc. Il y a l'épi, le blé et les hauts plateaux qui sont plus rentables et
profitables et moins dispendieux que ne le sont les triples ou les doubles
canons.
D'une édition à
une autre, la commune de Djemila manifeste bien son insuffisance matérielle
quant à l'organisation d'une telle représentation. L'on ne se rappelle d'elle
que lors d'une dizaine de jours l'an. Une unité de production, d'industrie ou
de création d'emplois serait vue opportune et grandement utile aux yeux de ses
habitants médusés et en euphorie le temps que dure le festival pour se
retrouver, vite rejetés dans l'oisiveté et la mal vie meurtrières de tous les
instants. Tous les moyens, tout segment confondu arrivent de Sétif.
L'éloignement, la mobilisation de l'important cordon sécuritaire, le ravalement
du tronçon, l'éclairage routier occasionnel et toute la tracasserie logistique,
transport de troupe, ravitaillement etc.… devront arriver à faire décider la
cessation de Djemila dans sa dimension actuelle. Une revalorisation du site
douée d'une politique d'attraction touristique ferait office d'un renflouement
festivalier permanent et continuel. Ainsi le site romain dans toute sa valeur
archéologique serait sauvegardé. Il devra de la sorte revenir à son originalité
intouchable de lieu historique. Un livre ouvert à même le ciel que les pas de
noctambules en quête de décibels ne pourront plus fouler ni profané. Ainsi
renaitra, dans l'antique Sitifis, au sein d'un théâtre de verdure qui tarde à
venir pour garnir le pauvre décor culturel sétifien ; le Festival de Sitifis.
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Posté Le : 05/08/2010
Posté par : sofiane
Ecrit par : El Yazid Dib
Source : www.lequotidien-oran.com