Le commandant Rabah Mokrani, de son nom de guerre Si Lakhdar, est né le 6 février 1934 à Guergour, un douar situé à l’ouest de l’ex-Palestro, au sein d’une famille de paysans. Dès l’âge de six ans, il est inscrit dans une école primaire dans des conditions difficiles d’adaptation puisqu’il devait parcourir une dizaine de kilomètres à pied entre sa région natale et le chef-lieu de la commune pour pouvoir poursuivre ses études. Malheureusement, du fait des conditions sociales très modestes de sa famille, il est mis fin de façon prématurée à son cursus scolaire, pour rejoindre une école d’apprentissage au sein de laquelle il apprend le métier de maçon, seule activité accessible aux individus d’origine indigène, à une époque où une grande misère a été engendrée par la Seconde Guerre mondiale, ponctuée par les massacres du 8 mai 1945 et les exactions de l’armée française contre les Algériens, privés d’un minimum de survie.
Agé de dix-sept ans en 1951, le jeune Rabah Mokrani se met en quête d’un travail. Durant trois années, il est employé tour à tour par des particuliers pour lesquels il effectue de menus travaux afin de subvenir aux besoins de sa famille. Bon an, mal an, ce maçon d’un genre particulier se forge une personnalité et prend conscience de la nécessité de se lancer dans le combat pour la libération de son pays du joug colonial. Agé de 20 ans au début de l’année 1954, il est contacté par le Front de libération nationale pour organiser les cellules locales chargées du recrutement de combattants appelés à rejoindre les maquis en vue du déclenchement de la lutte armée.
Après le 1er novembre 1954, il se retrouve à la tête de plusieurs groupes de maquisards disséminés à travers les régions de Palestro et Aïn Bessem et au début de 1955 il en devient responsable politico-militaire. Au mois de mai de la même année, il fait la rencontre d’Ali Khodja, un ancien sergent qui venait à peine de déserter les rangs de l’armée française en détournant un important lot d’armes vers les maquis des monts de Bouzegza.
Si Lakhdar était l’ami inséparable d’Ali Khodja, un compagnon de lutte et un frère. Faisant usage d’une stratégie de guérilla de haute facture, ils parvinrent à mettre sur pied des commandos d’une puissance inégalée qui soulevèrent l’admiration des forces coloniales. L’action, le courage et les techniques de guérilla de Si Lakhdar au sein de la Wilaya IV étaient devenus légendaires à tel point que la peur s’installa dans le camp ennemi, ce qui le rendit célèbre parmi la population algérienne habitant les contreforts de l’Atlas blidéen. En octobre 1956, ses qualités de meneur d’hommes et d’organisateur lui valurent d’être promu au grade de capitaine, en qualité de chef de la Zone 1 de la Wilaya IV puis, en janvier 1957, il fut nommé membre du commandement de la Wilaya IV, adjoint du colonel Si M’hamed Bouguerra avec le grade de commandant.
Investi de cette responsabilité et fier de la confiance placée en lui, Si Lakhdar lança un vaste chantier de formation, d’organisation et de structuration des troupes de l’ALN dans le but d’intensifier les actions militaires contre l’occupant français. Chaque secteur fut doté d’une section, chaque région d’une katiba et des bataillons de 400 à 500 éléments furent formés et prêts à rallier les zones de combat. Si Lakhdar élabora un manuel sous forme de guide intitulé De la guerre à la guérilla dans lequel étaient décrits les principes, les techniques et la stratégie de la lutte armée. Ce précieux document fut largement diffusé à l’attention des unités de l’ALN. Au cours des deux années qui suivirent la mise en place par Si Lakhdar de toute cette organisation armée, de retentissantes victoires furent inscrites à l’actif de l’ALN.
Dans la nuit du 4 au 5 mars 1958, alors qu’il se trouvait à la tête de deux sections de la katiba Zoubiria sur le mont Belegroune, dans la région de Djouab (Médéa) en compagnie d’Ali Khodja, d’importants bataillons de l’armée française, appuyés par des blindés et des chars, firent route en leur direction.
A l’aube du 5 mars, plusieurs unités militaires françaises cantonnées dans la région, notamment celles de Tablat, Souagui, Sour El Ghozlane et Berrouaguia, représentant des milliers de soldats, se dirigèrent sur le mont Belgroune pour encercler l’unité de l’ALN conduite par le commandant Si Lakhdar. L’affrontement devint inévitable et dès les premiers échanges de tirs plusieurs dizaines de soldats français furent tués. Surpris par l’intensité de la riposte des combattants de l’ALN et leur farouche résistance, les chefs militaires ennemis se retrouvèrent dans la contrainte de faire appel à l’aviation afin de minimiser le nombre de pertes dans leurs rangs et de harceler les forces combattantes algériennes depuis les airs. Cette stratégie fut fatale au commandant, car c’est à la suite d’un tir provenant d’un avion de chasse que Si Lakhdar fut touché. Les membres du commando Zoubiria tentèrent de desserrer l’étau qui se refermait sur eux et réussirent à évacuer Si Lakhdar vers Ouled Zenine, un douar situé près du village de Djouab. Atteint gravement, Si Lakhdar ne survécut pas aux blessures que lui causa le tir aérien. Après avoir semé les troupes françaises qui les poursuivaient, le lieutenant Ali Khodja et ses compagnons inhumèrent le corps de Si Lakhdar au douar Ouled Zenine où il repose. Une stèle commémorative a été érigée sur les lieux en souvenir de celui qui inscrivit son nom en lettres de sang sur l’autel des valeureux combattants qui se sacrifièrent pour que l’Algérie arrache son indépendance. Aujourd’hui, Lakhdaria (ex-Palestro), chef-lieu de commune et de daïra, dans la wilaya de Bouira, porte son nom.
Quelques importants faits d’armes du commandant Si Lakhdar durant l’année 1956 :- Le 9 juillet Si Lakhdar surprend une unité de soldats français chargée de convoyer un convoi de ravitaillement à Guerrouma (à l’ouest de Palestro).- Le 8 août, une patrouille du 117e régiment d’infanterie est attaquée au col Bekkar, au sud de la commune de Tablat et une autre au sud de Larbaâ. Bilan 18 soldats tués.- Le 12 août, Si Lakhdar attaque un détachement du 9e régiment d’infanterie dans la région de Beni Slimane. Bilan : 22 soldats français tués.- Le 21 août, Si Lakhdar tend une embuscade à une section du 1er régiment d’infanterie qui venait d’être débarquée d’un hélicoptère dans la région de Zbarbar. Bilan : 17 morts.- Le 27 octobre, une embuscade meurtrière est tendue à un convoi du 1er régiment d’infanterie coloniale à Beni Khalfoun, dans la commune de Thiers (Kadiria), à l’est de Palestro. Bilan : 12 morts.
Posté Le : 07/06/2019
Posté par : patrimoinealgerie
Ecrit par : Abderrachid Mefti
Source : memoria.dz