Les enseignes de
la vallée de la Soummam
sont prestigieuses. Et sur le port de Béjaïa, le plus
actif du pays, trône le complexe Cevital, symbole du
dynamisme industriel de la wilaya. Vu de plus près, l'élan est fragile.
Le retour de
«l'Etat fort» se conjugue en autant d'embûches. Sans réduire un risque
sécuritaire d'un genre émergent. Des chefs d'entreprises en parlent. Reportage.
Une brume épaisse
s'abat sur la ville de Béjaïa. Noirceur qui contraste
avec l'éclaircie économique que connaît la wilaya. «Béjaïa
est la cinquième plus importante ville du pays !», se réjouit Lahcène, un commerçant originaire de la localité d'El Kseur qui ajoute à brûle pourpoint : «Bgayet
telha, d tamurt n wid ixxedmen (Béjaia
est belle, c'est le pays de ceux qui bossent)», paraphrasant le grand chanteur
kabyle Cherif Kheddam. Lahcène se trompe. Béjaïa occupe,
pour le mieux, la dixième place après Alger, Ouargla, Oran, Sétif, Tizi-Ouzou, Annaba,
Blida, etc. Même dans l'attractivité des investisseurs étrangers elle ne
pavoise pas. A peine une cinquantaine d'entreprises étrangères. Béjaïa, par ailleurs, compte environs 3900 entreprises dont
140 SPA à peine. Plus de 1470 de ces entreprises, soit 37%, interviennent dans
la production industrielle. Minime compte tenu du nombre d'habitants. Même
constat dans le secteur de l'artisanat. À peine 70 entreprises. Mourad Ouchichi, enseignant au département d'économie de
l'université de Béjaïa, explique: «La majorité des
entreprises qui activent dans la wilaya de Béjaïa
sont les petites PME, sociétés familiales en majorité, qui ont émergé durant
les années 90, à la faveur d'un certain climat d'affaires propice, occasionné
notamment par l'absence de l'Etat.» D'apparence, pourtant, les entreprises qui
activent à Béjaïa ne sont pas des moindres : Ifri, Soumam, Danone, Général
Emballage, Alcoost, BEJE Béjaïa,
ALFADITEX, ALCOVEL, TCHIN Lait, Ouasdi International,
etc.. La moyenne basse est de 200 employés. Mais
l'importance des entreprises ne se limite pas au nombre des emplois pourvus. Se
déployer à l'international devient impérieux. Pari difficile. «Ça fait plus de 15
ans que j'ai lancé mon entreprise, nous confesse, timidement M. Benyahia, propriétaire d'une biscuiterie dans la région d'Akbou, les gens, notamment les commerçants, en voyant se
déployer mon entreprise et se multiplier son effectif n'hésitent pas à me dire
que j'ai réussi. Or, pour moi, la réussite, c'est quand on arrive à rivaliser
avec les Français, les Espagnols, les Turcs, les Suisses, etc., mais ceci est
très dur et le climat des affaires est fortement défavorable.»
LA DEPERDITION DE L'ELITE LOCALE: UN
MAL PROFOND
L'émergence de
certaines entreprises, nous explique Mourad Ouchichi,
est plus due à l'absence de l'Etat et la clémence sécuritaire dans la région
durant les années 90. Aucun effort n'a été consenti par les autorités publiques.
Le retour de l'Etat a produit l'effet inverse. L'investissement, à l'heure
actuelle, dans la wilaya de Béjaïa est essaimé
d'obstacles : «la rigidité de l'administration (Douanes, DCP, Impôts, etc.), ses
attitudes «inquisitrices» et «soupçonneuses», «la rareté et la cherté du
foncier industriel», «la saturation du réseau routier et la congestion du port
de Béjaïa», «la cherté de l'énergie, le non
raccordement des zones d'activité au gaz naturel», «la prolifération de
l'informel et des produits importés au rapport qualité/prix inversement
proportionnel», et, plus grave encore, «une situation sécuritaire très
préoccupante, s'agissant notamment du crime organisé, et un front social
bouillonnant.»
L'exode, à
l'intérieur et à l'extérieur du pays, de l'élite locale est un fait. Nombre
d'observateurs de la scène politique nationale expliquent ceci par l'insécurité
ambiante prévalant dans la région. Ceci n'est pas faux, mais, nous explique Laaziz Chekkour, entrepreneur de Sidi-Aich, «les gens ont changé de mentalité. Il est vrai
que l'insécurité indispose plus d'un, mais, tout le monde n'est vraiment
sensible qu'à l'insécurité économique. Donc, si les gens fuient la région, c'est
plus faute de perspectives économiques qu'autre chose puisque, en définitive, les
citoyens lambda n'ont presque rien à perdre économiquement parlant.» Cette analyse,
Mourad Ouchichi la partage. Il pense, en fait, que, en
fuyant le pays ou la région, les gens échappent «au spectre du chômage et de
l'oisiveté». «Effectivement !» approuvent les étudiants-candidats
à l'immigration que nous avons rencontrés à l'université Abderrahmane
Mira. «Il s'agit d'une perte dramatique pour Béjaïa
et sa région de voir ses compétences partir ailleurs. Cela augure un retour à
l'état des lieux prévalant dans les années 60/70/80, durant lequel la région
était exportatrice nette de main d'Å“uvre qualifiée à destination du reste de
l'Algérie et de l'étranger aussi. Au fait, c'est clairement un recul sur le
plan socio-économique qui se profile si les choses persistent dans l'état où
elles sont.»
UNIVERSITE-SPHERE ECONOMIQUE
: LE GRAND FOSSE
Le campus
universitaire gronde de monde. L'université de Béjaïa
a reçu cette année plus de 8 000 nouveaux bacheliers. Les autorités
administratives se réjouissent de la capacité d'accueil de l'université. Mais
évoquent moins volontiers la qualité des formations offertes et leur adéquation
avec les besoins du marché de l'emploi. Les étudiants, quant à eux, sont déjà
dans l'incertitude. Même les nouveaux bacheliers. «Misiria
! Je suis en première année sociologie, je vais sortir dans deux ans et je ne
sais même pas ce que je vais devenir. L'Algérie n'a pas besoin de diplômés dans
ce domaine, je me demande pourquoi elle en forme,» se plaint Kahina, visiblement inquiète non pas seulement pour son
avenir, mais pour celui de milliers d'autres étudiants se trouvant dans une
situation semblable. En somme, l'université est gérée comme un complexe
touristique. Au delà de la qualité des formations dispensées, les étudiants
sont très sceptiques quant à l'acquisition d'un emploi. Un vrai foutre-gueule. Depuis un certain nombre d'années, le groupe
Cevital a établi une passerelle avec l'université de Béjaïa en vue de pallier au problème de l'emploi. Initiative
louable, mais isolée, dans un contexte complexe et surtout identique dans le
pays. «La déconnexion entre l'université et le monde de travail est un résultat
du climat politico-économique dans lequel évolue le pays. Celui-ci est
malheureusement otage de visions politiciennes à court terme au détriment de
l'avenir du pays.» explique Mourad Ouchichi. Le
divorce quasi-total entre l'université et les entreprises a des conséquences
dans la vallée de la
Soummam. Le développement des PME est contraint par la rareté
des ressources humaines bien formées. De plus en plus de chefs d'entreprises
internalisent la fonction formation. General
Emballage, basé à Akbou, et leader national de son
métier, a couplé ses lignes de production à un centre de formation intra-muros.
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Posté Le : 20/12/2011
Posté par : sofiane
Ecrit par : Amar Ingrachen
Source : www.lequotidien-oran.com