Algérie

Le dur métier d'écrire



«Pas de mariage, pas d'enfant, presque pas de métier. Rien. Zéro !» note Jean-Jacques Schuhl à propos de lui-même à l'état civil où il était allé faire ses papiers. De toute sa vie, cet écrivain français a publié deux livres étranges dans les années 1970. Ces derniers, quoique très peu vendus, l'ont rendu légendaire. «Rose poussière», en 1972, roman warholien sans véritable sujet «un livre culte, selon Philippe Sollers, pour ceux qui ne l'ont pas lu», tiré à près de 3.000 exemplaires. Un tirage qui n'était pas, pour rappel, épuisé trente ans plus tard. Et «Télex n°1», en 1976, qui n'a pas mieux percé que le précédent. Après cette courte carrière, J.-J. Schuhl n'a pratiquement rien fait, et ce pendant vingt-quatre ans !Disparu des radars, certains anonymes le disent noctambule dans le Grand-Paris, fumant le cigare, accompagné de célébrités dans les brasseries VIP et les hôtels de luxe. D'autres le donnent pour un sans adresse fixe, menant grand train, mais sans qu'ils ne sachent de quoi il vivait réellement, tant il n'a d'autre métier qu'écrivain.
Ecrivain ! Mais c'est un mot vague, source de beaucoup de maux et d'aléas. Et le hasard a fait en sorte, pardi, que pendant ce quart de siècle d'éclipse, l'auteur «bohème» n'ait rien pondu côté littéraire, sauf quelques textes très courts dans des revues impécunieuses, qui ne paient plus leurs auteurs. Ironie du sort, un jour, en début de l'été 2000, l'homme qui ne fait plus rien a surpris plus d'un. A peine un nouvel ouvrage fut-il édité, que le Tout-Paris s'était ébranlé.
Enfin, l'homme fantomatique avait fait quelque chose de concret ! Quelque chose que plus personne n'a vu venir.»Ingrid Caven», le titre de son roman, a vite conquis l'électorat et la presse a rapporté la nouvelle dans ses unes comme un grand événement. Cerise sur le gâteau, l'Académie Goncourt lui décerna son fameux prix et, en un rien de temps, le livre s'est vendu à des centaines de milliers d'exemplaires. Mais que fait Schuhl pendant tout ce temps où «il ne fait rien» '
Autrement dit, comment peut-il écrire si peu et réussir tant ' Pour donner une idée de ses tourments quotidiens, l'auteur raconte, sur un ton mi-sérieux mi-amusé, le jour éprouvant où il a acheté un borsalino orange : sortant de la boutique, chapeau sur la tête, il fut gêné par le fil en «plastique indéchirable» qui tenait l'étiquette. «Je tirais alors fort sur le fil, se plaint-il, mais il était très solide et je me fis une marque profonde au doigt. Un jour, je m'étais coupé avec une page de Vogue, avec la tranche. Je m'étais mis à saigner, je ne voulais plus recommencer avec le fil de... l'écriture !»


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