Mais si ce procèstarde, l'individu qui n'est pas libéré a droit à une protection d'une autrenature, en l'occurrence, celle prévue au paragraphe 1 de l'article 9 du PIDCP.Cette disposition protège la liberté et la sécurité, garantie identique àcelles relevant des droits fondamentaux d'avoir droit à un procès équitable,dont le déroulement ne doit pas excéder un délai qui s'apparenterait à unesanction camouflée et injustifiée.Inversement, ledélai raisonnable ne prend pas en considération le temps volontairement perdupar l'individu. Le délai raisonnable dont la sanction pèse sur le parquet n'estpas linéaire. Certains délais doivent en être déduits. Il en est ainsi lorsquel'individu a participé à la multiplication des procédures à sa propreinitiative (demande d'assistance judiciaire, d'expertise, recours à un témoin,recours contre les ordonnances du juge d'instruction ou les arrêts de lachambre d'accusation, demandes d'ajournement au procès etc...). Toutefois, leprincipe de la renonciation implicite est beaucoup plus nuancé lorsque l'accuséa consenti à des ajournements demandés par le parquet, en ne demandant pas undonner acte de son opposition au renvoi. Sa renonciation à la protestation doitêtre libre et volontaire. Ainsi, lorsque de nombreux ajournements sont demandéspar le parquet ou ordonnés par la juridiction, le fait que le parquet se trouveen situation d'autorité et que l'accusé, conseillé par son avocat, montre laplus grande obligeance envers son juge, la renonciation n'est donc ni libre nivolontaire. Il n'y a pas renonciation au droit lorsque le silence de l'avocatassistant l'inculpé est dû au fait qu'il ne pouvait faire autrement qued'acquiescer. Ainsi, il ne saurait y avoir renonciation au droit dans un cas oùla discussion pour la fixation de la date du renvoi du procès se discuteexclusivement entre la juridiction et le procureur. De même, il n'y a pasrenonciation si le juge indique ou donne lieu de croire que la date fixée estla première disponible. Par contre, il y a renonciation à ce droit si l'inculpéconsent à une remise demandée dans le but de rendre service au témoin, quiréclame lui-même du temps alors qu'il aurait pu être présent. Le principe ducontradictoire - qui exige que le dossier de poursuite soit communiqué àl'avance à l'avocat de la défense pour lui permettre de se prépareradéquatement, doit être respecté, sans quoi l'ajournement rendu inévitabledonne lieu à comptage pour considérer le délai raisonnable. Qu'en est-il du délai d'appel et du tempspris pour trancher cet appel ? Et du délai de cassation et du temps que la coursuprême prend pour aboutir à une décision ? En Algérie la justice est trèslente, tout le monde le sait. La question mérite examen : les praticiens dudroit savent par expérience que les recours tardent à aboutir et que lesdossiers traînent dans les greffes des parquets du lieu de la premièredécision, et aussi dans ceux de la juridiction de recours. Il faudraitdéterminer si le fait de juger un accusé dix ans après le dépôt d'une plainte àson encontre, ou après son arrestation ou sa détention, viole le principe decélérité ou constitue un abus de procédure. Même lorsqu'un premier procès setermine par une décision de culpabilité reformée en appel, et qu'à la suited'un pourvoi en cassation la décision de culpabilité est cassée par la Coursuprême. Les praticiens n'ont pas posé ce problème. Ils considèrent qu'il leurrevient de surveiller seulement le délai de prescription de l'infraction. Or,un procès qui dure cinq années et plus est une chose courante en Algérie.Lorsque l'individu est innocenté, le délai d'appel ou de pourvoi qui est exercécontre la décision ne peut être assimilé au délai d'enquête précédantl'arrestation ou la détention. A la suite de la signification de l'avis del'appel ou du pourvoi, donc de la possibilité que l'acquittement ou la relaxesoit annulé et l'accusation reprise, le délai est rétabli pour un seconddécomptage pour s'adjoindre au précédant. Dans le cas d'un inculpé (accusé)déclaré coupable, la garantie ne peut s'appliquer pour le temps des recourspuisque l'appel ou le pourvoi est une procédure légale, sauf à prouver unenégligence du parquet dans la transmission du dossier. Reste à savoir à partir de quel moment ledélai commence à courir dans le cas où l'inculpé ou l'accusé doit subir undeuxième procès. A cet égard, deux solutions sont possibles. La premièreconsiste à considérer que la nouvelle période débute au moment de l'arrêt de lacour après appel en matière correctionnelle, ou de l'arrêt de la Cour suprêmeen matière criminelle. Ce délai ne tient donc pas compte de celui couru pour laconclusion du premier procès contre lequel il y a eu appel ou cassation. La secondesolution fera partir le délai à partir du tout premier procès. Il nous semblequ'un inculpé ou accusé, qui aurait alors subi de très sérieux délais, quoiquenon déraisonnables, doit pouvoir invoquer son droit au délai raisonnable sil'affaire devait encore traîner au deuxième degré de juridiction. Cettesolution semble donc a priori plus équitable ; les délais courus devraientfaire l'objet d'une appréciation globale, quoique contextuelle. Cetteappréciation est a fortiori valable lorsque les délais de procédure sontdélibérément prolongés par le parquet dans certaines affaires pour maintenirles inculpés en prison, alors que les dossiers d'accusation restentdésespérément vides. Elle est valable à plus forte raison encore, lorsque, pourse garder la possibilité de rejuger un inculpé (accusé) détenu, on lui tire unnouveau dossier pour l'inculper sur d'autres bases à la veille, ou après, sasortie de prison. Dans ces cas, le détenu a droit à la relaxe(acquittement au ciminel) sans nouveau procès, ou pour le moins à ce quel'arrêt des procédures soit ordonné. Quant au préjudice résultant d'un délaidéraisonnable, deux optiques sont possibles. On peut en définir la réparationsoit en fonction du délai en lui-même, c'est-à-dire en imposant au parquet uneobligation de diligence sans tenir compte des conséquences qui peuvent découlerde son obligation, soit en fonction des effets du délai, c'est-à-dire enprotégeant l'individu objet des poursuites et la société contre le préjudicepossible ou réel découlant d'un retard déraisonnable. Dans ce dernier cas, ilfaut alors se demander s'il y a lieu, en sus, de tenir compte de l'intérêt dela société et de la victime (partie civile) et du préjudice qu'elles peuventsubir suite à l'arrêt des procédures. Le choix de l'une ou l'autre conceptionentraîne évidemment des conséquences importantes. Le seul écoulement du temps ne suffit pas. Eneffet, mettre fin aux procédures en raison du temps écoulé équivaut à imposerune prescription à l'égard d'une infraction pénale, et le droit à un procèséquitable n'est pas compromis par un long délai avant le procès, et à plusforte raison lorsque l'inculpé (accusé) n'est pas détenu. Inversement, unedécision qui ordonne l'arrêt des procédures peut être considérée à titre de réparationet pour sanctionner l'abus de procédures du parquet. Il semble que même sil'inculpé (accusé) n'a pas subi de préjudice, l'arrêt des procédures pourraitnéanmoins être ordonné si la conduite de la poursuite a commis un abus deprocédures. Ce préjudice doit donc être prouvé, sous réserve que l'accusépuisse invoquer des présomptions à cet égard. D'un autre côté, on peutconsidérer qu'il y a une présomption irréfragable que l'inculpation enelle-même entraîne un préjudice qui croît avec le temps, ne serait-ce que parle stress qu'elle provoque. Dans ce cas, il suffit donc que l'accusé démontreque le temps écoulé est déraisonnable. L'inaction du juge d'instruction ou dujuge du procès devant une décision qui se prend généralement en quelques jourscause une violation du texte, et devrait entraîner l'arrêt des procédures. L'accusé qui subit une interdiction deconduire par retrait de permis en attendant de passer en jugement subit unpréjudice évident. Le délai déraisonnable implique qu'il est exposé, sur leplan pratique, à être puni deux fois, particulièrement lorsque ce permis est lemoyen de subvenir à son existence. Il en est encore ainsi, par exemple, despossibilités de disparition de témoins en faveur de l'individu ou de leur pertede mémoire. Le droit vise également à protéger l'intérêt public, et notamment àdiminuer l'angoisse des victimes et témoins par une plus grande obligation dediligence. Le retard apporté au procès par le parquet révèle une absenceévidente de préoccupation à l'égard du rythme des procédures et de saconséquence sur le procès et sur la vie des gens. On ne peut, à l'égard dequiconque et à plus forte raison à l'égard du parquet, tenir compte du faitqu'il n'est pas dépourvu de connaissance du droit et, par ailleurs, qu'en tantque représentant de la société et donc de l'accusé lui-même, le délaidéraisonnable produit des dommages en plus du stress et de l'angoisse résultantde procédures très lentes, de la stigmatisation et autres inconvénients quidécoulent d'une poursuite judiciaire. Pourtant, il y a deux types de délais : ceuxcommuns à toutes les causes pénales, que sont les délais préparatoiresinhérents à l'enquête préliminaire et l'instruction, ainsi que ceux quiviennent après et jusqu'à l'ouverture du procès. Les premiers sont constitués d'éléments commele recours aux procédés d'enquête policière, aux expertises, aux documents dela police et de l'administration... Puis ceux, après arrestation, de la garde àvue et jusqu'à la présentation de l'individu au parquet avec les communicationsdes charges, avec la présentation devant un juge d'instruction, ou la réceptiond'une convocation émanant d'un juge d'instruction tendant à l'inculpation, lesdélais de recherche d'un avocat, les auditions des parties et des témoins parl'instruction. La longueur de ces délais préparatoires est susceptible devarier en fonction des pratiques locales et de la catégorie d'infraction,notamment lorsqu'il s'agit d'une procédure qui exige l'instruction obligatoireen matière criminelle, et seulement facultative dans le reste des cas. S'il y ainstruction, le droit accordera une période préparatoire qui seranécessairement plus longue. Le rôle de la Cour suprême dansl'établissement de seuils en matière de délais raisonnables consiste à fixerdes maximums nationaux, dans le double but de protéger les libertés et droitsfondamentaux de l'homme d'une part, et, d'autre part, de réduire d'autant letemps protégé et ainsi diminuer la pression sur le système judiciaire. Elledoit prendre une décision en pondérant plusieurs facteurs. Mais elle doitconsidérer cette garantie comme une protection dans son optique collective,comme faisant partie de l'ordre public, c'est-à-dire une institutionfondamentale de notre système judiciaire, ce qui empêcherait l'inculpé d'yrenoncer unilatéralement. Ceci parce que la société a un intérêt à s'assurerque ceux qui transgressent la loi soient traduits en justice rapidement ettraités selon la loi, dont le respect est d'intérêt collectif. Les juridictions inférieures (cours ettribunaux, y compris les tribunaux militaires) qui sont plus à même deconnaître les réalités locales peuvent fixer des seuils plus exigeants. Mais laCour suprême doit se montrer perspicace contre une interprétation abusive deslimites qu'elle prescrit. D'autre part, le seuil n'est ni une période deprescription ni une durée maximale. L'objectif de telles normesjurisprudentielles est qu'il s'agit de reconnaître qu'il y a une limite audélai toléré pour épargner aussi les ressources de l'Etat. Les délais demandés ou causés par leministère public sont évidemment comptés à son détriment. Ainsi, le parquet estresponsable d'un retard inexpliqué causé par l'absence de détails de lapoursuite entraînant l'annulation de la poursuite, qui est souvent reprise plustard par lui. Sur le même plan, un délai plus long s'explique par le volumed'affaires beaucoup plus grand d'une juridiction particulière. Il en résultedonc que la Cour suprême doit être prête à tolérer, outre les délais inhérentsà une affaire proprement dite, des délais supplémentaires contextuels.Toutefois, on doit admettre dans le cas des mineurs des délais plus courts, dufait qu'un retard est plus susceptible de causer un préjudice à un adolescentqu'à un adulte. La capacité d'un jeune d'apprécier le lien entre sa conduite etses conséquences pénales ultérieures est moins développée que chez l'adulte.Par contre, la poursuite ou la défense n'est pas tenue de choisir la stratégiejuridique la plus expéditive. Nous avons déjà mentionné que l'accusé devaitassumer les délais occasionnés par sa propre stratégie de défense. Toutefois,cet aspect ne devrait pas être interprété comme si l'on blâmait l'accusérelativement à certaines parties du délai. Les actes de défense de l'accusé nesont pas tous dénués d'effet sur son droit à un délai raisonnable. Les actes decette catégorie peuvent comprendre des requêtes de procédure, visant parexemple l'incompétence d'attribution ou celle territoriale, les contestationsde la citation à comparaître, les contestations des actes d'instruction, etc...Il ne faudrait pas acculer les accusés pour qu'ils sacrifient toutes lesprocédures préliminaires de défense et leur stratégie. Néanmoins, s'ilschoisissent de prendre des mesures dilatoires, il faudra en tenir compte pourdéterminer le délai raisonnable. Souvent, les délais sont allongés parce queles juges prennent beaucoup de temps pour motiver leurs jugements, retardantles actes de la défense lors d'un recours éventuel. Le temps qui s'écoule entreun jugement de tribunal, ou une décision de cour d'appel ou d'un tribunalcriminel et la transmission de l'entier dossier soit à la cour d'appel soit àla Cour suprême est extrêmement long. ConclusionLes délais dejustice sont un problème de société. En principe, l'individu a le droit derevendiquer d'être jugé dans un délai raisonnable. On peut ne pas admettre leraisonnement soutenant une violation du droit lorsque les délais sont excessifsmais que l'accusé est en liberté. Or, il peut alléguer le stress inhérent auxprocédures, les souffrances, les angoisses et, en sus des problèmes émotifs,ceux financiers. Si le préjudice résultant de la violation du droit au tempsdoit aussi être apprécié en tenant compte de la victime et de la société aprèsun arrêt des procédures, surtout lorsque l'infraction reprochée est grave etsérieuse, ce n'est pas toujours le cas. Les tribunaux regorgent d'affairescorrectionnelles banales. La Cour suprême se doit en tout casd'élaborer une jurisprudence quant à l'interprétation que doit recevoirl'article 9 du PIDCP. Le respect du droit doit être privilégié à sa violation,c'est aussi cela la seule possibilité pour la justice algérienne de ne pasdemeurer, comme elle l'est aujourd'hui, hors du temps. Cette jurisprudence serad'ailleurs utilisée comme une norme ou un mécanisme par lequel les tribunauxsont appelés à gérer la croissance du volume des affaires. Dans le domaine dela justice, comme dans tous les autres domaines, notre société doit repenser etréajuster ses priorités et, par dessus tout, apprendre la valeur du temps.L'Etat devra sans doute envisager des solutions de dépénalisation et dedéjudiciarisation pour soulager les tribunaux. Mais c'est-là une autre question, que nouslaisserons ... au temps.
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Posté Le : 16/05/2007
Posté par : sofiane
Ecrit par : Ibrahim Taouti: Avocat
Source : www.lequotidien-oran.com