Au Burkina Faso, le Conseil national de transition (CNT), qui fait actuellement office de Parlement, est présidé par le journalisteCheriff Moumina Sy. Connu par les professionnels des médias partout en Afrique pour ses prises de position contre l'impunité et surtout pour davantage de liberté pour la presse, il soutient que la priorité du CNT est de donner satisfaction à la volonté de changement exprimée par les Burkinabè à travers la révolution d'octobre 2014, qui a chassé Blaise Compaoré du pouvoir.Cela fait maintenant cinq mois que Blaise Compaoré a été chassé du pouvoir. Quelle évaluation faites-vous de la gestion de cette période de transition par le président Michel Kafando et le gouvernement d'Isaac Zida 'Cinq mois pour corriger les tares de 27 ans d'autoritarisme, de népotisme, de gabegie, de corruption doublés d'un mépris pour le peuple souverain, j'avoue que ce n'est pas un exercice facile. Mais il y a déjà quelques mesures fortes qui me paraissent importantes dans la redéfinition du pacte social pour une meilleure gouvernance administrative et politique afin que les fruits de la croissance puissent profiter à tous les Burkinabè.Le gouvernement de transition a adopté le 16 mars 2014 un plan socioéconomique d'urgence de la transition en vue de faire face aux fortes attentes des populations en dépit de l'austérité.C'est un programme de plus de vingt-cinq milliards de francs CFA qui met l'accent sur le soutien aux initiatives des jeunes et des femmes par la création de richesse au sein des couches vulnérables. Il vise la création de dix mille unités économiques, le renforcement des infrastructures éducatives et sanitaires avec la création de plus de trente mille emplois. Il y a également l'adoption d'une série de mesures visant la réduction du train de vie de l'Etat, la baisse du prix du carburant à la pompe, l'organisation des Etats généraux de la justice qui a abouti a l'adoption d'un pacte national pour le renouveau de la justice et j'en passe.L'une des priorités de la transition, c'est l'organisation d'élections libres et transparentes. Des ressources ont été mises à la disposition de la commission électorale indépendante par le gouvernement pour entamer le processus. Avec le soutien de partenaires du Burkina, le processus devrait être conduit à son terme à la satisfaction de tous.Les réformes engagées jusque-là par les autorités de transition vont-elles dans le sens des aspirations des Burkinabè qui veulent plus de justice sociale, davantage de démocratie et une meilleure gouvernance 'Absolument. Des actes majeures ont été posés dans le sens de la réforme de la gouvernance administrative et politique. Mais dans un contexte où tout est à refaire, j'avoue que ce n'est pas évident de satisfaire toutes les revendications en un temps record. Les attentes sont pressantes à tous les niveaux. Elles sont toutes légitimes, mais malgré sa bonne foi, le gouvernement de transition ne dispose pas d'une marge de manoeuvre suffisante aussi bien en termes de temps qu'en termes de ressources disponibles pour résoudre ces questions.C'est pourquoi, tout en comprenant les impatiences et la vigilance citoyenne de notre peuple, nous en appelons à une trêve sociale pour permettre aux institutions de la transition de se concentrer sur l'une de leurs missions fondamentales, à savoir organiser des élections et opérer certaines réformes législatives et réglementaires en vue du renforcement de la démocratie et de l'Etat de droit.Quelles sont les priorités que se fixe le Parlement de la transition que vous présidez ' Y a-t-il un ou des chantiers qui vous tiennent particulièrement 'Aujourd'hui, nous devons poser les jalons d'une nation solidaire, d'un Etat social, d'une économie solide et durable, d'une administration publique performante, d'une société juste et équitable, d'une démocratie ouverte à travers une production législative de qualité.L'Histoire nous interpelle et, parce que nous aimons notre pays, avec détermination et volonté nous devons réussir absolument la mission qui nous a été confiée dans le cadre de cette transition.Au cours de son unique session, le Conseil national de transition a procédé à l'examen et à l'adoption du budget de l'Etat, gestion 2015, dans un contexte de réformes profondes à opérer dans presque tous les secteurs d'activité de notre pays. L'arbitrage du CNT s'est fait sans complaisance, en nous mettant, au nom du devoir républicain, au-dessus des intérêts partisans et en tenant compte des attentes des populations et des impératifs de développement.Outre l'adoption du budget de l'Etat, gestion 2015, le Conseil national de transition a adopté d'importants projets de loi, notamment celui sur la corruption, qui porte à lui seul la volonté de mettre fin à une pratique vieille de plusieurs décennies et qui a impacté considérablement l'économie du Burkina. D'importants projets de loi sur le code minier, le code électoral, l'assurance maladie universelle et bien d'autres seront examinés au cours de notre unique session.Les parlementaires ne doivent pas seulement voter la loi. Il leur revient de veiller à son effectivité et à son efficacité en s'assurant, d'une part, que les décrets d'application sont pris par l'Exécutif et, d'autre part, que la loi produit bien les effets attendus.C'est d'ailleurs cette vision qui nous motive dans la formulation des différentes questions au gouvernement.Quelles difficultés rencontrez-vous dans l'exercice de vos fonctions ' Constatez-vous des résistances au changement 'De la résistance ' Pas tellement. Seul le temps joue contre nous. La législature de la transition est à la vérité spécifique. Elle doit, en moins d'un an, tracer les sillons d'un processus démocratique qui prenne en compte les aspirations du peuple.Cependant, l'impératif de temps ne devrait pas entamer la qualité de la loi. Les objectifs et résultats assignés aux institutions de la transition ne pourront être atteints dans un contexte de tumulte et de désobéissance civile permanente. Il nous faut renforcer notre capital social en renouant avec les vertus de la tolérance, de la confiance mutuelle et du dialogue démocratique authentique que nous avons perdues par la faute d'un régime qui nous a habitués pendant 27 ans à la méfiance et à la manipulation.En onze mois, nous ne pourrons hélas pas satisfaire toutes les attentes et toutes les aspirations légitimes de notre peuple.Tout en jetant les bases pour un futur plus radieux, pour une justice plus crédible et pour une gouvernance plus saine, plus démocratique, nous devons nous concentrer sur l'essentiel : l'intérêt supérieur de la nation burkinabè.Au risque de votre vie, vous vous êtes toujours battu pour que la lumière soit faite sur l'assassinat en 1998 du grand journaliste d'investigation Norbert Zongo. Où en est aujourd'hui le traitement par la justice de cette affaire 'L'ancien régime sous lequel ce crime crapuleux a été commis avait tout fait pour aboutir à un non-lieu, chose que nous avons toujours dénoncée et réfutée. Avec la découverte, lors de l'insurrection populaire au domicile du frère du président Compaoré, de nouveaux éléments qui autorisent la réouverture du dossier nous avons espoir que le dénouement aura lieu bientôt.Outre le dossier Norbert Zongo, il y a celui relatif à l'assassinat du président Thomas Isidore Sankara, pour qui nous demandons justice depuis le tragique 15 octobre 1987, et bien d'autres crimes de sang et crimes économiques commis sous la quatrième République. Le gouvernement a d'ailleurs exprimé, début mars, sa volonté de donner les moyens à la justice pour élucider ces différents dossiers.De nombreuses familles meurtries attendent toujours, dans le huis clos de leur deuil, le dénouement de nombreux dossiers judiciaires. Il faut que la vérité triomphe et que la justice soit rendue.Ni justice expéditive ni justice arbitraire. J'invite l'institution judiciaire, qui a souffert d'une instrumentalisation sans limites sous l'ancien régime de Compaore, à profiter de cette transition pour redorer son blason en veillant à une très bonne et rigoureuse application des lois de la République. Tout en respectant le principe de la séparation des pouvoirs, j'encourage le gouvernement et l'institution judiciaire à redoubler d'efforts pour l'avènement d'une véritable justice.De nombreux observateurs politiques au Burkina craignent le retour au pouvoir, à l'occasion des élections d'octobre prochain, des personnalités sur lesquels l'ancien président, Compaore, s'est appuyé pour asseoir son régime.Ces craintes sont-elles justifiées ' Blaise Compaoré tire-t-il encore les ficelles au Burkina, comme cela se dit ' Concrètement, le Burkina Faso est-il maintenant immunisé contre l'autoritarisme 'Le simple fait de ressasser le douloureux souvenir des 27 ans de dictature doublé d'un mépris pour le peuple burkinabé commande une vigilance du peuple.Il ne faut point se laisser divertir par des marchands d'illusions. Comment qualifier des gens qui, après avoir construit pendant 27 ans le nid du dictateur Compaoré et clamé sur tous les toits qu'ils n'ont pas d'autres candidats que ce dernier, se redécouvrent subitement un destin national. Je crois que cette une injure faite à toute la nation et le peuple souverain saura leur signifier cela en tant opportun.Que Blaise Compaoré continue de tirer les ficelles, nous ne craignons rien, mais qu'il sache qu'il aura le peuple en face de lui.Ce peuple mature qui refuse d'être otage d'un régime aux intérêts bassement matériels et partisans. Le temps où les Burkinabè s'étaient résolus au fatalisme est révolu. Nous sommes en train de réécrire une nouvelle page de notre histoire où il n'y a pas de place ni pour l'autoritarisme ni pour la corruption et la mal gouvernance.
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Posté Le : 05/04/2015
Posté par : presse-algerie
Ecrit par : Zine Cherfaoui
Source : www.elwatan.com