Algérie

Le double châtiment du narcotrafiquant d'El-Hamri



? Fait rare dans les anales judiciaires d'Oran, un accusé a comparu devant le tribunal criminel sur une civière pour répondre du chef d'inculpation de trafic de drogue. En cause, un très mauvais saut qu'il a effectué depuis le 3ème étage de sa maison pour tenter d'échapper à la police. Résultat : ses membres inférieurs sont paralysés et il risque de ne plus pouvoir marcher.Plus de 6.000 comprimés de Rivotril
Les faits sont simples et remontent à septembre 2016. S. Slimane, 35 ans à l'époque, est suspecté de détention et de commercialisation de stupéfiants dans le quartier d'El-Hamri. Il fait l'objet de surveillance des services de police qui, le dimanche 18, décident de passer à l'action et investissent la maison du suspect. En voyant les policiers, Slimane tente le diable et s'élance à travers la fenêtre de sa chambre située au 3ème étage pour atterrir dans la cour, la colonne vertébrale fracturée. La perquisition du domicile permet aux policiers de mettre la main sur 261 grammes de kif et plus de 6.130 comprimés de Rivotril. Le jeune frère de Slimane, Omar, âgé de 25 ans, est également interpellé. Dans son appartement du 2ème étage, la police trouve 72 millions de centimes qui pourraient, suppose-t-on, provenir du commerce de la drogue.
Interrogé, Slimane ne nie pas les faits et livre les noms de deux complices qui, affirme-t-il, lui avaient fourni les stupéfiants : il s'agit de Ch. Abdelkader, 32 ans, et B. Djillali, 22 ans. Les enquêteurs parviendront à localiser Abdelkader et à l'interpeller mais échoueront à mettre la main sur le second suspect.
Confronté aux charges qui pèsent sur lui, Omar se défend de tremper dans le trafic de drogue : «L'argent trouvé chez moi n'est pas le produit de la vente de drogue. Je viens simplement de vendre ma voiture», assure-t-il en présentant l'acheteur qui a confirmé ces déclarations devant le juge d'instruction. Il sera inculpé mais bénéficiera de la mise sous contrôle judiciaire. Quant à Ch. Abdelkader, il niera toute implication et accuse Slimane de l'avoir incriminé par vengeance : «Nos deux familles ont un différend qui remonte à 1996. C'est pour cela qu'il tente de m'impliquer», jurera-t-il. Il sera malgré tout incarcéré en attendant le procès durant lequel les trois répondront des chefs d'accusation de détention et mise en vente de produits stupéfiants en bande organisée suivant l'article 17, alinéas 1 et 3, de la loi 04-18.
A la barre sur civière
Lors du procès qui a lieu ce mardi, S. Slimane se présente sur une civière portée par des agents de police. Allongé sous une couverture de couleur marron, une poche à urine sur le ventre, S. Slimane fait peine à voir et attire les regards compatissants de l'assistance. D'une voix haute et claire, il reconnaît les faits qui lui sont reprochés : «Depuis 2016, je subis la pire des condamnations. Je suis là pour dire la vérité», assure-t-il en soutenant que son frère est innocent et en maintenant les déclarations selon lesquelles Ch. Abdelkader est son fournisseur : «Je venais de sortir de prison quand il est venu avec B. Djillali me proposer de revendre la drogue. Je devais subvenir aux besoins de ma famille», relatera-t-il en fondant en larmes quand il se rappellera les avertissements de sa mère : «Elle n'a pas cessé de me réprimander mais je ne l'ai pas écoutée», gémira-t-il la voix pleine de regrets.
A la barre, le petit frère répètera qu'il n'avait rien à voir avec le trafic de drogue : «J'ai dit à Slimane de ne pas s'embarquer dans ces histoires, il n'en a fait qu'à sa tête», dira-t-il en jurant que l'argent retrouvé chez lui n'est pas le produit du commerce de drogue : «Je passe mes journée au marché et je ne rentre que pour la nuit», affirme-t-il en ajoutant qu'avant cette sombre affaire, il était en froid avec son aîné en raison de ses activités illégales.
Ch. Abdelkader, le visage défiguré par plusieurs balafres, stigmates de sa vie agitée de voleur et de bagarreur, s'emporte à la barre : «C'est à cause d'un différend familial qu'il tente de m'embarquer dans cette histoire. Je ne lui parlais plus, nous n'avions aucun contact, comment aurais-je pu m'acoquiner avec lui '», demandera-t-il en remontant son tee-shirt et baissant son pantalon pour révéler de nombreuses autres cicatrices infligées, selon lui, par Slimane : «Il s'est attaqué à ma grand-mère, ma mère, mon père…je n'aurais jamais pu travailler avec lui dans quoi que ce soit», dira-t-il encore en reconnaissant que son parcours est parsemé de bagarres, de vols et de séjours en prison «mais jamais pour trafic de drogue».
A l'origine, un meurtre...
Dans un semblant de réquisitoire, le représentant du ministère public dira se «contenter de ce qui s'est échangé lors des débats» pour requérir contre l'ensemble des accusés 20 ans de réclusion criminelle assortis d'une amende de cinq millions de DA.
Premiers à intervenir, les avocats de S. Slimane axeront leur plaidoirie sur la situation de leur client : «Il n'y a pas pire châtiment que l'état dans lequel il se trouve présentement», diront-ils en soulignant qu'après l'échec d'une première opération chirurgicale, il lui reste «une infime chance» de récupérer l'usage de ses jambes grâce à une seconde intervention. Les avocats finiront par réclamer les circonstances atténuantes. Le défendeur de S. Omar demandera, lui, l'acquittement de son client en s'appuyant sur le témoignage de l'acquéreur de la voiture et la décision du juge d'instruction de ne pas écrouer son client à titre préventif.
Quant à l'avocat de Ch. Abdekader, il affirmera que son client a été incriminé par vengeance par le principal accusé à cause d'un conflit remontant à la fin des années 1990. Le meurtre commis par des amis de Slimane est, selon lui, à l'origine de la haine qui s'est installée entre les deux familles voisines d'El-Hamri : «C'est ce qui explique la présence de mon client à ce procès. Autrement, aucune drogue, aucun matériel servant traditionnellement au trafic de stupéfiants, n'ont été trouvé chez lui.
Un acquittement au goût amer
Et aucun échange téléphonique entre les deux hommes n'a été relevé à l'enquête», dira-t-il en soulignant que la loi ne prend pas en compte les accusations d'un prévenu contre un autre prévenu si aucune preuve matérielle ne vient les soutenir. L'avocat demandera également l'acquittement de son client.
A l'issue des délibérations, seul S. Slimane sera reconnu coupable de trafic de drogue et condamné à 20 ans de réclusion criminelle. Ch. Abdelkader et S. Omar seront, eux, déclarés innocents et élargis. Mais pour Omar, l'acquittement aura un goût amer. Il sortira en pleurant sur le sort de son frère, toujours allongé, attendant que l'on vienne le porter vers le véhicule hospitalier qui le ramènera à l'infirmerie de la prison.


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