La blogosphère
s'émoustille des rumeurs de disparition du dollar. Le billet vert a chuté de
15% par rapport à l'euro depuis le début de l'été.
Les banques
centrales ont progressivement cessé d'accumuler des dollars et préfèrent
d'autres monnaies. Une histoire sensationnelle, même si elle n'est pas
vérifiée, prétend que les États du Golf seraient en train de conspirer avec la
Chine, la Russie, le Japon et la France (une bien drôle de coalition, n'est-ce
pas ?) pour établir le prix du pétrole à partir d'une autre monnaie que le
dollar.
Les économistes n'ont aucun problème à
expliquer la faiblesse du dollar a posteriori. Les ménages américains épargnant
plus pour reconstituer leur retraite, le pays doit exporter plus. Il faut un
dollar plus faible pour rendre les biens américains plus attractifs aux yeux
des consommateurs étrangers.
En outre, le ralentissement des flux de
capitaux étrangers vers les Etats-Unis résulte de la désillusion provoquée par
une des grandes spécialités des institutions américaines, ces instruments
sophistiqués qu'elles ont créé et distribué. Le dollar est affaibli par la
baisse des achats d'actifs américains. Les conjoncturistes, par extrapolation
du passé dans l'avenir, prévoient une baisse encore plus importante.
La première chose à dire à ce sujet est qu'il
faut se méfier des prévisions des économistes, surtout celles à court terme.
Nos modèles sont clairement incapables de prédire les mouvements monétaires sur
quelques semaines ou quelques mois.
Je suis bien placé pour le savoir. Lorsque la
crise des surprimes a éclaté en septembre 2007, j'ai publié un article dans un
éminent journal financier intitulé « Pourquoi est-ce le bon moment de vendre du
dollar ». Ce qui s'est déroulé par la suite, bien sur, c'est que le dollar
s'est fortement renforcé, dans la mesure où les investisseurs, recherchant
désespérément des liquidités, se sont précipités sur les bonds du Trésor
américain. Puis le dollar s'est effectivement remis à la baisse pour remonter
en flèche à la suite de la faillite de Bear Stearns et des problèmes d'AIG.
Sur des périodes de plusieurs années, nos
modèles s'améliorent. Sur cette échelle de temps, il faut se concentrer sur la
nécessité pour les États-Unis d'exporter plus et sur la difficulté croissante
de l'économie à attirer les capitaux étrangers. Ces facteurs laissent à penser
qu'il faut s'attendre à d'autres faiblesses du dollar.
La question est : Faiblesse contre quoi ? Pas
contre l'euro, qui est déjà cher et qui est la monnaie d'une économie avec des
problèmes structurels et bancaires plus sérieux que ceux des États-Unis. Pas
contre le yen, qui est la monnaie d'une économie qui refuse de grandir.
Donc, une éventuelle dépréciation du dollar
se ferait contre des monnaies comme celle de la Chine et d'autres marchés
émergeants. Leur intervention ces dernières semaines montre quelque hésitation.
Mais leur choix se résume soit à acheter des dollars américains, soit à acheter
des produits américains. La première option est une option perdante.
Sur le long terme, l'OPEP exprimera le prix
de son pétrole à partir d'un panier de monnaies. Elle vend son pétrole de la
même façon aux États-Unis, à l'Europe, au Japon et aux marchés émergeants. Cela
n'a plus de sens d'établir le prix de son pétrole dans la monnaie d'un seul de
ses clients. Et les banques centrales ne concentreront surement pas tous leurs
Å“ufs sur le seul panier dollar lorsqu'elles constitueront leurs réserves.
Au-delà, le dollar ne va nulle part. Il n'est
pas prêt d'être remplacé par l'euro ou le yen, puisque tant l'Europe que le
Japon ont de sérieux problèmes économiques. Le renminbi va arriver, mais pas
avant 2020, et d'ici là, Shanghai sera devenu un centre financier international
de premier ordre. Et même alors, le renminbi partagera probablement la scène
avec le dollar ; il ne le remplacera pas.
La chose qui pourrait précipiter la
disparition du dollar serait une gestion imprudente de l'économie américaine.
Un des scénarii populaire est une inflation chronique. Mais cela est peu
plausible. Lorsque l'épisode des taux zéro prendra fin, la Réserve Fédérale
américaine sera impatiente de réaffirmer son engagement en faveur de la
stabilité des prix. Il y aura peut-être une tentation de gonfler la dette
détenue par les étrangers ; mais en fait, la majeur partie de la dette
américaine est détenue par des Américains qui se constitueraient certainement
en puissant groupe de pression contre cette politique.
L'autre scénario est que les déficits budgétaires
américains ne seraient toujours pas maîtrisés. L'hypothèse d'une faillite est
insensée. Mais une forte dette signifie des impôts élevés. La combinaison d'une
politique budgétaire peu rigoureuse et d'une politique monétaire de
resserrement entrainera des taux d'intérêts élevés, une léthargie des
investissements et un ralentissement de la croissance. La monnaie d'une
économie avec de telles caractéristiques pourrait bien faire perdre leurs
illusions aux étrangers, ainsi qu'aux résidents.
Mark Twain, l'auteur et humoriste américain
du XIXème siècle, avait répondu à des rumeurs sur la dégradation de sa santé en
écrivant que « les rumeurs sur ma mort sont grandement exagérées. » Il aurait
aussi bien pu parler du dollar. Pour l'instant, le patient est stable, si l'on
ne tient pas compte des symptômes extérieurs. Mais il y aura des raisons de
s'inquiéter s'il ne s'impose pas des règles de vie plus saines.
Traduit de
l'américain par Frédérique Destribats
*Professeur
d'économie et de science politique à l'université de Californie à Berkeley
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Posté Le : 29/10/2009
Posté par : sofiane
Ecrit par : Barry Eichengreen*
Source : www.lequotidien-oran.com