«Le roman algérien: une écriture de l’éclatement et de l’éclaboussure»En marge du séminaire national organisé en fin de semaine écoulée à l’université de Sidi Bel-Abbès sur le thème «Le roman, terminologie et concepts narratologiques», le docteur Habib Mounsi a bien voulu répondre à quelques questions suggérées par le sujet de la rencontre.
Docteur d’Etat en critique moderne et contemporaine, il assure actuellement le module de l’analyse du discours à la faculté des lettres et des sciences humaines de l’université Djillali Liabès de Sidi Bel-Abbès. Il est l’auteur de nombreux romans et études publiés chez Dar El Gharb et l’Union des écrivains arabes à Damas (Syrie). «Les tensions de la création poétique», «Vers une vision interne du flux poétique et reliefs du poème», «Poétique de scène dans la création littéraire», «La scène narrative dans le Coran (Lecture dans l’histoire de Youssef)», «La fréquence narrative dans le Coran (Etude des fréquences narratives dans l’histoire de Moussa)» sont les titres de certaines de ses études récentes qui font indiscutablement référence dans leur domaine en matière de recherche universitaire.
A l’actif du docteur Mounsi, il faut rappeler également la publication de plusieurs essais dans de grandes revues internationales spécialisées, ainsi qu’une série de conférences données en France, notamment, sur «une approche critique de la littérature des années 90 en Algérie». La voix de l’Oranie: De toute évidence, l’objectif recherché à travers l’organisation de ce type de séminaire ne se limite pas nécessairement au seul volet pédagogique?
Habib Mounsi: En premier lieu, il s’agissait d’inciter d’abord les étudiants à assister à cette rencontre pour écouter d’autres voix que celles des enseignants en charge des modules. Dans un séminaire de ce genre, on essaie d’aborder des questions qui ne se posent pas habituellement à travers les programmes d’enseignement classiques. Les thèmes retenus sont donc multiples et variés, en ce sens qu’ils concernent à la fois les écrits modernes, les nouvelles tendances et surtout la méthodologie de l’écriture. L’accent est mis tout particulièrement sur la narratologie et ce qu’elle représente comme apport à l’écriture romancière. En accédant à la théorie narratologique peut-on devenir romancier? L’art de narrer est-il indépendant de la théorie? Ce sont- là autant de questions auxquelles les chercheurs ont tenté d’y répondre.
- Puisqu’il s’agit de recourir à des techniques et des méthodes, le problème de l’écriture peut-il se réduire à une simple opération de construction du récit. Dans ces conditions, quelle serait alors la part du subjectif dans l’acte de création littéraire?
- On a essayé de poser le problème de la construction de l’écrit depuis les années 40 jusqu’à la fin du siècle dernier. On s’est aperçu alors que le fait de construire un texte est à même de permettre à la subjectivité d’être à son aise. Parce que toute construction n’implique pas forcément un ensemble de structures que l’on peut imbriquer les unes aux autres suivant une architecture préalablement définie. Mais, c’est un flux subjectif qui se construit au fur et à mesure. Quand il commence à écrire, le romancier ignore souvent la direction que peut prendre son roman. Ma conviction profonde est que le roman s’écrit lui-même. Mais tout en écrivant, on s’aperçoit qu’on est en train d’élaborer en même temps et sa structure et son architecture... Une fois l’écriture du roman terminée, on ne prendra pas le risque de dire qu’il est indépendant de son auteur. Mais, il a quand même une présence, une âme, une conscience propre à lui. Il serait malvenu de parler de l’existence d’une improbable ligne de démarcation entre l’écrivain et son œuvre. L’écriture fait partie de l’écrivain, c’est sa substance. C’est à travers elle qu’il s’affirme, se retrouve, se découvre lui-même et découvre l’autre.
- Pour rester dans le domaine des définitions, vous rejoignez en cela Roland Barthes qui fait une juste distinction entre l’écriture, acte de pure création, et l’écrivance, opération objective de simple description ou d’énonciation?
- Pour les deux modes, c’est toujours la reproduction combinée d’un ensemble de structures. Mais l’écriture est en elle-même une immanence. Elle dépend de l’instant. Parce que dans un instant on peut écrire dans une forme. Et dans une autre totalement différente l’instant d’après. Force est de dire que chaque instant régit sa propre écriture et dicte ses propres lois.
- Le programme du séminaire s’est penché également sur l’étude critique du roman algérien. Pourquoi celui de la décennie noire en particulier?
- Parce que ce roman marque une période noire de notre histoire immédiate, celle d’une tragédie qui dépasse de loin le cadre émotionnel que lui accordent les médias à des fins politiques douteuses... L’écrit de la décennie noire se place dans cette catégorie de texte qui échappe au besoin esthétique pour plonger droit dans le conflit. La ressemblance de l’écriture de la dernière décennie est frappante avec celle de l’après Guerre de libération. Les mêmes thèmes sont repris par la génération présente... Comme si la guerre, comme tout autre acte sanglant, déstabilise l’être, le pousse à revoir ses positions par rapport à l’histoire, la culture, la religion, l’autre. Voire même le soi désorienté. Cette écriture a deux caractéristiques principales : l’éclaboussure et l’éclatement. La première touche la forme, la seconde tâte le sens. Le concept d’éclaboussure nous permet de voir dans l’écrit, l’échange secret entre l’écrit et l’écrivain... Un écrit éclaboussé par tant de haine, tant de sang, tant de hargne. L’éclaboussure est l’expression d’un malaise véhiculé à travers les sens et les signes.
L’éclatement, ce n’est pas la même structure du roman. Ce n’est pas le roman en lui-même. Il y a le roman et le poème, le roman et la pièce théâtrale.
Ce sont des intersections, une intertextualité, une recherche pour une forme qui permet d’intégrer le théâtre, le cinéma, la poésie dans un même texte. Comme si l’écrivain sent qu’il a besoin de tous ces apports. Comme si le texte narré ne peut pas charrier toute cette tension. Il a besoin pour ainsi dire de dévier en quelque sorte vers certaines techniques théâtrales, cinématographiques et autres. Par cette entremise, il tente de puiser dans ces diverses formes d’expression artistique pour permettre à ses écrits d’aller plus loin, de poursuivre une exploration plus profonde dans le dédale des tensions de son propre labyrinthe.
- Par nombre d’aspects évoqués, il existe une certaine similitude avec la littérature noire américaine
- Effectivement. Parce que la littérature noire américaine est une littérature combative qui a essayé depuis les années 20 de se frayer un passage, de se placer dans un cadre d’égalité avec le roman blanc, si on se permet de le nommer ainsi.
La littérature américaine noire est une littérature qui a puisé toutes ses ressources des plantations de coton, de la messe noire et qui a essayé de faire un amalgame entre le populaire et le visionnaire. Le roman algérien a puisé également dans le populaire, le chaâbi, et essaie d’être aussi visionnaire que possible.
- Malgré cette similitude, somme toute relative, le roman algérien n’aurait-il pas, selon vous, une tendance à vouloir aspirer à la spécificité ?
- Celle d’être d’abord un roman algérien et celle d’être ensuite une écriture à part qui se différencie des écritures occidentales (française notamment), d’une part, et orientale (machrékie), d’autre part. Un roman algérien se rapproche des contes traditionnels tels que ceux rapportés par nos grand-mères. L’oralité est très présente, le jeu est dominant. Les mêmes scènes se répètent à profusion avec des couleurs et des tons différents.
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Posté Le : 07/05/2007
Posté par : sofiane
Source : www.voix-oranie.com