Algérie

Le directeur général de l'Office national de lutte contre la drogue au Quotidien d'Oran Anéantir les narcotrafiquants



Les cas de culture de cannabis découverts dans plusieurs wilayas du pays ne font pas de l'Algérie un pays producteur. C'est la conviction de M. Abdelmalek Sayah, président de l'Office national de lutte contre la drogue, qui nous livre ici son regard sur le trafic de drogue en Algérie, ses ramifications et ses liens avérés avec le terrorisme, ainsi que les perspectives de lutte contre ce fléau déstabilisateur de la société. Le Quotidien d'Oran: Beaucoup de gens soutiennent que l'Algérie est passé du statut de «...pays transit...» à un pays producteur. Sommes-nous réellement dans cette situation ? M. Sayah Abdelmalek: Je pense, pour répondre un peu à votre question que l'Algérie a toujours été un pays de transit. Un pays de consommation, nous sommes en train de réaliser une enquête pour connaître exactement l'ampleur mais la consommation elle est de fait. Quelle est l'ampleur ? On ne le sait pas encore mais on le saura d'ici peu de temps. Un pays de culture ? Je dirais non, malgré les cas signalés ici et là. Entre autres à Adrar, Ghardaïa, Tizi-Ouzou, Béjaia, Boumerdès, Batna, Mascara, Relizane, El Oued. Ce sont des foyers, quelques petites parcelles destinées à la consommation personnelle ou si vous voulez à la consommation locale. Tout de même, il faut reconnaître que l'opium commence à faire son apparition. Les 28 plants découverts à Ghardaïa par la gendarmerie sont un indice que des gens tentent de cultiver cette drogue dans notre pays. Les choses vont malheureusement évoluer vers la culture du Cannabis en Algérie si on n'arrive pas à localiser ces champs. Bien évidemment, je tiens à préciser que notre pays n'est pas le Maroc, l'Afghanistan, la Turquie ou le Liban. Q.O.: Peut-on avoir des chiffres sur les quantités de drogue interceptées par les services de sécurité ces dernières années ? S.A. Je peux vous donner, par exemple le bilan au 2e trimestre 2007. En ce qui concerne la résine de Cannabis, plus de cinq tonnes (5.213,917 Kg) ont été saisies par les services de sécurité, tout comme 137929 comprimés psychotropes. En ce qui concerne la Cocaïne, les mêmes services ont saisi durant la même période quelque 129 grammes en plus de 28 grammes d'opium et 3 grammes d'héroïne. Il faut savoir aussi que pas moins de 88876 plants ont été détruits à travers le pays. Quelque 1681 affaires ont été traitées par les services concernés pour la même période avec la mise en cause de 2547 personnes. Si on comptabilise les deux trimestres de l'année 2007, on arrive à plus de 10 tonnes de Cannabis saisies par les différents services de sécurité. Q.O.: Comment expliquez-vous que la drogue nous vienne essentiellement du Maroc. Vous pensez que les autorités marocaines observent un certain laxisme dans l'acheminement de la drogue vers notre pays ? S.A.: Tout le monde sait que la drogue nous vient de ce pays voisin, personne ne peut le cacher. Mais je ne peux pas accuser les autorités de ce pays voisin de laxisme. Il existe une collaboration parfaite entre les services de sécurité des deux pays. Moi je dirais que ce sont les narcotrafiquants qui sont à l'origine de ce trafic. Ces trafiquants de drogue continuent à activer quelle que soit la pression exercée par les services de sécurité. On a constaté dernièrement que les narcotrafiquants pour échapper aux contrôles rigoureux des services de l'ordre, essayent de plus en plus de cultiver le Cannabis ici en Algérie et cela c'est une nouvelle donne. Q.O.: Vous pensez que ces réseaux ont des ramifications internationales ? S.A.: De toute façon ces trafiquants ont toujours des contacts avec des éléments étrangers. Il y a toujours une forte demande à partir de l'étranger, surtout à l'échelle européenne. Q.O.: Certains disent que la drogue destinée à l'Algérie est plus dangereuse que celle envoyée vers d'autres pays ? S.A.: Non, je ne pense pas, même si on n'a aucune indication pour confirmer ou infirmer cela. Mais généralement c'est la drogue destinée pour l'étranger qui est commercialisée en Algérie après que les narcotrafiquants n'ont pas pu la faire sortir. Donc je dirais que c'est le même produit, d'autant plus que les analyses effectuées sur cette drogue, indiquent que sur le plan chimique cette substance, est identique à celle destinée à l'étranger. Q.O.: Quel est le nombre de drogués, ou si vous voulez de toxicomanes en Algérie ? S.A.: Nous sommes justement en train de réaliser une enquête pour répondre à cette question. Les seuls chiffres dont nous disposons actuellement sont des chiffres relatifs aux toxicomanes qui ont été soignés dans les centres spécialisés tels que les établissements de Blida, Oran, Annaba ou Sétif. Mais, il faut faire la distinction entre ceux qui ont juste commencé cette substance et les toxicomanes avérés qui sont vraiment dépendants de cette drogue. Je dirais simplement qu'il existe un bon nombre de toxicomanes en Algérie comme il existe également beaucoup de dealers qui commercialisent ce poison. Le Cannabis et les psychotropes, surtout, commencent sérieusement à envahir le marché, d'autant plus que ce sont des produits qui sont à la portée de tout le monde et qui ne sont pas vraiment chers. Cela favorise bien évidement la consommation à grande échelle surtout en milieu scolaire où même les filles s'adonnent à la drogue. Nous avons remarqué que là où le Cannabis n'est pas disponible, il y'a une substitution par les psychotropes. Il s'avère également, d'après les saisies opérées par les services de sécurité que les psychotropes sont beaucoup plus répandus à l'est du pays. Le Cannabis par contre va directement de l'ouest vers des filières qui sont , je dirais, un peu loin du centre et de l'est du pays. Q.O.: Pensez-vous que l'Algérie dispose de moyens nécessaires pour lutter contre ce trafic transnational ? S. A.: Je pense que l'Etat et le gouvernement ont mis beaucoup de moyens de contrôle entre les mains des services de sécurité. D'ailleurs le nombre de saisies opérées est un indicateur. Deuxième indicateur, c'est le fait que les narcotrafiquants aient décidé de cultiver la drogue sur le territoire algérien. Cela prouve que les contrôles, notamment au niveau de l'ouest du pays sont très rigoureux empêchant ainsi le déplacement du Cannabis d'une région à une autre. En tous les cas, les services de sécurité disposent de moyens et je pense également que nous allons nous doter de matériels d'identification de la substance, ce qui rendra le contrôle plus efficace. L'Algérie va se doter d'un matériel très sophistiqué et reconnu mondialement pour lutter contre ce fléau. Q.O.: Certains n'hésitent pas à dire que le trafic de drogue à une connexion directe avec le terrorisme. Est-ce que c'est vrai et quelles sont les preuves dont vous disposez pour étayer cette hypothèse ? S.A.: Le lien existe depuis fort longtemps. D'ailleurs à titre indicatif, durant la décennie noire les services de sécurité ont trouvé à plusieurs reprises de la drogue chez des groupes de terroristes neutralisés. Les narcotrafiquants avaient toute latitude de passer par des chemins où activaient les terroristes. Bien évidemment les trafiquants payaient leur passage dans ces endroits. Des groupes terroristes se sont constitués à partir de l'argent collecté auprès des trafiquants de drogue. Mais cela n'étonne pas puisque des gens qui massacrent sans scrupules d'autres personnes peuvent aussi sans problème vendre de la drogue. Il y a un lien et il existe des cas où il est établi que la relation entre les terroristes et les trafiquants de drogue est très étroite. Les groupes terroristes utilisent ces moyens pour acheter, notamment des armes. Q.O.: Qu'est-ce que vous préconisez pour lutter efficacement contre le trafic de drogue dans notre pays ? S.A.: Il faut maintenir la pression au niveau des frontières et bien les baliser en multipliant les contrôles à l'échelle nationale. Il faut aussi que le citoyen contribue, partant du constat que ce citoyen est la meilleure source d'information. Il doit mettre cette information au service de l'Etat et la communiquer aux services de sécurité pour arrêter ce fléau. La prévention joue aussi un rôle important du fait qu'elle peut réduire l'offre mais aussi la demande. S'il n'y a pas de consommateurs, il ne peut y avoir par ricochet de dealers. Cela reste réalisable et l'Etat doit frapper et sanctionner sévèrement ces narcotrafiquants. La législation existe et la sentence doit toujours être très lourde. Je pense aussi que la sentence n'est pas suffisante et qu'il faut également opérer des saisies des biens des trafiquants .Il faut arriver à les anéantir complètement et cela se fait dans plusieurs pays du monde. On sait que les narcotrafiquants disposent de beaucoup de biens aussi bien en Algérie qu'à l'étranger. Je pense que cela représente un moyen efficace pour dissuader à aller vers ce genre de trafic. Q.O.: Vous pensez que la répression à elle seule suffit pour lutter contre ce fléau ? S.A.: Ça ne suffit pas. La répression n'est qu'un moyen. La stratégie de l'Office de lutte contre la drogue consiste justement, à faire de la prévention qui est un moyen efficace en essayant d'expliquer au citoyen les dangers que représente la drogue. Nous savons que notre jeunesse a ses problèmes mais si nous n'arrivons pas à convaincre ces jeunes, c'est vraiment un désastre pour notre pays. Je suis conscient des problèmes que peut rencontrer un jeune mais verser dans la drogue et la criminalité n'est pas la solution. La cellule familiale doit veiller sur ses enfants car le problème n'est pas du seul ressort de l'Etat ou des services de sécurité ou de l'école. Toute la société doit s'impliquer et c'est ce que nous recherchons. Faire de la prévention à travers la société civile en effectuant un travail de proximité et de sensibilisation pour leur faire prendre conscience des dangers que représente la drogue. Le gouvernement a programmé l'installation de 53 centres de cure de désintoxication et quelque 15 établissements hospitaliers spécialisés pour prendre en charge ces consommateurs de drogue et ces toxicomanes. Mais il faut aussi que les parents s'impliquent, en n'essayant plus de cacher leurs enfants en feignant ignorer qu'ils se droguent. Q.O.: A combien s'élève à votre avis le montant du trafic de drogue en Algérie ? S.A.: C'est une question à laquelle nul ne peut répondre avec précision. Toutefois, je pense que le chiffre tourne autour de plusieurs milliards de dinars. Si on prend par exemple les statistiques des Nations unies qui disent que la quantité de drogue saisie ne représente que 10 à 15% du trafic de drogue et que la tonne de drogue est vendue à 5 millions de dinars, je vous laisse imaginer le montant. Généralement pour avoir une idée approximative du montant, on prend la quantité saisie et on la multiplie par 10. Il reste que même dans les pays avancés, ils sont incapables de donner un chiffre exact de ce trafic. Cependant, d'après les chiffres avancés en 2000, le trafic de drogue en Algérie avoisinerait les 24 millions de dollars alors qu'en 2006 il aurait atteint plus de 40 millions de dollars. A l'échelle mondiale par contre, l'on estime le montant généré par le trafic de drogue à plus de 800 milliards de dollars. Ce qui est sûr c'est que ce «...créneau...» est très juteux et est très convoité aussi bien en Algérie qu'à l'étranger.




Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Nom & prénom
email : *
Ville *
Pays : *
Profession :
Message : *
(Les champs * sont obligatores)