Algérie

Le dilemme cornélien de la dévaluation



Entre l'urgence de réduire les déficits financiers et l'impératif d'éviter une érosion du pouvoir d'achat, la monnaie nationale poursuit sa dépression, tout en restant encore surévaluée, selon de nombreux économistes.Tout le monde ou presque, experts en finances et autres institutions financières, s'accordent à reconnaître que la valeur de la monnaie nationale, cotée actuellement à quelque 120 DA pour un dollar, est nettement et inopportunément surévaluée, compte tenu de la réalité défavorable des fondamentaux de l'économie nationale. Pour autant, faudrait-il consentir à ajuster fortement sa parité à la baisse pour amoindrir les déficits extérieurs ou continuer, au contraire, à modérer administrativement ses glissements pour éviter d'alimenter l'inflation et de plomber par-là même le pouvoir d'achat des populations '
Le dilemme est cornélien, en particulier en cette phase critique où les urgences économiques se heurtent à une réalité politique plus que jamais défavorable aux ajustements structurels pouvant s'avérer socialement douloureux. Pour le gouvernement, l'option semble pourtant être prise pour une dépréciation certaine du dinar, mais plus ou moins graduelle et modérée d'ici à 2022. À travers les cadrages financiers fixés dans le projet de loi de finances 2020 (PLF) pour les trois prochaines années, il est prévu ainsi que la valeur de la monnaie nationale passera de 120 à "123 DA pour un dollar en 2020, puis à 128 en 2021 et à 133 en 2022".
Ces cadrages du PLF ne seraient néanmoins que "de simples projections et hypothèses du gouvernement et non la politique officielle décidée et menée par la Banque d'Algérie (BA)", nous affirment des sources proches de cette institution à qui échoit, rappelle-t-on, la gestion du taux de change du dinar. En ce sens, précisent nos interlocuteurs, "la politique de la BA est claire : le taux de change ne peut être qu'une variable d'ajustement, car ce n'est pas en jouant sur la parité de la monnaie nationale que l'on parviendrait à rééquilibrer efficacement la balance des paiements, à moins de s'aventurer à dévaluer le dinar à des niveaux complètement irréalistes de 100% ou plus?".
D'ailleurs, soutiennent encore nos sources, "les déséquilibres financiers extérieurs sont dus en grande partie à ceux du budget de l'Etat, et l'ajustement du dinar dans des proportions limitées ne peut donc être qu'une simple mesure d'accompagnement des réformes qu'il faudra opérer en ce domaine". Quoi qu'il en soit, le fait est que la gestion en vigueur de la parité de la monnaie nationale devient de plus en plus problématique, à mesure que perdure le déficit de la balance des paiements et que s'érodent en conséquence les réserves de change.
Inflation et pouvoir d'achat
Le dinar, nous dit à ce propos Lachemi Siagh, spécialiste en stratégie et financement international, "est surévalué et je pense que tout le monde est d'accord là-dessus". Dans les économies de marché, développe-t-il, "le prix des biens, des services et des monnaies convertibles est fixé par le jeu de l'offre et de la demande, tandis qu'en Algérie, la monnaie n'est pas convertible et sa valeur est fixée par la Banque d'Algérie de façon administrative en prenant en compte un certain nombre de paramètres d'équilibres et de règles du FMI".
Aussi, tranche notre interlocuteur, "en se basant sur la loi de l'offre et de la demande, la valeur du dinar fixée par le marché serait celle du circuit parallèle, à savoir 200 DA pour un euro, mais l'établir à ce niveau, même si cela aurait de grands avantages en ce qui a trait au budget de l'Etat, engendrerait néanmoins de graves conséquences sur le pouvoir d'achat".
Ceci étant, "le jour où l'on se décidera à mettre en ?uvre des réformes sérieuses, il faudra que la valeur officielle du dinar et celle du marché parallèle tendent à se rapprocher très sensiblement", soutient le même expert, en précisant toutefois que dans le cas de l'Algérie "une dévaluation donnera surtout l'illusion d'avoir plus de ressources dans les caisses de l'Etat, puisque les dollars du pétrole rapporteront plus de dinars et donc permettront de mieux couvrir les dépenses dans le court terme".
Le revers de la médaille, estime-t-il cependant, "est que les importations deviendront plus chères, dont surtout les inputs qui entrent dans la fabrication de produits algériens, ce qui renchérira le coût de la vie". Partisan d'une politique de "stérilisation des recettes de Sonatrach, en les gardant en dollars pour limiter les effets inflationnistes", Lachemi Siagh note en définitive que "l'usage abusif de la planche à billets aura à lui seul un impact certain, sous peu, sur la valeur du dinar et le pouvoir d'achat du citoyen".
Dans le même ordre d'idées, Nour Meddahi, expert en économie et finances, considère que la monnaie algérienne "est surévaluée d'au moins 25%, c'est-à-dire qu'un dollar devrait valoir 160 DA au lieu de 120 comme est le cas actuellement". Selon lui, l'idéal serait que le dinar baisse de manière graduelle, "par exemple, en arrivant à un dollar pour 160 DA d'ici fin 2020, afin d'éviter une inflation trop forte et des taux d'intérêt trop élevés qui vont étouffer l'investissement".
Si cette dépréciation n'est cependant pas opérée graduellement dès à présent, elle risque de se faire, prévient le même expert, "de manière brutale", quand les réserves de change seront à moins de 10 milliards de dollars. "L'on pourrait se retrouver alors avec des taux d'inflation de 30%", souligne-t-il.
Pour enclencher à temps un ajustement progressif du dinar tout en veillant à éviter une érosion du pouvoir d'achat des ménages, Nour Maddahi propose en définitive une revalorisation des allocations familiales, des aides sociales, des retraites les plus basses, mais aussi du SNMG, de sorte que le pouvoir d'achat des catégories concernées reste constant en termes réels. Des réformes salutaires, mais sans doute difficiles à prévoir en ce contexte politique particulièrement complexe et défavorable.

Akli Rezouali


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