Les événements de ces dernières semaines montrent ce que les chiffres cachaient. Ainsi, malgré les rapports élogieux des institutions internationales comme le Fonds monétaire international (FMI), la Tunisie se retrouve dans une très grave crise de gouvernance.
Lors des dernières consultations entre la Tunisie et le FMI, le Fonds avait salué la réponse des autorités tunisiennes face à la crise économique mondiale, avant de prédire un taux de croissance très appréciable pour 2011, soit 2,3%. Le directeur du FMI, Dominique Strauss-Kahn, avait même déclaré en novembre 2008, lors d’une visite officielle au titre du FMI, que «la Tunisie est un bon exemple à suivre pour beaucoup de pays émergents». Ce même discours était tenu aussi par les plus hauts dirigeants occidentaux, à savoir les Américains, les Européens, dont les Français.
Faisant chorus à ces discours, l’agence officielle tunisienne relevait, fin novembre 2010, que «dans un rapport qui a conclu ses consultations sur la Tunisie pour l’année 2010, le FMI a estimé que ce pays avait surmonté la crise mondiale grâce à une gestion macroéconomique saine et à des réformes structurelles mises en œuvre en temps opportun». Toujours selon l’agence, «ces efforts ont permis de surmonter les effets pervers de la crise financière mondiale et d’atténuer l’impact de la baisse de la demande extérieure». Et de conclure : «Le FMI a relevé l’accélération, depuis le milieu de 2009, du rythme de la croissance économique qui a atteint 4,5% au cours du premier trimestre 2010. Il a également souligné qu’en dépit de l’augmentation du déficit budgétaire (+2%), le ratio de la dette publique a continué à chuter en 2009 (42,8% du PIB contre 43,3% du PIB en 2008.»
Historiquement, la Tunisie, il est vrai, a remporté de grands succès dans le développement économique. Après une période d’économie administrée qui a duré longtemps – trois décennies – le pays s’est ouvert très tôt aux réformes, au milieu des années 1980. La mise en place d’un environnement favorable aux investissements étrangers lui a permis d’attirer de nombreux investisseurs dans des secteurs d’activité comme le tourisme, le textile ou l’industrie manufacturière dans son ensemble.
Ce que les chiffres ne disent pas
Lors du Forum économique mondial sur l’Afrique de 2007, l’économie tunisienne avait été classée première économie la plus compétitive d’Afrique devant l’Afrique du Sud, et 29e sur 128 au niveau mondial. Mais ce qui fait la force de l’économie tunisienne, tournée vers les exportations, peut créer des problèmes en cas de crise de la demande. Cet aspect a été visible avec la crise économique de 2008-2009. Le caractère extraverti de l’économie tunisienne est bien vu de l’extérieur par les partenaires étrangers, qui ne se soucient pas des problèmes internes. Si la Tunisie a préservé le caractère concurrentiel du tourisme, secteur où elle arrive à attirer près de 7 millions de touristes par an, elle subit actuellement la concurrence, notamment de la Chine, pour le textile en Europe, son marché naturel. De grandes griffes sont installées en Tunisie et le prix de revient de fabrication qui était compétitif il y a 10 ou 20 ans, se trouve menacé par d’autres pays (comme la Chine) où le coût de la main-d’œuvre y est nettement inférieur. La hausse des matières premières, ces dernières années, a pénalisé le budget de l’Etat, qui peine à sauvegarder le pouvoir d’achat. Ce problème, cependant, est vécu par de nombreux pays. Mais ce qui pénalise le plus la Tunisie, ce sont les méthodes de gouvernance archaïques. Alors qu’elle a réussi à attirer les investissements étrangers en devenant un modèle sur ce plan, la Tunisie a péché sur le plan organique.
Les méthodes de gouvernance ont empêché la société de régler des problèmes venus à maturité, comme le développement intégré de l’économie et celui du chômage des jeunes, surtout les diplômés, deux aspects intimement liés. Si les investisseurs étrangers sont protégés quelque part, l’initiative locale n’est pas à l’abri quand elle ne tombe pas sous la coupe des familles régnantes qui exerçaient un véritable diktat dans les affaires, y compris le racket. Beaucoup de témoignages ont fait état du contrôle par la famille du président Ben Ali ou sa belle-famille sur toutes les initiatives d’investissement, même la plus petite.
Cette méthode de gouvernance digne du Moyen Âge, couplée à la répression de toute voix discordante, y compris la censure de l’Internet, a amené beaucoup de personnes et surtout les jeunes chômeurs à se lancer dans le secteur de l’informel pour survivre. Les événements qui ont amené le changement ont justement débuté après le suicide d’un jeune diplômé. Le 17 décembre dernier, un jeune diplômé de 26 ans, vendeur ambulant de fruits et légumes, s’était immolé par le feu devant la préfecture, à Sidi Bouzid.
Le jeune vendeur avait été empêché de porter plainte après que la police municipale l’eut maltraité et ait saisi sa marchandise. C’est ce qui a déclenché le mouvement social de protestation qui s’est propagé dans toute la Tunisie et a abouti à la fuite de la famille présidentielle.
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Posté Le : 17/01/2011
Posté par : sofiane
Ecrit par : Liès Sahar
Source : www.elwatan.com