Oran
De notre envoyé spécial
Dans un palais à Bassorah, sur le Chatt Al Arab, dans le Sud irakien, un dictateur, qui ne ressemble pas à Saddam Hussein, organise une fête pour célébrer son anniversaire. Les invités sont soumis à une fouille complète, même les parties intimes sont passées à la torche ! Les tyrans craignent toujours d’être ciblés par des «ennemis» invisibles ou empoisonnés par les vizirs.
Les «moukhabarate» (services secrets) du palais écoutent tout en braquant des caméras sur les tables des présents à la soirée. Cela est montré d’une manière caricaturale dans le film Al Moughani (le chanteur) de l’Irakien Kassem Hawal, projeté, samedi soir, à la salle Saâda à la faveur du Festival d’Oran du film arabe (FOFA).
Dans les pays arabes, les moukhabarate surveillent la société, contrôlent les téléphones et les courriers et gardent un œil «vigilant» sur Internet. Le dictateur, qui arrive entouré d’une foule de militaires (bien sûr !), assiste à peine à une danse de flamenco. «Tu sais, le flamenco est d’origine arabe !», chuchote-t-il à un général assis à ses côtés.
Il arrête brusquement la danse et se déplace pour voir un autre spectacle : l’arrivée de Nabuchodonosor II, roi de Babylone, à dos de chameau. «Nabuchodonosor est allé à Al Qods et a chassé les juifs», lance le dictateur presque heureux d’évoquer un passé de 2500 ans ! Saddam Hussein se considérait comme «le digne» successeur du roi de Babylone. Le comédien, qui a joué le rôle de Nabuchodonosor, aura une Mercedes neuve comme cadeau. La dictature, c’est évident, entretient sa clientèle. La fête se prolonge et la descente aux enfers aussi. Un général apprend qu’il doit sa promotion à sa femme, qui a passé une nuit chaude avec le dictateur. L’épouse d’un poète courtisan demande son divorce, dégoûtée par son attitude honteuse après avoir déclamé un poème à la gloire du tyran (Ne sont-ils pas si nombreux ces «poètes» ') Et une femme se plie presque en deux pour demander au fils du chef de l’aider à devenir speakrine à la télévision.
Dans les pays fermés, devenir présentateur du journal télévisé n’obéit pas aux critères professionnels, seule la «chita» (brosse) compte. En dehors du palais, Bashar Al Basri (Amer Allouane), chanteur populaire, qui doit animer la soirée du dictateur, est déjà en retard en raison d’une panne de voiture. Il panique. Ses fans l’aident tant bien que mal à rejoindre le palais. A son arrivée et sous les lumières d’un projecteur, un militaire gifle le chanteur en cassant le oûd.
Culture et armée ont toujours fait deux, n’est-ce pas ' Pour mieux l’humilier, le maître du palais oblige l’artiste à chanter visage au mur face à la statue du grand chef. «Je n’ai plus envie de voir ton visage. Dorénavant, je ne veux plus qu’il passe à la télévision», ordonne le dictateur. Kassem Hawal s’est inspiré d’un fait réel pour monter ce film. Le cinéaste s’est défendu d’évoquer Saddam Hussein ou de justifier l’occupation de l’Irak par les Américains. «Je parle de toutes les dictatures sous toutes leurs formes », a précisé le cinéaste lors du débat qui a suivi la projection du long métrage, il était accompagné de la comédienne Katrin Al Khatib et Amer Allouane. Al Moughani montre la dictature telle qu’on la connaît : laide, repoussante, violente, brute, cynique, hautaine… donc, il n’y a rien de nouveau.
La théâtralité dominante dans le film de Kassem Hawal a quelque peu déteint sur l’œuvre, surtout que le recours aux symboles est excessif. Des éléments qui ont fait que, malgré le sujet du film, la lourdeur n’a pas été évitée. Cela dit, on sent cette farouche volonté, ce profond désir de tordre le cou à la tyrannie sous tous les habits qu’elle peut porter. De ce point de vue, Al Moughani est un film politique, au choix assumé. «C’est un film collectif. Je ne règle pas mes comptes, même si j’ai été l’une des victimes de la dictature en Irak. L’histoire a imposé le choix du lieu : le palais que nous avons dû reconstruire à Bassorah. Beaucoup de films se sont déroulés dans un endroit fermé», a expliqué Kassem Hawal.
Le chanteur, qui donne l’impression de se réveiller à la fin du film, découvre la nouvelle situation.
Cela ressemble à la sortie d’un cauchemar. «Je connais des gens qui, sous la dictature, ont vécu des événements difficiles qui, jusqu’à maintenant, croient qu’ils n’ont jamais eu lieu (…). Lorsque la politique tombe, le régime chute. Et lorsque la culture s’effondre, c’est tout le pays qui s’écroule», a déclaré le cinéaste irakien. Kassem Hawal, qui a repris une idée développée dans La Moqadima d’Ibn Khaldoun sur l’oppression, est convaincu que les dictatures disparaissent, mais la chanson et la musique restent, d’où l’idée du titre donné au film.
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Posté Le : 21/12/2011
Posté par : sofiane
Ecrit par : Fayçal Métaoui
Source : www.elwatan.com