Algérie

Le DGSN et la GDF



Le DGSN et la GDF
Le patron de la police algérienne, en l'occurrence le DGSN, le Directeur général de la Sûreté nationale, connait sans doute Gustave Le Bon, le maître incontesté de l'étude du désordre comportemental et de la psychologie des foules. Il doit connaître aussi Serge Moscovici, père du nouveau ministre français de l'Economie, Pierre du même nom, mais surtout fondateur de la psychologie sociale européenne. Le général-major Abdelghani Hamel, a donc du lire «la Psychologie des foules» du premier et «l'Âge des foules du second», deux chefs-d''uvre de la psychologie des masses en mouvement. A Constantine, le général-major, policier poli, a récemment développé un concept policé, celui de la GDF. C'est-à-dire la «gestion démocratique des foules». L'ancien patron des GGF, les gendarmes gardes-frontières algériens, l'a définie comme une «méthode qui exige du professionnalisme, des prédispositions et une aptitude éprouvée dans le domaine de la persuasion, de la pédagogie, de la psychologie, beaucoup de sang-froid, un esprit de sacrifice et une maîtrise de soi.» Cette GDF énumère les qualités dont doit faire preuve le policier face aux foules, mais elle ne précise en rien comment cette gestion peut être «démocratique». Avouons qu'il est un peu difficile de comprendre le contenu que le général-major a voulu conférer à l'adjectif «démocratique». Voulait-il dire préventif ' Allez savoir ! Mais que le premier flic d'Algérie parle désormais de GDF, voilà qui est tout de même moins inquiétant pour une institution qui était plutôt adepte de la GRF, la gestion répressive des foules ! La nouvelle GDF augure-t-elle d'un changement salutaire dans les mentalités et dans les approches de gestion des mouvements de foules en Algérie, notamment depuis l'irruption du printemps arabe et la surmultiplication des manifestations de masse ces dix dernières années ' Probablement, si l'on considérait que le chef de la police use de mots inhabituels dans le langage de la DGSN. Des vocables neufs comme persuasion, pédagogie, psychologie et maîtrise de soi. Prenons-en donc les bons augures mais regardons de près comment cette GDF a été appliquée depuis les émeutes du sucre et du beurre végétal depuis janvier 2011. Comme le souligne M. Hamel
lui-même, nos flics ont globalement fait montre de «sang-froid et d'esprit de sacrifice» en affrontant les émeutes et en canalisant les manifestations autorisées. Par contre, la GDF a fonctionné aussi comme un outil d'étouffement des libertés syndicales et du droit de manifester pacifiquement sur la voie publique. On l'a vu, à chaque attroupement, à chaque rassemblement, à chaque marche pacifique, un dispositif de sécurité, souvent disproportionné par rapport à la menace de désordre évaluée, fonctionnait tel un rouleau compresseur. Il finissait par casser les mouvements et disperser les foules. C'est comme si les manifestants étaient des atomes qu'il fallait disperser. Tout en évitant que la fission des atomes favorise un dégagement important d'énergies qui, rassemblées, auraient porté atteinte à l'ordre public, donc à l'ordre établi. La GDF a certes permis d'éviter une gestion à l'égyptienne des foules, comme à la place cairote Ettahrir, avec son lot de morts et de blessés. Mais elle a fonctionné comme un outil de prévention et d'action, d'une redoutable efficacité, qui a empêché l'éclosion d'un autre printemps arabe en Algérie. Cette GDF, c'est de l'horlogerie de précision. Bravo les artistes ! En la matière le DGSN et le DOK, alias Dahou Ould Kablia, ont été des orfèvres en la matière. Mais revenons à l'adjectif «démocratique» accolé à cette gestion des foules. Par démocratique, le général-major Hamel entendait-il une répression des mouvements de foules, bien ciblée et bien dosée, dans le sens où il faut déployer des dispositifs sécuritaires suffisamment massifs pour créer un effet tout autant massif de dissuasion ' Voulait-il dire user démocratiquement de la matraque et des canons à eau, dans le sens où tous les manifestants, partout en Algérie seraient traités de la même manière ' A savoir, frapper comme il faut, là où il faut, juste pour faire peur, pour mieux disperser et pour mieux dissuader de nouveaux candidats à la manif. On l'a bien vu en 2011 avec l'étiolement des samedis de la protestation démocratique à Alger. La foule qui se réunissait à la place du Premier Mai n'a jamais fonctionné comme pierre qui roule ramasse nécessairement de la mousse. Elle a tout simplement été empêchée de rouler par le rouleau compresseur sécuritaire mis en place. De cette manière, la GDF est un instrument de prévention politique, c'est-à-dire d'empêchement des expressions démocratiques, à priori, en temps réel et a posteriori. Si dans son contenu officiel algérien, c'est la formation policière au service de la démocratie, alors nous, aspirants démocrates, nous serons preneurs. Si elle signifie changements organisationnels et comportementaux, nous signerons également. Mais si cette GDF est finalement une nouvelle main de fer dans le gant de nouveaux mots en velours, alors rien n'aura changé sous la casquette du policier. Dans ce cas, cela voudrait dire que la GDF, c'est les balles en caoutchouc, les gaz paralysants et lacrymogènes, les flash ball, les boucliers, casques et les plastrons pour tabasser, assommer, disperser et asphyxier. Pas seulement les manifestants, mais peut-être l'aspiration démocratique.
N. K.




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