Algérie

Le devoir de vérité et la communication officielle



Comment justifier la clause non écrite prescrivant l'imposition du secret d'Etat quand les souffrances physiques du Président nécessitent la discrétion ' Par ailleurs, pourquoi les hautes sphères doivent-elles s'astreindre par la suite à l'art douteux de la désinformation qu'elles présentent souvent comme un «devoir de vérité» ' Ce sont là des obligations qui s'imposent à la plupart des régimes, toutes obédiences confondues, au moment où le premier personnage de l'Etat se sent trahi par sa santé et lorsqu'on estime que même une provisoire défection risque d'affecter sa popularité et la confiance qui en découlerait.Face à des dilemmes de ce genre, les pouvoirs d'Etat ne diffèrent guère dans la façon d'agir, laquelle se révèle souvent lamentable. C'est pour cette raison qu'une abondante littérature traitant du destin des Présidents malades a déjà fait le tour de la question sans parvenir, pour autant, à établir, avec clarté et autorité, ce qui est déterminé par la stricte nécessité politique et ce qui est du domaine de l'éthique du comportement.
S'agissant explicitement de la personne physique de notre chef de l'Etat, l'on a constaté, effectivement, de nombreuses hésitations au moment de placer le curseur de la communication et quand il fallait s'adresser à l'opinion. Autrement dit, il leur semblait malaisé, en haut lieu, de concilier la confidentialité de la maladie du Président sans qu'il soit nécessaire d'obtempérer clairement au devoir de vérité, c'est-à-dire décrire sans fioriture les infortunes médicales de la personnalité. Or, cela voudra dire que l'on s'autorise à verser dangereusement dans une démarche frappée du sceau de la manipulation, voire de la censure. Et pour cause, la juste distance nécessaire à la bonne information fait cruellement défaut quels que soient les contextes et la spécificité de chaque cas d'un grand malade. D'ailleurs, la propension à peser plus lourdement par le recours à l'embargo que par la diffusion de l'information, fût-elle nuancée, est évidemment dans les habitudes et la pratique des premiers cercles présidentiels, trop zélés dans la conspiration à l'encontre de l'opinion qu'ils tiennent en suspicion. La crainte que la vox populi leur inspire explique, en grande partie, leur silence gêné des premiers jours de la maladie. Paradoxalement, plus les jours passent et que se multiplient des communiqués trop vagues pour être rassurants et plus la rumeur parvient à faire son lit et gagner singulièrement en crédibilité. En effet, même lorsqu'elle devient de plus en plus porteuse de ragots, cela lui permet d'amplifier l'inquiétude pour les mêmes raisons que les démentis officiels explicitant maladroitement l'état réel du célèbre patient.
À cause justement des hésitations ayant pénalisé la bonne communication, l'opinion n'avait plus d'autre choix que de recourir aux réseaux sociaux, c'est-à-dire au fatras de spéculations qui installèrent le doute sur les propos rassurants et néanmoins officiels qui lui parvenaient en retard. Voilà comment l'on est parvenu à mettre sens dessus-dessous une société depuis toujours en dissidence larvée contre ses dirigeants et à qui l'on préfère toujours cacher même les déboires les plus compassionnels dont est victime son nouveau Président. En la privant d'information exacte, n'a-t-on pas exacerbé ses ressentiments et surtout lui avoir remis en mémoire les infâmes pratiques du précédent régime quand il agissait de la sorte au cours des évacuations multiples de Bouteflika en 2005 et 2013 '
Face à la gravité du contexte, tout autant que les mauvais exemples des prédécesseurs, la démarche du Palais apparaît déjà comme une imbécillité incompréhensible. Du mutisme initial aux justifications tardives, l'on n'a fait que brouiller le peu de crédit dont la voix officielle se prévalait jusque-là. C'est surtout ce déplorable échec qui a contribué à laisser le champ libre aux propos des petites gens et aux interprétations hâtives de la rue. Ce côté-ci de l'agora où enflent les hypothèses d'une prochaine vacance du pouvoir conséquemment à une possible maladie invalidante du chef de l'Etat !
Bien sûr, il y aura toujours de vertueux partisans de la décence qui trouveront dans le propos politique une tonalité détestable dès l'instant où l'on ose anticiper sur une «après-convalescence». Sauf que cette précaution, supposée pudique, ne devrait pas, par contre, les dispenser de citer ceux qui diffusèrent cette hypothèse. La plupart d'entre eux alimentent le fantasme en s'appuyant sur le mauvais exemple du passé récent qui s'est d'ailleurs soldé par une pitoyable défaite de la classe politique toutes obédiences confondues. Aussi, dans la situation exceptionnelle du moment, ce sont les mêmes loosers qui rêvent d'une revanche n'ayant aucun sens désormais. D'ailleurs, il en va autrement à propos du rétablissement de Tebboune que d'aucuns parmi le corps professoral attestent qu'il «va mieux et rentrerait dans peu de jours» !! Certes, après trois semaines d'hospitalisation, l'on est toujours à attendre les données médicales qui feraient le point sur l'évolution de sa pathologie afin que cet acharnement à tronquer la pénible vérité de l'état du malade cesse et que le retour du chef de l'Etat coïncide avec la levée de toutes les hypothèques politiques ayant circulé dans la nomenklatura, entre autres.
Il est vrai que même si l'on avait la certitude qu'il a récupéré la plénitude de ses moyens, il n'est pas dit que l'on peut faire comme si de rien ne s'était passé. Toute maladie, fût-elle grave ou bénigne, laisse fatalement des stigmates physiques mais aussi des hiatus relationnels dans le milieu politique. Surtout chez ceux qui occupent, à ce jour, d'aussi prestigieuses fonctions. C'est pourquoi, pour Tebboune, comme ce fut le cas du précédent grabataire (Bouteflika, pour ne plus l'oublier), il y aura deux versants dans sa trajectoire de chef de l'Etat. Ceux d'un «avant» et d'un «après» la troublante parenthèse qui, au retour, lui donnera sûrement à réfléchir différemment aussi bien pour le compte de l'avenir de ce pays que pour le sien.
B. H.


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