Algérie

Le détective métaphysique Grands écrivains. Le romancier Patrick Modiano


Le détective métaphysique                                    Grands écrivains. Le romancier Patrick Modiano
Discret et solitaire, son écriture, toute en subtilités, a forgé un style et un univers.
C'est dans le cadre des grandes monographies consacrées aux écrivain-e-s et penseurs français et autres que les éditions de l'Herne ont récemment publié un Cahier qui célèbre l'un des auteurs majeurs de la littérature française contemporaine*. Qualifié d'écrivain «anachronique» et d'auteur «discret», Patrick Modiano, l'auteur de La Place de l'Etoile, roman qui a eu un succès retentissant, et lauréat du Prix Goncourt pour Rue des boutiques obscures (1978), laisse transparaître l'image d'une figure énigmatique et mystérieuse dont l'écriture revêt une dimension particulière qui confère à son 'uvre une spécificité bien modianienne.
Au c'ur des fictions de cet auteur, qualifié par son épouse, Dominique Zehrfuss, de «détective métaphysique», se déroulent des histoires racontées dans un style à la fois flou, précis, détaillé qui mettent en scène des personnages à l'allure fantomatique en quête de l'identité et de la Mémoire, d'histoires de vie dramatiques, d'événements historiques pour la plupart sombres, de faits divers tragiques, de secrets de famille, de douleurs personnelles et collectives, d'abandons, de questionnements sur la paternité, sur la période de l'Occupation... Autant d'aspects et d'événements obscurs et bouleversants qui nourrissent ses romans et nous immergent dans un univers qui prend l'allure de gouffres où s'entassent des blessures, des douleurs, des peurs, des non-dits, des souffrances, des faits divers qu'il observe et décrit dans leurs moindres petits détails.
Tel un archéologue du passé et de la Mémoire historique et familiale, il fouille, creuse, triture, inlassablement, tentant par le verbe, les mots, les images et leurs infinies possibilités de dire, de déchiffrer, de découvrir et de faire revenir le passé au milieu d'un présent frappé d'amnésie collective. Tel un géomètre, il consigne les noms des rues, les adresses, les immeubles, les détails topographiques de Paris et de ses quartiers qui se confessent sous le regard observateur, «voyeur», insistant de cet écrivain dont l'imaginaire s'approprie l'Histoire, familiale, personnelle, nationale, ainsi que le lot de ses zones d'ombre qu'il révèle aux lecteurs/trices dépouillés de leurs masques et de leurs faux semblants. Tel un biographe, il s'attache à accumuler les détails biographiques de ses personnages, les noms de famille, les généalogies... «C'est en se promenant dans un quartier de Paris, mais aussi à Rome, Londres, Berlin, Stockholm, avec un but précis en tête, qu'il fait des repérages, comme pour un film. Il peut rester là, un temps indéfini, la tête levée vers un immeuble, à rêver de ramener à la surface, tels des revenants, tous les gens qui ont habité là successivement», explique Dominique Zehrfuss.
Dans son témoignage, Robert Gallimard, Directeur des services Gallimard, à partir de 1949, décrit Patrick Modiano qui, à cette époque était membre du comité de lecture de la maison d'édition, comme un «homme solitaire (') isolé dans le milieu littéraire [qui a] beaucoup de distance vis-à-vis de lui-même et vis-à-vis du monde, ce qui se sent dans ses romans». Au sujet de ses manuscrits, l'éditeur les décrit comme tellement aboutis qu'il ne revoyait avec leur auteur que de petits détails. Et, au fur et à mesure de l'avancement dans sa trajectoire d'écrivain, son style devenait précis et évoluait vers «quelque chose de plus en plus proche de sa vie personnelle», ajoute Robert Gallimard.
Réalisé grâce à l'aide de Patrick Modiano qui a autorisé l'accès à ses archives, à ses textes inédits et à ses correspondances, cet ouvrage de 278 pages, codirigé par Marilyne Heck, maître de conférences à l'Université de Tours, et Raphaëlle Guidée, maître de conférences à l'Université de Poitiers, présente l'auteur dans ses multiples facettes, tout au long d'une trajectoire de plus d'une quarantaine d'années. Ce sont «les tournants, les contrastes autant que les constantes de l''uvre modianesque que nous avons voulu mettre en évidence dans ce volume», précisent-elles dans l'avant-propos du cahier.
Structuré en sept grandes parties, le Cahier «Modiano», qui a pour objectif de «rendre compte de l'extraordinaire résonance de (son) 'uvre dans son époque» comprend une série d'articles sur l'auteur. Des analyses critiques sur son 'uvre. Des textes de fiction et autres, inédits ou peu connus, en l'occurrence une nouvelle intitulée Le Temps, texte qui raconte les années passées dans un internat («La vie collective est étouffante») ainsi que l'extrait d'un scénario remontant à 1975. Des études de spécialistes. Des correspondances reçues et/ou échangées entre Patrick Modiano et d'autres personnes qui mettent en lumière les relations que ce dernier a entretenues avec des artistes, des intellectuels et diverses personnes avec lesquelles il a étroitement collaboré. L'une d'elles concerne les échanges avec l'avocat Serge Klarsfeld au sujet de la jeune fille déportée, Dora Bruder. C'est ainsi que le dossier met en évidence les conditions dans lesquelles l'enquête a été menée, les photos, les documents et les témoignages relatifs à cette histoire qui donna naissance à un des textes les plus remarquable de l''uvre modianienne.
Afin d'éclairer les lecteurs/trices sur les rapports que P. Modiano a entretenu avec le septième art qu'il définissait comme «un laboratoire romanesque», le Cahier consacre une partie de son sommaire à la place et au rôle du cinéma dans l'univers de l'écrivain. Et ce, en publiant des extraits de sa correspondance qui illustrent la nature de ces liens. Par ailleurs, le Cahier reproduit l'entretien entre le journaliste Antoine de Gaudemar a réalisé avec Patrick Modiano, mettant en évidence les corrélations entre son 'uvre romanesque et le cinéma. Signalons qu'Antoine de Gaudemar a consacré un téléfilm au romancier, réalisé par Paule Zajdermann (France 3, 1996 - Vidéo, couleur, 45 min. Production : Flash Films).
Le contenu de cette monographie critique consacrée à Modiano est riche et enrichissante. Elle nous semble intéressante et instructive car la somme des articles et des documents publiés offrent l'opportunité de cerner l'écrivain, son 'uvre, son parcours révélant ainsi l'auteur dans sa singularité, sa complexité voire son humanité.
*«Modiano», sous la direction de Maryline Heck et Raphaëlle Guidée, Les Cahiers de l'Herne n° 98, Editions de l'Herne, Paris, 2012.
278 p.
Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Nom & prénom
email : *
Ville *
Pays : *
Profession :
Message : *
(Les champs * sont obligatores)