Algérie - Akfadou

Le dernier vannier de l’Akfadou



Le dernier vannier de l’Akfadou
Le dernier vannier de l’Akfadou
« Depuis la nuit des temps, dans nos montagnes, les femmes tissent la fine laine, le doux poil de caprin, et les hommes tressent les dures tiges de lentisque, d’olivier sauvage et d’osier, nobles plantes endémiques de nos maquis. Nous vivions en parfaite symbiose avec la nature. L’élevage donnait la laine, la forêt le bois, le sol les céréales et les légumes. Le noble olivier assaisonnait le tout de son huile précieuse. Nous savions nous contenter de peu, du strict nécessaire pour ne jamais détruire notre écosystème »
C'est Farid le dernier vannier de l'Akfadou qui parle . Il a hérité du génie de ses parents. Il perpétue la lignée des tisserands de roseau et de rameaux des nobles végétaux de nos maquis, proposant une riche variété de produits pour l’agriculture, l’ameublement et le tourisme. J’ai maintes fois, par un passé récent, séjourné dans son atelier, trônant sur la berge gauche de la Soummam, pour écouter son verbe mûr venant des veines profondes de l’immatérialité de la montagne. Il faut avoir des doigts de fée pour tresser ainsi l’osier, l’oléastre et le lentisque.
« Je suis parmi les derniers vanniers de Kabylie . J’ai repris le métier de mon père qui avait appris sur son père. Notre lignée ne peut s’éteindre, tout est dans le secret de la transmission. On ne peut sauvegarder un savoir-faire, sans pratique et sans accompagnement ».
Affirme t-il, alors que ses mains de magicien tressent avec souplesse la dernière rangée d’une corbeille à œufs (Taqechwalt n tmelalin ).
Un sentiment étrange m’envahit en regardant cet homme humble travailler avec une étonnante dextérité et exprimer tous les concepts de son métier dans sa langue maternelle, sans mélanger d’autres parlers. Quand je lui donne le mot français qui correspond à la désignation amazighe, il prend son stylo et note rapidement :
« Tadkent, se dit donc « une claie », c’est ça, cette nappe d’osier que l’on tresse pour le séchage des figues ? »
Une famille entre dans la boutique de vente qui jouxte l’atelier. Farid d’une culture fidèle à l’hospitalité légendaire des montagnards accueille ses clients en se pliant en quatre pour satisfaire la mère de famille qui voulait un miroir à cadre d’osier comme cadeau de mariage.
« Bienvenue, vous venez de loin ? Vous voulez un café, un soda, de l’eau de source ? Comme vous voulez madame, vous avez le choix. Un miroir à hauteur d’homme c’est à 4500 DA ou uniquement pour le visage à 2500 DA. Ceux-là sont à cadre d’osier (Alezaz), les autres à armature d’oléastre (Azebouj) ou encore de Lentisque ( Tidekt) . Prenez votre temps. Si les dimensions ne correspondent pas à votre goût, faites moi une commande ? »
La cliente comblée repart avec un petit miroir pour salle de bain et un panier en osier pour serviettes en papier. Farid satisfait reprend son monologue comme une délivrance, maintenant qu’il a une écoute attentive, il ne va surement pas se taire. Il en a gros sur le cœur. Ma sœur Rosa et Smail son époux tombent amoureux de sa boutique. Je pense qu’ils achèteront beaucoup de cadeaux pour leur retour à Paris.
Une matière première importée
Farid m’apprend que : « L’Algérie importe l’osier d’Espagne ! C’est impensable ! Ça pousse tout seul chez nous et notre osier gorgé de soleil est plus solide et de meilleure résistance. J’avais une plantation d’osier d’un hectare et demi, sur la rive de l’oued Soummam, qui me donnait toute la quantité voulue. Un jour un lâcher impromptu du barrage Tichihaf en amont, a tout emporté. Je n’ai jamais cherché d’indemnisation, la bureaucratie me fait peur. J’avais l’intuition que c’était une perte de temps. Après avoir perdu ma plantation, je n’allais pas perdre mon temps ! Je suis à la recherche de fermiers qui voudraient bien planter et cultiver l’osier, je suivrai la culture du début jusqu’à la fin et leur prodiguerai tous les conseils nécessaires. Il y a quelques petits paysans qui cultivent épisodiquement sur les berges de l’oued de petites parcelles nous leur achetons des bottes à 350 DA le kilo, L’osier importé d’Espagne est de qualité moindre mais il nous revient au double du prix, 700 DA le kilo quand on le trouve en seconde main. Je me rabats sur l’oléastre (olivier sauvage), un peu plus difficile à travailler mais plus solide à la longue.
Le plastique a chassé le bois
« Autrefois quand j’aidais mon père, nous fabriquions des ustensiles et emballages pour l’agriculture et le transport à dos de bête. Nous tressions des claies d’osier, des clisses de lentisque, des nattes d’oléastre pour le séchage des figues, des corbeilles de toutes dimensions pour le transport des olives, des figues, des raisins, des œufs, des porte-foins, de belles et solides malles pour habits… Les temps ont changé. L’agriculture a décliné, les vergers de montagne ont dépéri, le vignoble a disparu, le fer d’abord puis le plastique ont chassé la matière noble. Les cageots sans âme ont remplacé les corbeilles de roseau et les besaces spéciales pour montures. Les filets de nylon se sont substitués aux claies de lentisque, aux clisses de rameaux d’oléastre. Même le carton est venu dérégler notre profession. Du coup, il fallait s’adapter aux mutations pour survivre. Nous avons réinventé la profession dans ses intrants et ses produits finis. Nous continuons à servir l’agriculture, principalement des paysans nostalgiques des anciens produits de matière noble, mais il fallait se redéployer sur le marché de l’ameublement, le produit de loisir et la fabrication du gadget touristique. »
Chanter pour les végétaux
« En 1996, nous nous sommes mis à trois artisans pour fonder une coopérative de vannerie pour avoir les facilités d’importation et d’écoulement, pour baisser les charges et avoir un label sur le marché. Vers 2001 nous avons fermé et baissé les bras face à la paperasse et le parcours du combattant bureaucratique. Notre profession subissait des mutations rapides et nous n’avions plus d’emprise sur le réel, fait de produits manufacturés, importés par bateaux entiers. C’est la main de chair contre la machine de fer. Chacun de nous est parti dans son coin. Nous avons repris nos cartes d’artisans avec une affiliation à la chambre départementale de l’artisanat. Nous avons chacun un statut individuel. La vannerie est un métier solitaire en extinction. Notre travail est dur, parfois pénible notamment quand il faut décoller l’écorce, enlever à la main la peau des tiges d’osier, cela prend un temps fou. Travailler avec précaution à décoller la peau délicate au couteau sur des milliers de tiges et de sarments ! Alors que l’osier importé est sans écorce, décollée à la machine. Autrefois ce travail était passionnant. Enfants, nos parents nous faisaient appel et nous les aidions à cette tache qui demande de la patience. On écoutait alors le grand père chanter des ritournelles, des mots anciens que l’on ne comprenait pas toujours. C’était des chants à la gloire des végétaux habités d’esprits bienfaisants. Il chantait en tapotant l’écorce avec le canif. Le tapotement était souvent accompagné d’une comptine scandée dans le rythme de la frappe. Tous ces chants sont perdus avalés par le déclin de la profession et le cimetière de l’oubli »
Des produits adaptés à la demande
Farid revient à la réalité chassant la nostalgie de cette époque florissante révolue. Je remarque qu’il a un ordinateur au fond de son atelier sur un modeste bureau. Devinant mon interrogation, il anticipe et dit :
« Oui, je suis connecté moi aussi . Je m’aventure dans le monde de l’art, du produit artisanal des autres peuples, c’est génial. Ça m’aide beaucoup, il y a des modèles universels. Quand j’imagine un ustensile, ou un meuble, je le trouve souvent sur la toile, des gens ont déjà pensé à ses formes ».
Sa modestie cache une grande culture. Cet homme n’a pas l’habitude de se confier facilement, mais il défend de hautes valeurs, un civisme ancré dans la tradition du montagnard. Il sauvegarde, partage et transmet en collaboration avec les autres corps de métiers menacés eux aussi par l’importation de gadgets en provenance de pays lointains.
« Je travaille avec le vitrier. Je lui commande du verre à la convenance des clients. J’en fais des miroirs avec des armatures et des cadres d’osier ou d’oléastre. C’est un produit qui marche bien sur commande avec les dimensions voulues par le client même si en général, il y a des tailles standard. Je fabrique pour les citadins, des lustres, des abat-jours, des veilleuses, des paniers à linge, des corbeilles à papier…, j’ai imaginé de nombreux cadeaux, pour les mariages, des chaises pour mariées, des coffres à bijoux ,des porte-manteaux …La clientèle est exigeante mais nombreuse en été. Il faut adapter le produit aux saisons, aux rituels culturels, à la mode qui vient d’ailleurs. Quand on a la main et le savoir-faire, on ne craint aucune concurrence. Je suis passé de la vannerie de l’agriculture chassée par le plastique au produit exotique touristique. Je continue néanmoins à produire sur commande pour les paysans, des claies, des corbeilles, et autres besaces de transport à dos de bête. Souvent comme vous pouvez le voir, je fabrique des répliques de ces anciens produits en miniatures comme cadeaux achetés par les touristes de passage. »
Des clients arrivent, Farid Kouch sourit: « Tu me portes bonheur » me dit-il, ajoutant « C’est quel journal déjà ? »
Je quitte l’artisan et sa clientèle providentielle sur son ultime interrogation en lui précisant : « J’ai ton numéro et ton email, je t’appelle dés que le reportage est programmé la veille de sa parution. Je te donnerai toutes les coordonnées et le texte publié.» Lui répétai-je distinctement.
Rachid Oulebsir


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