Algérie

Le dernier soir



Il se rappela d'un adage mais ne se souvint pas de son auteur. Peu importe, pensa-t-il, s'imaginant parler à une foule suspendue à ses lèvres. Mais il n'y avait que son ombre et la femme avec lui. Il la regarda longuement, essayant de se donner un air de circonstance, mais elle fuyait son regard. «Je te saoule», finit-il par articuler. «Ne te crois pas aussi précieux qu'une bouteille de whisky», lui répondit-elle, l'assommant debout. Il se retint de commenter et se tourna vers la fenêtre qui reflétait son air maussade. Dehors, la nuit avait mis son pyjama et la rue se vidait de la vermine de la journée. «Dans une heure, je serai parti, débarrassé à jamais de cette seconde peau», se promit-il pour se donner un peu de contenance. Les rumeurs de la ville s'éteignaient aussi certain que sa vie conjugale qui se résumerait, bientôt, dans une valise à moitié pleine. «Aime-moi tu ne me construiras pas un château, déteste-moi, tu ne me creuseras pas une tombe», c'était le proverbe du terroir qui avait squatté son esprit depuis le matin. Au sortir du lit, il la trouva à l'attendre dans la cuisine alors qu'elle avait l'habitude, à cette heure-ci, d'être à son travail. Il s'étonna sur le moment puis se rendit à l'évidence. Ils étaient arrivés au terminus et le chauffeur le regardait, maintenant, avec insistance, pour qu'il descende du bus. Lui, le propriétaire du bus, si ça se trouve, lui qui avait financé l'acquisition et recruté le chauffeur, il se retrouve débarqué comme un voyageur qui n'aurait pas payé son ticket. Elle lui avait expliqué que le temps est venu de repartir chacun de son côté, de s'éloigner dans deux très longues routes parallèles jusqu'à la fin des mondes. Il voulut s'expliquer lui aussi mais se ravisa, sachant pertinemment que la maxime populaire mentait, au moins dans sa deuxième partie. «Déteste-moi et ce n'est pas seulement une tombe qui m'attend. C'est une corde de potence en guise de cravate de cérémonie, le bourreau pour témoin». Et il vit dans ses yeux, à elle, la corde qui se balançait. Dans une heure au plus tard, il ne serait plus là, laissant une vie en jachère et les promesses d'un bonheur à deux s'effriter lamentablement. Il se rappela du jour où il l'a connue, de l'amour partagé, du mariage et des enfants qu'ils n'ont jamais eus. Un vague à l'âme l'étrangla, serrant un peu plus fort, jusqu'à l'étouffer. Elle, elle était déjà ailleurs, faisant des plans où il n'en serait jamais le centre, pensant peut-être à un autre homme que lui. Leur livre, à eux, allait bientôt se refermer sur trois points de suspension au goût amer d'inachevé, dans moins de trente minutes, un peu plus, un peu moins, le temps que le taxi arrive. Il voulut sortir, fuir ces derniers instants de vie commune mais la pluie qui s'était mise à tomber, l'en empêcha. Désormais, quoi qu'il fasse, quoi qu'il dise, les dés étaient jetés et le croupier de lui crier à l'oreille : «faites vos jeux, rien ne va plus !».


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