Algérie

Le dernier calife



Le colonel Kadhafi a régné plus que Roosevelt, Churchill, De Gaulle et Kennedy réunis.

Dans certaines contrées, un général est d'abord perçu comme un militaire, c'est-à-dire un méchant. Un dirigeant autoritaire, une sorte de caricature de ce qu'il ne faut pas faire. Il n'a aucune excuse, aucune circonstance atténuante. S'il est au pouvoir, c'est qu'il s'y est imposé par la force, et il s'y maintient en s'appuyant sur l'armée. Il n'a aucun respect pour la volonté du peuple. Au nom de l'ordre et de la stabilité, il est prêt à tout pour se maintenir au pouvoir et s'enrichir.

Dans d'autres contrées, un général est perçu comme un homme politique chevronné, et un grand défenseur de la démocratie. Son passé de militaire lui donne une note de bravoure, ainsi que cette épaisseur politique et ce sens des intérêts du pays qui ouvrent la porte aux grands desseins. Il exhibe ses galons et ses décorations pour montrer son autorité et son sens du sacrifice, des qualités qu'on est supposé acquérir sur le champ de bataille. Cela fait chic dans les bals et les réceptions. Mais ce volet relatif à une activité militaire trouble est rapidement éludé, pour mettre en oeuvre l'expérience, l'abnégation et l'envergure politique.

Là où le général a mauvaise réputation, c'est dans les pays arabes. De l'Algérie à l'Egypte, en passant par la Tunisie et la Libye, par exemple, les militaires sont des « méchants », des dirigeants infréquentables. Ils sont au pouvoir depuis des décennies, et ils y resteront tant qu'ils pourront, avant d'y installer leurs enfants ou leurs proches. Ainsi, toute une génération de Libyens, qui atteint la soixantaine aujourd'hui, n'aura connu que le colonel Mouammar Kadhafi comme dirigeant !

Là où le général est vénéré, c'est en Israël. Aux dernières élections israéliennes, il y avait en compétition un général, Ehud Barak, une ancienne du Mossad, Tzipi Livni, un homme créé par le Mossad, Benyamin Netanyahu, et un letton d'extrême droite, Avigdor Liberman. Un cocktail qui, dans n'importe quel pays du monde, ferait craindre le pire, et pousserait Bernard Kouchner et les pays occidentaux à déclarer immédiatement le boycott, tant le danger de voir émerger un pouvoir fascisant est réel.

Mais, malgré ce profil des dirigeants israéliens, malgré leur appartenance à l'armée ou aux services spéciaux, et bien qu'ils aient toujours vécu au coeur d'un système hyper-militarisé, personne au monde n'ose mettre en doute le caractère démocratique du système qui les a portés. Avant le gouvernement Ehud Olmert, qui gère les affaires courantes, il y en avait un autre, dirigé par un général de sinistre réputation, Ariel Sharon. Et peu avant lui, c'était encore un autre général, Ehud Barak. Tous ont reçu plein de décorations pour des faits d'armes qui se résument essentiellement à la répression des Palestiniens et à la négation de leurs droits. Avoir cassé du palestinien est d'ailleurs une condition sine qua non pour accéder aux postes élevés. Mais cela n'altère en aucune manière les convictions « démocratiques » de ces dirigeants d'un autre type.

A l'inverse, en Algérie par exemple, où pas un seul militaire n'est dans la course pour les élections présidentielles d'avril 2009, aucun intellectuel occidental n'ira sur un plateau de télévision affirmer qu'il s'agit d'une élection démocratique, selon les normes occidentales imposées. Pourtant, il y a des candidats qui se proclament opposants, tenant un discours violent contre le pouvoir en place, et une presse privée dont une partie est hostile au président en exercice.

Pourquoi ce paradoxe ? Pourquoi un militaire est-il bon pour diriger un pays avec le label de démocrate ici, alors que chez le voisin, il est condamné à l'avance, et considéré comme un ennemi de la démocratie ? Bien sûr, la réponse la plus simple serait de mettre en cause la connivence occidentale avec Israël. Quoi que fassent les dirigeants israéliens, ils seront toujours, aux yeux de l'Occident, des démocrates, qui commettent parfois des erreurs secondaires, mais dont les convictions démocratiques ne sont jamais remises en cause. A l'inverse, aussi loin que puisse aller un pays arabe dans la construction démocratique, il restera toujours suspect. Même si les expériences ne sont pas très nombreuses.

Mais ce parti pris occidental, réel, n'explique pas tout. En fait, il s'appuie sur d'autres données. D'abord, le système israélien contient une part importante de consensus et de vraie représentativité. Il s'appuie sur la concertation, la recherche du consensus, et l'intégration du plus grand nombre.

Ensuite, le système israélien offre l'immunité légale à ses dirigeants, mais pas l'impunité. D'ailleurs, un ancien président, Menachem Mazuz, et un Premier ministre en exercice, Ehud Olmert, sont poursuivis, le premier pour viol, le second pour vol. Ceci n'est envisageable dans aucun pays arabe.

Enfin, le système israélien a le mérite d'être efficace. Il s'appuie sur la performance scientifique et technologique, sur des institutions que tout le monde s'applique à renforcer. Ceci permet d'assurer un fonctionnement efficace et un renouvellement des générations, tout en préservant le fond commun. A l'opposé des pays arabes, où tout semble sclérosé.

De l'Algérie à l'Egypte, en effet, on trouve deux généraux, Hosni Moubarak et Zine El-Abidine Ben Ali, un colonel, Mouammar Kadhafi, et un officier reconverti, porté par des généraux, Abdelaziz Bouteflika. A eux quatre, ces dirigeants accumulent exactement un siècle de pouvoir : dix pour M. Bouteflika, vingt-deux pour M. Ben Ali, vingt-huit pour M. Moubarak et quarante pour le colonel Kadhafi. A lui seul, M. Kadhafi a gouverné plus que Churchill, De Gaulle, Roosevelt et Kennedy réunis. Le règne de M. Moubarak a dépassé celui des quatre premiers califes !








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