Algérie

Le découpage administratif, cette chimère du millénaire



«On risquait de se retrouver avec 106 wilayas !» Tel a été le motif principal invoqué par un haut responsable du sommet de l'Etat dans une récente conférence de presse, pour justifier l'ajournement sine die du découpage administratif annoncé il y a quelque temps déjà.

Et pourquoi pas, 106 wilayas ? Ce qui donnerait dans l'absolu arithmétique une wilaya pour 360.000 habitants et qui serait l'idéal rêvé pour gérer un territoire cinq plus vaste, que le plus vaste des pays de l'Union européenne. N'a-t-on affirmé et réaffirmé la volonté de rapprocher le citoyen de son administration ? La seule et unique voie logique à emprunter serait de s'implanter dans sa proximité immédiate. Ce même responsable évoquait lui-même la perspective de créer dans un premier temps, des circonscriptions administratives à l'effet de donner aux «heureuses élues» toutes les chances de réussite. Il y aurait même eu des choix de terrains pour les futures structures projetées. Pendant qu'on nourrissait l'espoir par des hypothèses de changement de statut administratif pour des régions qui ont fait les frais des découpages de 1974 et 1984, voilà qu'on efface tout et qu'on recommence.

Là, il n'y a qu'un pas vers la dérive. Ce ne sera pas les marginaux sociaux ou les jeunes chômeurs qui feront du boucan, mais tout le monde. Et ce ne sera pas le mal vivre qui en sera la cause, mais le déni et l'injustice qui seront la flammèche du désordre. Un des principaux motifs de cette «volte face» serait la sous-administration du pays. Ce motif qui ne tient pas la route est en totale contradiction aves les énoncés politiques qu'avance à chaque fois le gouvernement, devant le parlement pour rendre compte de son activité.

La foultitude d'universitaires formés par les dizaines d' universités, de centres universitaires, de grandes écoles et d'instituts supérieurs contreviendrait à cette assertion. Il est tout aussi vrai, que si les nouvelles promotions battent le pavé, les écoles de maitrise voient leurs produits immédiatement phagocytés par l'environnement socio économique du pays. Ou sont donc passés ces hauts lieux de la formation administrative qu'étaient les CFA et dont beaucoup de hauts cadres le l'Etat s'y firent les dents ?

Y a-t-il eu vraiment une prospective en matière de gestion de ressources humaine ? L'honnêteté commande de dire : Que non ! Si les wilayas d'alors pouvaient plus ou moins envisager des formations propre compte, justement au niveau de ces centre de formation, elles n'ont plus la possibilité depuis fort longtemps. Elles dépendront du produit de la formation supérieure qui comme tout le monde le sait, n'est pas faite à la carte encore moins adaptée au profil sociologique local. Il nous vient à l'esprit cette anecdote qui date déjà d'une vingtaine d'années, et dont l'acteur en était un cadre administratif de l'administration sanitaire qui officiait à Timimoun et dont la nouvelle affectation le «condamnait» à un transfert à Théniet El Haad. Il refusait crânement de rejoindre son nouveau poste où il appréhendait ses hivers neigeux. Une phobie peut être, mais c'était un motif suffisant pour ruer dans les brancards et à juste raison d'ailleurs. L'adaptation au poste de travail est l'une des conditions dont on doit tenir compte. En supprimant cette formation, on croyait candidement que le produit universitaire aller combler le vide crée par ce siphonage technique.

L'approche d'améliorer la qualité par l'élévation du nouveau de recrutement, n'est pas l'apanage de la seule l'administration des collectivités locales, on la retrouve dans tous les secteurs de l'administration. La construction forcenée d'un système de santé publique autour du seul médecin a généré, une sorte de disqualification professionnelle des autres corps et le réinvestissement de l'hôpital par des pathologies anciennement prises en charge par le dispensaire. Il est admis, aujourd'hui, que la démographie médicale dépasse de loin la démographie paramédicale qualifiée (Anesthésistes, puéricultrices, préparateurs en pharmacie, prothésistes dentaires). On retrouve les mêmes scories dans le monde de l'ingénierie et l'art de bâtir ; il ya plus d'ingénieurs que de dessinateurs-projeteurs. Le monde judiciaire n'est pas exempt de la règle, le nombre de greffiers est moindre que celui des magistrats. Il n'est pas encore admis dans l'inconscient des gens qu'une équipe ne peut se constituer sans tous les éléments qui doivent la composer. Et comme dit si bien l'adage : «Une hirondelle, n'a jamais fait de printemps». Par manque de personnel de maitrise ou profusion de cadres, ces derniers sont chargés de tâches subalternes : protocole, bureau d'ordre, bureau des inventaires, parc automobile etc. Les fonctions d'attachés d'administration, jadis confiées, aux candidats justifiant d'un cursus scolaire d'une ou deux années de lycée ayant suivi une formation dans un CFA, ne le sont plus maintenant. Il faut, pour ce faire détenir une licence de l'enseignement supérieur et l'inscription à un concours de recrutement. Quel serait alors l'état d'esprit de ce fonctionnaire, mis en subordination de son collègue issu de l'Ecole nationale d'administration (ENA). S'il y a sous administration, ce n'est certainement pas le fait du nombre, mais de la qualité dont on oublie souvent la stricte nécessité. Il faut reconnaitre aussi que la ressource humaine est encore éludée dans la plus part des structures étatiques. Confiés à d'archaïques bureaux des personnels, les effectifs de plus en plus nombreux, déambulent dans les coursives donnant une désagréable sensation de désÅ“uvrement. Les chefs de ces bureaux, se sont au fil du temps érigés en véritables potentats auxquels, il faut prêter allégeance. La délégation de signature peut même les rendre des «intouchables» et dont la prééminence bureaucratique escamote celle de beaucoup de cadres supérieurs de l'administration locale ou même centrale. Voilà de ce qui peut être dit du sous encadrement administratif. Le véritable problème est, sans nul doute, cette navigation à vue et dont tous les secteurs d'activité en supportent les contre coups. Au lieu de se revisiter et se remettre constamment en cause, on pérore sur nos capacités d'analyse qui sont souvent erronées. A l'heure où nous écrivons ces lignes, l'équipe nationale du sieur Raouraoua recevait une déculottée historique d'une équipe qui n'a jamais eu la prétention de faire partie, du gotha mondial du football. Comprendra-t-on enfin que ce n‘est surtout pas une affaire de moyens matériels, mais de volonté. Le mercenariat national a fait son temps !

En définitive, « les pouvoirs publiques veulent éviter de créer une circonscription dont on sait qu'elle fonctionnera mal et aura pour effet de dégarnir du personnel de celles qui existent déjà». Est-ce le résultat d'un audit d'évaluation ou un simple sentiment ? Si c'est cette dernière option qui a présidé à la décision de surseoir au découpage administratif, il y aura tout lieu de croire que le tâtonnement n'a pas encore fini de sévir. Car, les quelques régions postulantes, se comptent sur le bout des doigts d'une seule main. Leur argumentaire, ressassé mainte fois, tient en quelques lignes. Ce sont généralement d'anciens sièges d'arrondissements de l'époque coloniale et dont on ne peut pas dire qu'ils sont dans le dénuement administratif. Leur savoir faire administratif a servi et pendant longtemps, leurs nouvelles wilayas de rattachement au moment de leur création. «Le jour viendra où nous aurons un surplus d'encadrement et là nous relancerons la question.» Amen ! Sous d'autres cieux, auxquels on fait souvent référence, le citoyen est, cette entité humaine, qu'on se garde de leurrer parce que tout responsable et quelque soit son autorité est d'abord citoyen. Donc, il se doit du respect. On ne leurre pas l'administré par des vÅ“ux pieux, mais on affiche clairement sa volonté d'apporter des solutions aux problèmes posés par un échéancier comportant la date et le jour. Faire dans le vague ne fait d'exacerber les tensions déjà insupportables aussi bien pour le citoyen, que pour les pouvoirs publics qui ne peuvent plus ce dérober devant les attentes citoyennes constamment entretenues, par la magie des télécommunications et de l'Internet. Les réseaux sociaux ont supplanté les faiseurs de révolutions en moins de temps qui ne leur a fallu, pour se trouver une devise.

«Au début, nous avions décidé de créer au plus six nouvelles wilayas dans des régions enclavées, mais avec le temps, nous nous étions rendus compte que chaque citoyen, élu, député ou responsable voulait sa wilaya, et on risquait de se retrouver avec 106 wilayas». Si chaque citoyen, élu, député ou responsable a exprimé ce vÅ“u, c'est qu'il est partagé par toutes les franges de la population et c'est déjà le consensus général. Heureux enfin, que l'on se mette d'accord sur une démarche publique d'intérêt général, ou serait donc la pierre d'achoppement ? Probablement, dans le seul fait du prince. «D'autres paramètres d'ordre politique et social avaient contribué à bloquer l'opération».

Pourquoi a-t-on attendu tout ce temps pour faire une déclaration aussi réductrice ? Est-ce à dire que le premier effet d'annonce n'était adossé à aucun paramétrage préalable ? Ou bien c'était tout simplement la fièvre préélectorale qui a fait dire des choses dont on se déjuge aujourd'hui. Le grief n'aurait pas été retenu pour la partie qui n'aurait pas remporté le suffrage, ce qui n'est, malheureusement pas le cas. Faisant comme si et voyons de près, ce binôme de paramètres qui a fait que l'on bloque l'opération. Si le premier relève exclusivement du politique, le second, serait beaucoup plus socio économique que social exclusivement. Le citoyen, plus que tout autre, est le seul confronté à cette machine administrative qui lui fait débourser des sommes d'argent qu'il puise dans ces réserves vitales pour se faire délivrer un document qui ne peut l'être, qu'en échange d'un déplacement éprouvant et parfois humiliant. Tout citoyen a compris depuis longtemps, qu'il ne pourra avoir accès aux meilleurs soins, à la meilleure éducation pour ses enfants, au transport, aux loisirs, au logement que s'il résidait au chef lieu de wilaya. La preuve matérielle en est, l'université, le parc omnisport, la piscine olympique, la maison de la culture, l'aéroport, la gare ferroviaire quand ils existent, le théâtre, l'hippodrome, le musée, le cinéma et une multitude de petits conforts que l'on ne peut trouver qu'au chef lieu de wilaya. Il n'a jamais été ou peu tenu compte, dans les perspectives de développement de la densité de la population à couvrir mais du seul statut administratif de la localité. Les exemples d'agglomérations dont la population dépasse de loin celle du chef lieu de wilaya ou de daïra foisonnent, et le dépit de celles-ci est aussi dense que leurs populations. On suggère enfin qu'on légifère pour trouver un statut spécifique aux grosses agglomérations «congestionnées», tel a été le terme utilisé. Alger ne disposait-elle pas d'un statut particulier pour qu'aujourd'hui, on vienne le redécouvrir ? Faut-il des lois pour gérer les équilibres macro et micro économiques dans une même région ? L'indice démographique n'est-il pas à lui seul, un paramètre d'évaluation des besoins exprimés et des besoins ressentis ? Ce paramétrage ne participe-t-il pas en même temps à la bonne gouvernance et à l'équité sociale et économique ? Le développement local a été de tout temps, cet unijambiste dont l'équilibre précaire a rendu instable à chaque soubresaut. La wilaya, cet avant poste de la représentation et de l'efficience de l'Etat, ne doit plus être tenue comme socle de la seule autorité régalienne, mais comme un véritable pole d'excellence regroupant les meilleures compétences de son environnement immédiat. Elle doit puiser dans se propres ressources universitaires, littéraires et culturelles. On peut y recourir à temps partiel sous forme d'audit, d'expertise ou autres. Il est temps que les socio anthropologues, les psychologues, et autres spécialités en sciences humaines investissent la citadelle, elle ne s'en portera que mieux.

Note : les textes entre guillemets sont extraits d'un article publié par le Quotidien d'Oran du 04/06 / 2011




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