Algérie

Le déclin de la civilité



Citoyen (ou) «Didi Barâchou» Bizarre comme notre dure réalité peut-elle, dans un rêve, se métaphoriser en empruntant des éléments à des scènes cinématographiques ou des fictions littéraires, parfois de chez nous! J’ai fait le rêve que des enfants me lançaient des pierres, en criant «Didi Barâchou, Didi Barâchou», ou quelque chose comme ça. Mais c’était exactement comme dans cette scène du feuilleton de Mustapha Badie, reprenant la trilogie de Mohamed Dib, puisque dans le rêve je me suis senti dans le même état de déchéance que celui que j’ai toujours imaginé être de Didi Barâchou, personnage de Dib. «Quelque chose de lui s’est incarnée en moi en situation, ou que mon état a eu recours à son image pour que prenne vie, en rêve, mon angoisse? Je ne suis ni ivrogne ni SDF, d’où vient alors cette immersion, en images, dans mon sommeil, de ce sentiment de décalage effrayant entre une vision de la normalité transmise aux enfants et ce qui serait, quelque part en moi, ma situation ou la conscience que j’ai de mon déclin?» me répétais-je en dilettante exégèse encore en panne d’interprétation. La dernière fois qu’une scène d’un film algérien est apparue dans mon rêve, j’ai pu en donner très vite une explication; certes brutale, de premier degré, mais qui m’a apparu si convaincante que je n’ai plus, depuis, chercher à en trouver une autre. Je m’étais vu dans une salle de cinéma où l’on projetait un film hindou, je pense, et où Omar de Omar Gatlatou de Merzak Allouache était présent. C’était la même ambiance que dans le film de Allouache: Tout à coup, sur l’écran de la salle, quelque chose qui grille, puis ce fut le noir autour de moi dans un monde en panne. L’assistance se mit à crier: «Remboursez! C’est de l’arnaque... «J’eus une grande frayeur en imaginant que ça allait dégénérer et que le monde qui m’entourait allait se mettre en révolution puis, m’apaisant, je me persuadai peu à peu que le gérant de la salle allait sortir pour s’en excuser et inviter les gens à aller récupérer le prix de leur billet avec la promesse de mettre à la porte l’opérateur incompétent. Mais, rien de tout cela! Sur la scène, face à l’écran blanc, apparaît un homme de forte corpulence, bourru, désinvolte. Il s’assied sur un haut tabouret qu’on lui avait ramené, retrousse les manches pour faire apparaître ses biceps, prend une cigarette puis dit, avec un air de bravade et de mépris: «Hayya! Ouach? Criez, criez autant que vous voudrez. Nous sommes là, râna h’na. Le film a grillé, et puis après? Que voulez-vous qu’on fasse, ce n’est que du cinéma. Allez voir qui vous voulez». Révoltée et craintive, l’assistance, qui semblait avoir pris une douche froide, finit par se résigner; et l’on quitta la salle dans un murmure désabusé. C’est alors que je dis: «C’est comme le Pouvoir et nous». Suite à quoi, je reçus un coup sur la tête, comme ce coup de règle qu’un maître d’école m’asséna un jour où je rouspétais en lui opposant une perspicacité quelque peu embarrassante. Bref, j’ai déchiffré facilement -ou ainsi m’a-t-il semblé- cette vision onirique en adoptant l’interprétation même que j’en donnais pendant que je la faisais: oui c’était l’image du Pouvoir et nous, actuellement. Pour ce qui est de l’image de «Didi Barâchou», aucune explication qui tient la route, bien que j’aie, obsessionnel dira-t-on, le sentiment que le pouvoir s’est incarné (sans que je découvre comment s’en était-il pris) en enfants pour m’humilier, à l’instar de nombre de citoyens de ma condition, dans une image d’extrême déchéance. Finalement, je suis allé voir un ami qui souvent me reproche de vivre dans l’illusion fictionnelle à m’y confondre pendant que «syadi», disait-il souvent, se remplissent les poches. En opposé, et néanmoins plus carré que moi en interprétation, il me lance: «Mais non, ce n’est pas le Pouvoir. Pourquoi tu en veux à ces gens-là? Tu en est jaloux ou quoi? «qilek minhoum» Puis il continue: «Tu as tout simplement un problème avec les enfants du coin -il m’aurait vu courir après eux un jour- Raconte, ils te font peur?» Comme quelqu’un qui a pris soudain conscience qu’on lui tendait là une perche subtile, j’ai senti tout l’abcès purulent de mon angoisse suinter à ma langue; et je me suis mis à débiter: «En face de cher moi, on (la commune) a aménagé un espace longtemps vacant en stade -moi, j’aurais voulu que ce soit un jardin. Entourage élevé de grillage; tapis de tufs vert et grenat; tracés de terrains de hand-ball et de basket-ball, garnis de bois et panier en fer. Les exploitants du stade, jeunes et moins jeunes n’y pratiquaient que du football. Avec des cris, des insultes, des mots grossiers et un ballon qui fusait de toute part. Jusque-là, presque rien à dire quand on pouvait fermer les oreilles et encaisser les coups de ballon sur ses fenêtres. Quelques semaines après, on coucha au sol les supports de panier de basket-ball qu’on avait jusque-là retirés sur la touche. Plus tard, ils furent démontés en parties de sorte que chacune servira de traîneau aux enfants qui n’avaient pas de ballon avant qu’on les jetât carrément, dehors, sur le trottoir, démantelés. Ceux qui ne voulaient pas faire de détours pour accéder au terrain, cisaillèrent le grillage, au bout opposé à l’entrée, pour s’aménager un passage, lequel passage sera agrandi au fil des jours jusqu’à ce que les gardiens de voitures, qu’on garait à côté, eurent l’idée de construire un chemin en pente, avec pierre et ciment, et, finalement transformer le stade en parking nocturne. En ce moment, je m’endors et me réveille sur le vrombissement pourrissant des moteurs; et, durant la journée, des enfants viennent, comme des corbeaux se jetant sur ce qui reste d’une indéfinissable proie, se suspendre, avec un enjouement débile, aux barres de ce qui reste des buts de hand essayant, dans une frénésie hargneuse, de les arracher tandis que d’autres, venant plus tard, s’acharneront à y taper avec un bâton ou y jeter des pierres pour les faire résonner d’un son qui remplirait leur vide et donnerait à leur liberté une certaine consistance. A chaque phase de cette destruction en règle, je venais, certes hors de moi, rappeler aux enfants que ce qu’ils faisaient n’était pas bon. Ils commencèrent par s’en excuser, façon malicieuse de me calmer un peu, puis ils se mirent à me regarder avec agacement avant qu’ils ne m’opposent carrément la moquerie ou l’insulte de celui qui était dans ses droits. Pendant ce temps-là, les adultes, après avoir acquiescé un temps à mon geste, passaient en me regardant avec une allure de respectabilité exacerbées par ce qui leur semblait être chez moi une lamentable condition. La veille de mon rêve, j’avais, je me souviens, réprimandé les enfants jusqu’à l’insulte, une meute d’enfants qui s’acharnait sur le grillage, les barres des buts, et qui se lançaient des mots obscènes. Ils me regardèrent avec des yeux narquois et, tous hilares, ils me jetèrent des pierres et des mots que je ne pus percevoir dans mon trouble. «Tu as vécu, comme la suite de cela, dans ton rêve, remarqua mon ami... Mais ton rêve tout autant que la réalité que tu racontes, participent à notre culture». Puis il conclut: «Ah! Combien de couches de représentations nous faut-il, ami sensible, pour amortir les chocs et absorber les absurdités de notre réalité, et ne pas perdre ainsi la tête! Va, écris-nous quelque chose: elle nous sauverait peut-être...un peu». Mohamed Sehaba


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