Algérie

Le déclin de la civilisation occidentale : Retour aux grottes ou fin du monde !



Publié le 14.09.2023 dans le Quotidien d’Oran
par Abdelkader Guerine*

Civilisation, un mot qui dérive du Latin «Civis» ou «Civitas», lesquels désignent respectivement le citoyen ou la citoyenneté.

Sa prononciation, initialement «Keiwis» et «Keiwitas», a connu des glissements qui ont altéré à sa phonétique avec l'évolution des codes de la linguistique des langues européennes. La civilisation est donc liée à un ensemble de citoyens, à leur comportement communautaire et à leur qualité de vie dans une société à une époque déterminée.

Un retour chronologique à l'évolution de l'humanité permet de déduire que le mode de vie actuel des êtres humains est le résultat d'une succession de civilisations qui ont, chacune, contribué avec un renouveau matériel et moral à la confection graduelle de la société humaine. Par définition, la civilisation est l'ensemble des acquisitions assimilées par l'humanité dans le but d'améliorer les conditions sociales des peuples qui en bénéficient. Les civilisations qui n'apportent plus rien à l'humanité sont destinées à l'extinction, celles qui résistent à l'effacement sont souvent cloîtrées dans un espace géographique restreint qui regroupe des populations détachées de la marche de l'histoire.

Les premières civilisations ont fait sortir l'homme de l'ère primitive, assez proche du mode de vie animalier, vers une organisation sociale, intelligemment structurée. Ainsi, après l'état rudimentaire nomade et de l'exercice de la chasse, l'homme devint une créature sédentaire qui commença à perfectionner l'outillage nécessaire pour construire un gîte et travailler la terre. Ces transitions primaires ne sont pas considérées comme de véritables civilisations, bien qu'elles aient été à la base des transformations majestueuses que l'humanité allait progressivement connaître plus tard.

De l'activité manuelle artisanale à l'esthétique raffiné des arts émotionnels, de la compétence du génie scientifique à la clairvoyance subtile de l'intellect, le progrès humain s'est enchaîné d'ère en ère, d'une civilisation à une autre, pour enfin aboutir à la société moderne dans laquelle nous vivons actuellement. Motivés par un cadre de vie plus facile et plus confortable, les êtres humains ont toujours fait l'effort pour trouver les moyens d'aller plus vite, plus loin et plus haut. L'exploitation des matériaux fournis par la nature constitue la démarche fondamentale, indispensable à la transformation de l'élément brut en utilité pratique pour l'aménagement des conditions de vie du mieux vers le meilleur (habitat, nourriture, habillement, moyens de déplacement, instruments de travail, santé, armements de guerre,…). Les anciennes croyances animistes, puis l'apparition des religions, ont produit un effet fantastique sur l'encadrement de l'intelligence humaine. Leur influence dans le modelage des idéologies et dans la diversification des cultures est essentielle pour la constitution des différentes civilisations. Chez les anciens peuples, les temples et les lieux de cultes étaient le centre de l'émancipation des esprits, la boussole de l'orientation des opinions et la tribune de la prise des décisions importantes. Les sciences humaines et la philosophie ont aussi contribué au perfectionnement de la pensée et à l'ajustement du contentieux des connaissances avec le progrès acquis d'une époque à l'autre. Le fondement d'une civilisation repose sur l'urbanisation de cités qui seront le centre du rayonnement du nouveau style de vie. Un système d'écriture est également requis pour la communication et la représentation de la qualité du comportement social. Une conduite civilisée nécessite une hiérarchie gouvernante pour instaurer l'ordre, avec une politique reconnue par ses lois qui font l'unanimité chez toutes les catégories du peuple. La division du travail, selon les dispositions individuelles et les concours collectifs, est indispensable pour la finalisation des projets de cette même société afin de la maintenir en cours. L'ensemble de ces caractéristiques représente le modèle identitaire d'une culture qui distingue une civilisation d'une autre.

Les anthropologues et les ethnologues qui s'intéressent à l'évolution de la société humaine s'interrogent souvent sur la destinée de notre présente civilisation. Est-elle appelée à connaître le même écroulement que les civilisations qui l'ont précédée ? Les réponses qui surviennent examinent les raisons qui ont abouti à la décadence des anciennes sociétés, en essayant de les mettre en rapport avec des faits qui peuvent conduire la nôtre vers un péril probable. Ces penseurs déduisent que le déclin d'une civilisation est anticipé par plusieurs facteurs nocifs dont : les catastrophes naturelles (séismes, volcans, inondations, désertification,…), les guerres fratricides, les épidémies comme celle de la peste ou de la récente Covid-19, la famine, ou bien le dépeuplement de lieux, quand l'espace ne garantit plus les conditions indispensables à l'existence tel que l'eau ou le travail. D'autres raisons théoriques ont aussi un effet néfaste sur les structures d'une société civilisée : la partialité du régime gouvernant, les inégalités sociales, la violence, la corruption endémique ou la mauvaise gestion du potentiel économique, sont quelques aléas qui agissent négativement sur la psyché collective et conspirent, éventuellement, au freinage de l'évolution d'une civilisation et même à son arrêt.

Le déclin d'une civilisation se caractérise par l'appauvrissement de son identité culturelle et par l'effritement de sa complexité socio-économique. Cependant, une civilisation perd sa stature, ou disparaît complètement, ce qui est rare, quand sa culture est absorbée par une nouvelle civilisation plus performante, celle qui apporte des innovations plus pertinentes et plus sophistiquées pour le confort des êtres humains. De ce fait, on peut comprendre qu'une civilisation s'édifie sur les ruines d'une autre, en se basant sur l'antécédent de ses propriétés originales, pour développer un nouveau type de société avec d'autres spécificités socioculturelles. C'est le cas des premières civilisations mésopotamienne et égyptienne qui ont servi de socle sur lequel les Phéniciens, les Grecs puis les Romains ont respectivement fondé leurs sociétés, chacune sur le substrat de l'avancée de l'autre.

La durée du processus de la mutation d'une civilisation, à une autre, est relativement courte, cela dépend de la capacité de résistance de la première à l'influence exercée par celle qui la bouscule. L'opération s'effectue, en premier lieu, par l'invasion territoriale armée, par la guerre. La naissance d'une nouvelle civilisation s'opère généralement dans la violence et la douleur. Cette entreprise novatrice est regardée par les uns comme un envahissement étranger, d'autres estiment qu'il s'agit d'une conquête civilisatrice.

Par la suite, le changement communautaire se concrétise par l'accaparement de la gouvernance, par l'imposition de la nouvelle politique qui consiste à installer un nouveau régime avec une nouvelle culture, laquelle véhicule une nouvelle langue et une nouvelle idéologie. Le remodelage de la société est un procédé continuel, car l'ancienne civilisation, quand bien même elle est submergée par une autre culture, elle gardera toujours quelques traits de ses coutumes originelles et quelques notions de ses principes fondamentaux.

Traditionnellement, le terme «civilisations», au pluriel, se rapporte aux multiples sociétés qui ont existé parallèlement dans la même époque, mais dans des espaces distincts. Les sociétés de l'Egypte antique et de la Mésopotamie, celles des Grecs et des Romains ou celles des Chrétiens et des Musulmans, sont des exemples de civilisations qui se sont manifestées de manière presque simultanée autour du bassin méditerranéen, considéré alors comme le centre de ce qui était le monde. Les rapports entre ces sociétés éparses étaient distants, les seules interpénétrations établies entre ces pôles étaient soit dans le cadre d'échanges commerciaux pendant les périodes de paix, soit lors des affrontements guerriers, générés par des rivalités ethniques, par l'ambition de l'expansion territoriale, par des conflits idéologiques et religieux ou par le prestige de l'exercice d'un pouvoir autoritaire sur l'autre.

Certaines civilisations se sont épanouies en marge du progrès universel. Les Chinois et les Indiens, par exemple, ont développé un cadre de vie social remarquable, mais leurs sociétés, fermées sur elles-mêmes, n'ont été investies par le monde externe que dans les temps récents. La régression de l'empire musulman qui occupait l'espace de la péninsule ibérique a ouvert les portes à la culture judéo-chrétienne pour renforcer ses rangs à travers toute l'Europe. D'autres civilisations lointaines éteintes sont découvertes dans l'époque moderne au cours de l'expansion de la géographie du monde. Celle des Incas au Pérou et celle des Mayas en Amérique centrale font toujours l'objet d'études consacrées aux vieilles sociétés et à la recherche de l'origine de l'humanité.

La civilisation, au singulier, désigne une société qui domine le monde à sens unique, ou du moins la majorité des peuples, par l'influence de sa culture et la puissance de sa force militaire et économique. La civilisation moderne et contemporaine, dite aussi Occidentale, est le régime socioculturel qui règne sur le monde depuis la fin du Moyen-âge. Elle s'inscrit dans la suite du développement enregistré en Europe à partir de la chute des empires traditionnels grec et romain. Cette période d'essor est marquée par l'émergence du mouvement de la renaissance qui a engendré un éclat scientifique et artistique impressionnant et, plus tard, par la révolution industrielle qui allait bouleverser le cours de l'histoire humaine. L'acheminement de ce bond de progrès est suivi par la mécanisation, puis la robotisation du monde du travail. Ces réalisations techniques ont induit au perfectionnement des services sociaux et à l'affermissement des conditions de la population occidentale. L'invention de l'électricité a généreusement accéléré le procès du retentissement de cette civilisation qui a consolidé sa montée avec l'introduction du nucléaire et l'apparition des industries fossiles indispensables à la transition énergétique.

L'amélioration des moyens de communication et de transport avec de nouvelles technologies, informatiques notamment, a consolidé l'avancement des Européens et facilité le tissage des accords avec les ensembles externes à la sphère occidentale. Ajoutés aux éléments matériels, les réseaux médiatiques, les mouvements migratoires humains et la vaste campagne de colonisation du monde par les Européens leur ont permis la vulgarisation de la civilisation occidentale à une grande échelle. Désormais, la pratique de la nouvelle culture est, à présent, usuelle dans tous les foyers du monde, quelle que soit leur origine, leur croyance ou leur position géographique.

La civilisation occidentale a fini par envahir toutes les nations du monde grâce à son génie scientifique, à la réussite de ses stratégies politico-économiques, à la créativité somptueuse de ses arts et à sa force militaire. Tous les peuples du monde sont forcés d'adopter la conduite européenne dans leurs manières d'être. Ils sont tous obligés d'appliquer les exigences dictées par le nouvel ordre politico-économique international. Malgré leurs conceptions identitaires disparates, leurs langages différents, leurs cultures hétérogènes et leurs croyances discordantes, les populations de la terre disposent globalement du même mode de vie, celui apposé par la suprématie de l'Occident.

A quelques différences près, les êtres humains pratiquent les mêmes manœuvres administratives, évoluent dans des organisations sociales semblables, logent dans le même genre d'habitation, consomment les mêmes produits alimentaires, se déplacent avec les mêmes moyens de locomotion, se forment par le même système scolaire, se vêtissent avec les mêmes tenues vestimentaires et se divertissent avec des loisirs similaires. Les différences entre les peuples sont des caractères particuliers de fond qui ne compromettent nullement l'intégralité des aspects comportementaux européens qu'ils adoptent en commun. Compte tenu de la totale hégémonie de la culture occidentale dans le monde, on peut conclure que quelques pays développés seulement maîtrisent le savoir-faire de la civilisation moderne, puisqu'ils détiennent les outils techniques et l'intelligence artificielle nécessaires au fonctionnement des nouvelles industries. Les populations de ces pays, dits riches, évoluent dans un cadre social prospère à cause de la garantie de la sécurité alimentaire et de la qualité améliorée des services de proximité.

La majorité des autres pays absents du cours de l'avancée technologique constitue un ensemble de nations improductives, dépendantes des avantages abondants de la civilisation occidentale. Ces pays, pauvres pour la grande part, sont réduits au stade de consommateurs des produits fournis par les usines de la minorité des puissances industrialisées. Frappés par de multiples crises, les peuples sous-développés s'efforcent de rattraper le retard concédé en matière d'évolution, mais leur instabilité politique et la faiblesse de leurs systèmes économiques les ont toujours empêchés d'accéder à l'autonomie nécessaire pour devenir, eux-mêmes, de vrais producteurs de civilisations. Néanmoins, ces pays arriérés ne sont pas vraiment absents de l'équation civilisationnelle moderne car, en réalité, ce sont eux qui font tourner les moteurs de l'industrie occidentale, grâce aux matières premières dont regorge le sous-sol de leurs territoires. Ces pays dont les structures sociales sont mal organisées ne sont conviés par les Occidentaux que pour profiter de leur richesse naturelle, capitale pour l'existence de la civilisation actuelle.

De leur côté, les pays civilisés n'ont guère permis aux sociétés pauvres d'atteindre un niveau d'autosuffisance économique convenable, encore moins qu'ils soient des partenaires associés aux bienfaits de la modernité. Le but est de les bloquer dans leur situation vulnérable afin de troquer avec eux les minerais vitaux pour leurs centrales énergétiques et les métaux profitables pour l'opulence de leurs finances, contre des produits d'urgence utiles pour prolonger la survie de ces pays fragiles.

Contrairement à certains pays qui stagnent dans leurs états désuets en restant des clients écrasés par l'ordre des pays riches, d'autres en plein développement, en l'occurrence la Russie, la Chine, l'Inde ou l'Iran, transgressent le principe «démocratique» de la politique occidentale, dans l'intention de s'affranchir de la conduite universelle imposée par l'Occident. Ils fouinent dans leurs patrimoines ancestraux glorieux, cherchant dans les tréfonds de leurs histoires la force qui a fait qu'ils aient été, un jour, les maîtres de grands empires et les meneurs de somptueuses civilisations. Ils tentent, par ce fait, d'être assez compétitifs pour concurrencer les puissants décideurs du destin de l'Humanité. Mais, les efforts de leurs initiatives demeurent, apparemment, inefficaces pour contrer la suprématie de la culture occidentale qui s'est profondément enracinée dans les esprits et dans les moindres manières des terriens.

Désormais, la civilisation moderne régie par les pays occidentaux monopolise toutes les affaires de la population du monde. Cet exploit global est un ordre universel désigné de «Mondialisation» auquel tous les pays doivent se soumettre. Le totalitarisme de la société occidentale n'est pas une discipline appliquée par la force des armes seulement, mais ce sont aussi des surenchères oppressives négociées par des obligations économiques et des pressions typiquement financières. Après avoir confirmé son contrôle sur la planète Terre, l'ingéniosité du progrès technologique contemporain a dépassé les limites de l'imagination en explorant le grand espace, à la recherche d'autres formes de vie inconnues qui pourraient abriter d'autres civilisations plus développées que les acquis humains décrochés ici-bas. Atteindre un tel point d'essor universel explique que la culture moderne a réussi à gagner l'estime de toutes les sociétés par la limpidité de sa pénétration, par son utilité à couvrir tous leurs besoins et par ses avantages fascinants qui facilitent la réalité et diversifient l'imaginaire. Elle a réussi à tirer l'humanité de son tempérament traditionnel lent vers l'ère de la rapidité et de la précision scientifique. Elle a inspiré les ethnies exotiques lointaines avec l'organisation pragmatique de ses structures sociales et avec les méthodes civiques rationnelles de son libéralisme alléchant. Mais, un constat contrariant s'impose lorsqu'on remonte le parcours historique de la civilisation occidentale, depuis ses premiers pas dans une partie de l'Europe pendant l'Antiquité tardive, jusqu'à l'ère de sa prééminence mondialisée dans le temps présent. On remarque, alors, que la conception du succès magistral de la société moderne est fondée sur une série de projets maléfiques, lesquels ont dénaturé les principes de la conscience humaine et désorienté les règles de la sociabilité conventionnelle, nécessaires pour une convivialité harmonieuse entre les peuples et les individus. En effet, avec son caractère autocratique autoritaire, l'Occident a toujours écrasé les nations étrangères à sa culture. Le refus de la soumission à ses normes était toujours accompagné de mépris violent envers les autres. La prospérité de l'Europe, et de l'Amérique plus tard, s'est réalisée aux dépens de la propriété légitime des autres peuples et de la nature. La traite esclavagiste, les campagnes de colonisation, les grandes guerres ou les manipulations politico-économiques ont été les tremplins par lesquels l'avancée de la civilisation moderne a bondi de siècle en siècle.

Une avancée civilisatrice échafaudée sur la chair de millions de cadavres, alimentée par l'exploitation monstrueuse des ressources naturelles et acheminée à travers les lois machiavéliques d'un ordre comploteur et hypocrite, est une progression qui mène assurément vers le recul. La preuve d'un tel revers se confirme dans ses conséquences abominables qui nuisent à l'Humanité plus qu'elles ne la confortent. A ce titre, la dégradation de la qualité de l'espace vivable est une répercussion qui menace l'existence même des êtres humains sur terre. L'extinction effective de nombreuses espèces animales et végétales est un indice péjoratif qui signale que l'homme n'est pas à l'abri d'une pareille fin. A suivre

*Ecrivain



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