Algérie

Le couscous, Un exotisme bien de chez nous



C'est à dessein que je reprends volontiers le titre d'un article publié par Alain Raybaud, chroniqueur bien connu du journal de voyages de la compagnie Air-France, lequel a rappelé que c'est en France, pour des raisons historiques évidentes, que le couscous s'acclimata le mieux et s'est transformé après les années soixante, en " symbole d'appartenance, signal identitaire des pieds-noirs, chrétiens, juifs et musulmans " réfugiés en France à la suite des indépendances nord-africaines.

Bien entendu, le couscous était déjà connu en métropole dès la Première Guerre mondiale grâce aux soldats, fonctionnaires, voyageurs d'Afrique du Nord et du Sahel.
Je me souviens qu'en 1946, l'un des rares et succulents couscous se dégustait, du côté du Pont de l'Alma, chez le restaurateur " Martin " bien connu alors, si mes souvenirs ne me trahissent pas.

Le couscous aussi était largement servi dans les restaurants maghrébins de Paris et des grandes villes grâce surtout à la main-d'oeuvre musulmane émigrée en France et employée dans les usines, les chantiers et les domaines agricoles. Mais ce mets était encore très " exotique " et totalement absent de la gastronomie française.
Naissance du couscous
Ce plat délicieux et très sophistiqué de nos jours, est né, dès la plus haute antiquité, dans la frange de l'Afrique sahélienne, au sud du Sahara, dans les pays appelés aujourd'hui: Sénégal, Mali, Niger, Burkina Faso (ancienne Haute-Volta), Tchad.

On peut encore aujourd'hui parcourir cet espace géographique et constater la permanence de la préparation de cette cuisine relativement peu élaborée (quasi-absence de condiments, d'épices, faible variété de viandes et légumes) par les femmes des agriculteurs cultivant le mil, millet ou sorgho.

Au Sahel, cette préparation consiste essentiellement en un bouillon type pot-au-feu, contenant légumes et viandes de mouton, chèvre ou poulet, cuisant dans une marmite surmontée d'un panier perméable à la vapeur, généralement fait de feuilles de palmier tressées et dans lequel on dispose du mil broyé, sorgho concassé, ou quelquefois du millet.

Ces céréales, sous forme de graines cuisent par la vapeur dégagée par le bouillon en ébullition.

Comment ce mets frugal à l'origine a-t- il pu en moins de mille ans partir du Sahel, conquérir toute l'Afrique du Nord, l'Andalousie musulmane (AlAndalus), devenir le " troisième plat populaire français " immédiatement après le " steak frites " et le " gigot d'agneau - flageolets ", puis s'identifier à présent, comme le plat gourmand et sophistiqué que le monde entier apprécie, c'est ce que nous allons montrer dans les pages qui suivent.
Petite histoire des céréales
À l'origine il y a quelques millénaires, apparaissaient les céréales " graminées cultivées ". De la cueillette de la graminée sauvage à la moisson de céréales, le passage a sans doute dû être très lent mais progressif. Puis différents types de céréales se développèrent de par le monde, dans des aires de prédilection climatique.
Ainsi les sorghos et les millets, probablement d'origine africaine, sont associés aux cités lacustres préhistoriques d'Europe d'abord, puis se retrouvent évoqués dans les plus vieux rites de semailles de Chine

La culture du blé elle aussi, est antérieure à l'histoire et originaire des steppes du Moyen-Orient asiatique depuis plus de 6000 ans avant notre ère.

On le trouve dans les plus anciennes tombes d'Égypte, accompagnant des grains d'orge.

La riziculture est tout aussi ancienne. On pense qu'elle prit naissance dans les plaines du nord de l'Inde, lors des invasions indo-aryennes.

Jusqu'en 1960, on ignorait tout des origines exactes du maïs. Des fouilles de sites archéologiques ont révélé qu'après une phase de cueillette du maïs sauvage, il fut cultivé voici 7000 ans, dans le bassin de Téhuacan, à 200 km au sud-est de Mexico. Participant à l'accroissement des populations, la culture des céréales a été nécessairement en relation avec l'histoire générale des civilisations humaines.

Puis cette culture essaima dans toute l'Amérique du Sud, jusqu'au fin fond de la Cordillère des Andes.

Chaque civilisation traditionnelle se signale par son régime alimentaire: on y retrouve presque systématiquement, dans chacune d'elles, la culture et l'usage alimentaire d'une ou deux céréales typiques.

Vidal de la Blache ((FEL (André), Céréales, éd. Encyclopédie Universalis, 1999.)b a mis en évidence cette relation étroite liant les aires alimentaires classiques, telles qu'elles se présentaient avant le début des grandes migrations et l'apparition de la civilisation industrielle, avec chaque civilisation particulière.

S'il est vrai que l'aire asiatique, celle des moussons est sans doute, par excellence, celle du riz, par contre le régime du mil, et du sorgho caractérise l'Afrique sèche, le Sahel, entre désert et forêt équatoriale (Le Domaine Colonial Français, tome 11, 1929.).

Du Sénégal et du Soudan, jusqu'à l'Éthiopie et aux Grands Lacs africains, on retrouve partout la culture des céréales à petits grains: sorgho, mil, millet, plantes peu exigeantes et précieuses pour confectionner les bouillies journalières.

Le pourtour de la Méditerranée et l'Europe sont les terres du blé, de l'orge et donc du pain. L'usage du pain de froment (blé tendre) caractérisait surtout les plaines aux sols fertiles de l'Europe continentale (et à présent celles des États-Unis). Sur les sols acides et les montagnes d'Europe, le blé dans les temps anciens, laissait la place au seigle et à l'avoine.

Les plateaux et hautes plaines de l'Afrique du Nord, peu arrosés par les pluies, étaient plutôt le domaine de prédilection du blé dur et de l'orge (cf. A.F.N., grenier à blé des Romains).
Mais avec les grands bouleversements de populations, inhérents aux conquêtes militaires, les hommes emportant avec eux leurs habitudes alimentaires ont, par la force des choses, diffusés les céréales bien plus loin que leurs aires traditionnelles.

C'est ainsi que les conquérants arabes, ont d'abord véhiculé l'usage du riz, sur les littoraux de l'Océan Indien, puis en Afrique, avant de s'associer aux Berbères Almoravides du Sahel pour répandre l'usage du couscous à base de blé dur, puisqu'au Maroc il était impossible de se procurer mil ou sorgho ( Plus près de nous, les Portugais de la colonie de Mazagran, expulsés par les Marocains, émigrant en 1769 au Brésil, ne trouvant pas de semoule de blé dur sur place, substituèrent du maïs grillé et concassé à cette céréale!.).
Quelques points d'histoire - origine du mot couscous
Le mot en tant que tel n'existe pas dans les populations sahéliennes; chacune d'elles (Bambara, Songhaî, Haoussa, Mossi, Ouhadhaï) désignant ce plat dans son propre idiome.

L'origine du mot couscous en Occident n'est pas très sûre. Pour certains il viendrait de l'arabe " kaskasah " signifiant " broyer, piler "; d'autres pensent qu'il viendrait d'une onomatopée faisant référence au souffle et au cliquetis des grains de semoule lorsqu'on les roule sous la main. Il pourrait venir également d'un mot arabe signifiant le " caquetis accompagnant la becquée que l'oiseau donne à ses petits " ( La magie du couscous, site web Ferrero: www.couscous-Ferrero.c/fr.magie.htm).

Le plus probable reste encore son origine berbère " k'seksu ", désignant à la fois la semoule de blé dur et le plat en terre cuite servant à la " rouler ". Cette présomption est très grande.

Rachel Arié, professeur d'histoire du Monde arabe à la Sorbonne, montre que ce sont les Berbères Almoravides, et plus tard les Almohades, qui lui donnèrent ce nom
de " Al kuskusu " en Espagne musulmane au XVIIIsiècle (Arié (Rachel), Historia de la Espalia Musulmana, tome w, Éditorial Labor S.A., 1987.).

Rabelais parle, lui, de " coscoton à la moresque " au XVI siècle, fort prisé en Provence ( RAYBAUD (Alain), op. cit.).

En 1633, le provençal Pereisc demandait à un correspondant d'outre-Méditerranée des échantillons de blé dur en vue de préparer du " couscousou " ( MORSY (Magali), Le Monde des Couscous, Édisud, 1996.).

Plus proche de nous - 1848 -, dans leur livre, Le Grand Désert - Itinéraire d'une caravane du Sahara, au pays des Nègres, Eugène Daumas et Ausone de Chancel, parlent de " kouskuessou ", fait à partir de millet réduit en farine (semoule), dans un mortier et mélangé à de la farine de froment (DAUMAS (Eugène) et AUSONE DE COURSEL, Le Grand Désert - Itinéraire d'une caravane du Sahara au pays des Nègres, Librairies Centrales de Napoléon-Chaix, Paris, 1948.).
Événements historiques ayant conduit à la diffusion du couscous en Afrique du Nord et en Andalousie musulmane
À partir de 640, la poussée des Arabes vers l'Afrique du Nord leur permet de s'emparer successivement de l'Égypte, de la Cyrénaïque, de la Tripolitaine et du Maghreb. Jusqu'à la fin du califat Omeyade de Damas (750), l'Afrique du Nord restera englobée dans un vaste empire arabe.

Ceux-ci progressant depuis l'Égypte lancent en 666, leurs premières reconnaissances vers le sud, en l'occurrence les oasis du Kawar au nord du lac Tchad, rapportant de ces voyages de précieuses informations sur les états politiques de la région et leurs ressources en marchandises de toutes sortes (VELLUT (Jeannine), Histoire de l'Afrique, éd. Encyclopédie Universalis, 1999.).

Dès lors, les prospections commerciales se multiplient en direction de l'Afrique de l'Ouest et les pistes caravanières prennent un essor important. Les marchands musulmans abordent ce qu'ils appellent le " Bilad Al Sudan ", ou Pays des Noirs, nom qui restera pour désigner cette partie de l'Afrique, islamisant au passage les populations locales.

En 711, les Arabes envahissent l'Espagne créant en quelques décennies un état extrêmement évolué et puissant, englobant partiellement le Maghreb.

Vers la fin du IXe siècle de notre ère, les nouvelles autorités maghrébines s'intéressent aux pays du sud saharien sachant, de façon confuse (sources carthaginoises et romaines), que ces régions recèlent des richesses: or, ivoire, bois précieux. Le Ghana à cette époque (vers 800), premier grand empire soudanais de l'histoire (Soninké) est connu dans les textes arabes comme le pays de l'or. À sa suite, de petits royaumes regroupant diverses ethnies, s'organisent et s'établissent dans le Sahel, au débouché des pistes sahariennes du commerce : Mali (empire Malinké - 1200), empire fluvial du Songhaî (1400) sur la boucle du Niger.

À la fin du ne siècle, les marchands marocains sont déjà installés à Tombouctou et Gao. À leur contact des tribus berbères chamelières, originaires du Tekrir (Haut Sénégal, région de Saint-Louis), se convertissent à l'islam, islamisent à leur tour et soumettent les royaumes noirs animistes du sud du désert: Ghana Magina, Mossi Songhaî.

Sous l'influence d'une prédiction réformiste, ces Almoravides, confédérés avec des tribus mauritaniennes, interviennent au Maroc qu'ils conquièrent en peu de temps, ainsi que tout le Maghreb Central. Abu Bakr, leur chef, fonde sa capitale Marrakech en 1070.

Les Almoravides emportent avec eux leurs traditions culinaires, et la principale d'entre elles, le couscous, qu'ils adapteront avec les céréales du Maroc (blé dur, orge, millet) puisqu'il n'y a pratiquement pas de mil ou de sorgho dans leur nouveau pays.

C'est ainsi que le couscous traditionnel sahélien s'enrichira de viandes variées, gibiers, poissons et légumes abondants, additionnés des épices de toutes sortes, apportées en grandes quantités au Maghreb, depuis l'Inde (Côte de Malabar) et les Émirats du Golfe et diffusées également dans presque tout l'occident chrétien par les caravanes chamelières.

Avec la conquête du Maghreb central, le nouveau plat s'implantera durablement dans les Atlas saharien, tellien, djebels Amour et des Ouled Naïl et dans l'Aurès (Le Domaine Colonial Français, tome il, 1929.°) ainsi que sur les côtes méditerranéennes. Vers 1112 (?), les vicissitudes de l'histoire, conduisent le successeur d'Abu Bakr, Yusuf Ben Taschfin, à intervenir en Espagne pour y soutenir l'islam ibérique fléchissant sous la poussée de la reconquête chrétienne.

En 1115, à peine une cinquantaine d'années après sa fondation, Marrakech devient la capitale d'un empire englobant l'une des plus belles civilisations islamiques (El Andalus) et un centre de civilisation raffinée, héritée avec tout l'art de vivre andalou, de l'Espagne musulmane.

En 1147 les Berbères Masmuda du Haut-Atlas, les Almohades, se révoltent contre les Almoravides, qui accumulent à leur seul profit, les richesses de tout l'empire.
Abd El Mumin, souverain autoritaire et entreprenant, conquiert l'Afrique du Nord jusqu'à la Tripolitaine, ainsi que toute l'Espagne musulmane.

Dès lors le couscous suit la marche triomphante des Almohades et est adopté dams tout l'empire, par les hispano-musulmans avec quelques adaptations nouvelles au début du mile siècle.

C'est là qu'apparut pour la première fois, dans l'histoire le mot couscous " el couscoussou " et qu'il se propagea (Arié (Rachel), Historia de la Espaiia Musulman, op. cit.).

Ce plat, par son excellence, se diffusa ensuite dans toute l'Espagne musulmane au temps du royaume Nasri de Grenade et regagna même des lettres de noblesse au Soudan, en particulier, lors du séjour du géographe voyageur marocain, Ibn Battuta, à Tombouctou, en 1355.

El Arbuli (1428) et El Azrak (1487), grands lettrés grenadins, citent très élogieusement dans leurs livres de cuisine araboandalouse le " couscoussou " ( El Arbuli, Traité de cuisine arabo-andalouse - Risala-fi el Agdya, Grenade, 1428.).

En 1406-1409, le port d'Almeria devint un lieu très important pour les marchés musulmans d'El Andalus. Outre le transit des productions locales, il devint le cerritre le plus important d'El Andalus, pour l'importation des produits entrant dans la préparation des divers couscous: épices d'Orient (poivres, noix muscade, cannelle, cumin, coriandre, fruits secs, etc.) et surtout des blés durs d'Algérie, transportés jar les Génois, à partir des ports d'Oran et Honaïne (Historia de Almeria, Éditorial Méditerranéo-Agédime, Madrid, 1998.).

Le raffinement des recettes de couscous élaborées au Maroc et en El Andalus, par les ménagères musulmanes et juives, se répandit dès lors dans toute l'Afrique du Nord au point de constituer aujourd'hui le mets de choix incontournable des populaticrons de ces régions.
Conseils et recettes de préparation du couscous
Il n'y a pas un couscous, mais des couscous, " mets très nobles et distingués ", seelon le propre mot d'Ibn El Azrak, en réponse au roi de Grenade, Boabdil.

C'est également ainsi qu'Alain Raybaud dans son article précité, et Magali Morsy, dans son remarquable ouvrage le Monde des Couscous (MORSY (Magali), Le Monde des Couscous, Édisud, 1996.)), qualifient ce mets digne des plus grands éloges et qui vous transporte dans le monde enchanté de la gastronoirrnie exotique. Car le couscous n'est pas seulement une nourriture, c'est aussi un artt de vivre et de partager un plaisir raffiné en famille et entre amis.

Il est aussi devenu la nourriture spirituelle des Nord-Africains. Plat national et religieux à l'heure actuelle pour tous, le couscous fait partie de la vie quotidienne et religieuse ( La magie du couscous, site web Ferrero, op. cit.) et accompagne tous les grands évènements de la vie, aussi bien les évènements quotidiens heureux ou malheureux.En France, même le couscous devenu un plat national de référence depuis l'arrivée des Français d'Algérie en 1962, se prépare comme une fête dans les familles et se déguste avec un plaisir infini dans les innombrables déclinaisons des recettes musulmanes, juives ou chrétiennes, s'accommodant aussi bien d'une préparation compliquée et riche en ingrédients, que d'une simple noix de beurre, de sucre ou de fruits secs.

Il existe donc autant de recettes que de familles, ou de producteurs industriels de couscous, chacun gardant par-devers soi, jalousement le secret des préparations.
Rappelons-nous les nombreuses vertus que l'on prête au couscous:
- Comme le pain, il apporte la " baraka " (la chance),
- Il apporte la Bénédiction de Dieu, sur tous ceux qui en consomment,
- Il est le symbole de la Générosité envers autrui.

Bibliographie:
- La cocina arabigo-andaluza, thèse de F. de La Granga, bibliothèque de l'École des études arabes, Madrid.
- Livre de cuisine Almohade, traduit par Huici Miranda, Madrid.
- Recherche sur les documents arabes relatifs à la cuisine, Rodinson, revue des Études Islamiques, Paris, 1949.



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