Le Couperet,de Costa-Gavras
Libéralisme attack ! Après le thriller politique (notamment les bouleversants Z, Etat de siège, L?aveu, Missing), le réalisateur Costa-Gavras s?attaque au thriller social. Son dernier film, Le Couperet, - inspiré du roman de Donald E. Westlake - sorti le 2 mars en France, raconte la descente aux enfers des délocalisations et autres dégraissages d?effectifs que subit de plein fouet Bruno Davert, servi par un étonnant José Garcia, cadre supérieur dans l?industrie du papier. Licencié pour cause de délocalisation doublée d?une fusion, il vit mal la triptyque CV-lettre de motivation-statut paria de chômeur. Pour remonter la pente, il décide de plonger dans une meurtrière machination. Son salut sur Terre : un poste important dans une des plus grandes sociétés de recyclage de papier, installée non sans hasard dans une région frontalière de la France, proche de la Belgique et de l?Allemagne, parabole d?une Europe muée en supermarché libéral. Le cadre mis sur la touche de la société commence alors à éliminer un à un ses principaux concurrents, d?autres cadres au chômage, triés selon la pertinence de leurs critères d?excellence. Le survivant, le CV-serial killer, aura gagné sa place dans la grande entreprise et renouera avec le changement de voiture tous les deux ans, les cartes clients dans tout grand magasin, les cocktails entre collègues de bureau pour échanger conseils et orientations de coaching, de marketing, de managing et autres articulations du libre-échange et de l?esclavage moderne. En attendant d?être abattu par un autre, ou une autre, « qui en veut à mort ». Le monde du travail devient une jungle, et « pour vivre dans la jungle il faut être la jungle », écrivait Rudyard Kipling. En parallèle, le réalisateur a brocardé l?impudeur du bombardement publicitaire (un Parisien voit 4000 images de pub par jour), la logique inhumaine des recruteurs, la dévalorisation de l?humain à l?avantage de l?employé-fusible prêt à sauter en perspective d?une fusion, d?une délocalisation, d?un plan social (ironique improvisation sémantique), ou d?une pression des concurrents chinois ou polonais. Le dispositif managerial s?instaure comme une religion, avec ses canons et ses commandements : l?employé ne doit être ni trop vieux ni marginal (traduisez original, libre d?esprit), ambitieux mais obéissant, créatif mais non contestataire, brillant mais docile. Le récit filmique, au rythme haletant et maîtrisé, décortique les articulations de ce monde où l?humain est bradé pour quelques points en Bourse. Gavars signe ici un film de haute facture subversive, dénonçant l?univers impitoyable de l?entreprise et la marchandisation de l?humain érigée en idéologie, pire, en orthodoxie.
Posté Le : 14/03/2005
Posté par : sofiane
Ecrit par : Adlène Meddi
Source : www.elwatan.com