Algérie

Le Commando DJAMAL Dans l'Ouarsenis, dans les monts de Amrouna et Doui au Dahra



Le Commando DJAMAL                                    Dans l'Ouarsenis, dans les monts de Amrouna et Doui au Dahra
C'est le mois de mai 1957. Le Commando est à Toutia, dans la région de Bathia, après avoir sillonné une partie de l'Ouarsenis et visité plusieurs dechras. Il prépare une embuscade contre un détachement de militaires. Ce détachement se rend régulièrement à la forêt des Cèdres de Meddad, venant de Teniet El-Had, pour des man'uvres de tir.
Mais très tôt, alors que nous sommes dans les refuges à Toutia, nos sentinelles nous mettent en alerte : une colonne de soldats ennemis se dirige dans notre direction pour occuper la crête. La section 1 arrive la première et s'installe sur une butte qui domine le chemin emprunté par la colonne. Les deux autres sections se hâtent, elles aussi, pour occuper les positions de combat. La colonne continue d'avancer. Elle est à quelques dizaines de mètres de la position occupée par notre première section qui est dans une situation idéale. Quelques mètres plus bas, les soldats, dans une longue file indienne, avancent vers cette section et constituent des cibles parfaites pour elle. La section prend l'initiative de déclencher l'attaque. Le tireur de la mitrailleuse 30 tire le premier, suivi par le tir nourri des djounoud de la section. Cela dure moins d'une minute. Tous les éléments du commando dévalent la pente et foncent sur la compagnie ennemie. Les soldats qui étaient en tête de la colonne ont tous été tués. Sauf le capitaine, chef de la compagnie, qui montait un cheval. Il est fait prisonnier. Il est blessé à l'épaule. Nous faisons deux autres prisonniers : le caporal-chef, chargé des transmissions, et un autre caporal. Les soldats qui se trouvaient à l'arrière de la colonne ont pu s'enfuir.
Nous récupérons toutes les armes, 47 au total, toutes des armes automatiques.
Nous déplorons, dans les rangs de notre commando, deux blessés légers. L'unité que le commando a détruite en grande partie venait de Taine (Layoune). Elle faisait partie d'un groupement nomade basé à Teniet El-Had. La compagnie, forte de 140 hommes, venait implanter un camp militaire (1). Nous nous replions immédiatement, dès la fin de l'embuscade. Il faut se hâter et éviter que l'ennemi sache quelle direction le commando empruntera. Nous disposons encore de quelques minutes pour nous fondre dans la nature et disparaître. Après une marche très rapide, d'une vingtaine de minutes, nous marquons une halte. Notre infirmier, Mohamed (de Ténès) prend soin du capitaine dont la blessure n'est pas grave. Il lui fait un bon pansement et lui confectionne une attelle. Nous l'installons sur un mulet, pour lui éviter de marcher. Il est placé dans la section de tête. Le prisonnier fait des compliments au commando : "Je n'avais jamais pensé être traité de la sorte. Vous êtes des hommes. Vous ne risquez rien, puisque vous avez capturé le sous-officier des liaisons." Le sous-officier des "trans", le caporal-chef, est confié à nous, un groupe de jeunes lycéens chargés de le surveiller à l'arrière du commando. Des avions pointent derrière nous. Ils survolent, pendant un long moment, le lieu de l'embuscade. Ils ne nous ont pas repérés. Ils sont privés de radio au sol. Puis arrivent des renforts, de grands renforts de soldats. Ils ont été ramenés par camions. Je ne me rappelle pas qui de nous a eu l'idée de solliciter le concours du caporal. Il est vrai qu'il nous semblait détendu, ne manifestant aucune inquiétude quand à son sort. Nous lui "conseillons", et "l'invitons" à répondre aux appels ' son poste grésillait sans interruption ' qu'il indique notre position, en donnant de fausses coordonnées, la direction opposée à celle que nous prenons. Après un moment d'hésitation, il obtempère. Puis, contre toute attente, les avions, qui sillonnaient le ciel à notre recherche, mitraillent les renforts de soldats censés nous poursuivre. La méprise dure quelques minutes, mais l'attaque aérienne a causé des dégâts dans les rangs des soldats venus en renfort.
Nous poursuivons notre marche, sans trop nous presser, sereins, tout risque d'être accrochés ou bombardés étant écarté. Nous rejoignons Amrouna, fief de l'ALN. Nous sommes au sein d'une population acquise à l'ALN dès les premiers jours. Les familles Bouguadoum, Boulouha, Sayad hébergeaient déjà les éléments de l'OS. Si M'hamed Bougara, Si Bellahcène (Belkebir Abdelkader) les connaissaient avant 1954. Les monts de Amrouna nous sont familiers. à Amrouna, nous retrouvons Si Mohamed Bounaâma. Il est heureux, fier de nous. Les gens de Amrouna sont eux-aussi heureux. Ils partagent avec nos djounoud la joie d'avoir réussi une bonne opération à Toutia.
Le lendemain, nous nous déplaçons à Melloul, non loin de la grande forêt de Sidi Mansour. Le capitaine, notre prisonnier, est détendu. Nous remarquons que les deux autres prisonniers français continuent de manifester à leur supérieur le respect et le salut dus à son grade. Si Mohamed interroge le capitaine. Ensuite, il lui demande de mettre en marche le poste "trans". Il lui conseille de ne pas parler. Une voix égrène des numéros qui correspondent à des lieux. Le capitaine explique que c'est le plan des opérations de ratissage en cours. Si Mohamed voulait s'assurer que les monts que nous nous apprêtions à rejoindre, dès la nuit tombée, ne sont pas visés par le ratissage de l'armée française. En fin d'après-midi, le commando est réuni pour la séance de critique et d'autocritique. Cela fait partie de la formation dispensée au sein du commando. C'est une tradition. Cela permettait de rectifier les erreurs. Aussi, malgré le succès enregistré, on releva quand même une lacune : le commando n'est pas sorti de bonne heure pour occuper la crête. Dorénavant, il faut être plus vigilant. Seule exception : quand il fait froid, les mitrailleuses et les fusils-mitrailleurs ainsi que les djounoud affectés à ces pièces occuperont les crêtes ou pitons ; ils protégeront la compagnie qui restera dans le refuge.
à Tmamra, le commando est l'objet d'une profonde réorganisation. Il est scindé en deux unités. Chacune interviendra dans une aire déterminée : la section 3, la nôtre, rejoindra le nord de la zone 3 ; complétée par les sections locales, elle formera un autre commando qui agira dans la région 1 (Miliana) et la région 2 (Ténès). Les deux autres sections de notre commando resteront au sud de la zone qui comprend la région 3 (Chlef) et la région 4 (Teniet El-Had). C'est Si Mohamed qui nous annonce cette réorganisation. Nous devinons qu'il n'approuve pas cette décision. C'est lui qui suit le parcours de ce commando depuis sa création. Il nous connaît, presque tous, par notre prénom. Il veille sur notre formation, détecte les cadres. Il est très attaché au commando. Mais, comme nous, il doit s'exécuter.
Il faut préciser que la zone 3 est constituée, géographiquement, de deux sous-zones : le nord (région 1 de Miliana et région 2 de Ténès) est séparé du sud de la zone (Chlef, région 3, et Teniet El-Had, région 4) par la route nationale Alger-Oran.
Si Nouredine part avec nous. Si Djamal reste avec les deux sections.
Nous nous séparons le même jour, après de longues accolades et quelques larmes. Nous constituons une vraie famille. Nous prenons les prisonniers avec nous. Nous devons les remettre au chef de zone dont le PC est en région 1.
à Tiyabine, en région 1, nous rencontrons le capitaine Si Abdelkader (Amar Mouhoub Abdelkader), qui a remplacé Baghdadi (Allili Mohamed) à la tête de la zone. Il nous réunit et forme la compagnie en intégrant une section locale. Mais nous ne sommes que deux sections au lieu de trois. La section locale était armée principalement de fusils de chasse. Pour ma part, j'avais déjà reçu une Mills, fusil de guerre de fabrication belge qu'on appelait aussi "Achaïria" dont le chargeur contenait dix balles.
Notre compagnie allait beaucoup souffrir en cet été 1957. Dans un premier temps, elle aura à se déplacer dans l'arrière-pays des centres de Arib, Aïn Defla, El-Amra, El-Abadia. Elle occupera souvent les monts de Anab, Titouilt, Adouia, Tacheta. Entre le littoral et la plaine du Chélif, c'est un pays de montagnes, peu peuplé, pauvre. Les dechras, éloignées les unes des autres, sont accrochées à des flancs de montagne, où les paysans cultivent de petits lopins pour subsister. Le commando éprouvera un manque de ravitaillement. Nos djounoud connaîtront la faim, souvent pendant 3, 4 jours. Ils apaisaient leur faim parfois en croquant des glands séchés et durs à mâcher que leur offraient les pauvres paysans. Ils eurent droit au café, un luxe, deux ou trois fois seulement, durant tout leur séjour en région 1. De nombreux djounoud avaient des bleus pour pantalons et des espadrilles comme chaussures qui deviennent inutilisables au bout d'une semaine. Malgré les privations, le moral restait bon. Les djounoud étaient impatients d'accrocher l'ennemi, de tendre des embuscades qui leur permettraient de récupérer des armes et des tenues.
Début juillet 1957, nous sommes à Anab. Nous décidons d'attaquer le poste militaire qui y a été nouvellement érigé.
Le camp militaire occupe une éminence, assez haute. Il domine les environs immédiats et constitue un observatoire idéal. Nous nous scindons en deux groupes : le premier, commandé par Si Nouredine, avancerait par le nord ; notre groupe quant à lui arriverait par le sud. Côté ouest, il y a un grand talus qui démarre du haut de la butte et se termine brutalement en bas. L'accès de ce côté est impossible. Il fait nuit noire, ce qui nous aide dans notre progression. Nous franchissons les barbelés facilement, car ils ne constituaient pas une haute barrière difficile à enjamber. Nous nous approchons du cantonnement constitué de baraques, du fait que le poste n'était pas encore achevé. Immobiles, nous attendons l'ordre de foncer sur l'objectif. Un bruit métallique est entendu. Trois militaires apparaissent. L'un d'eux est muni d'une torche. Par un rai de lumière, il balaie les environs immédiats, dans notre direction. Nous sommes à plat ventre, la tête enfoncée dans le sol. Nous sommes plus bas que le niveau de la plate-forme sur laquelle le poste est assis. Ils ne nous repèrent pas. Un soldat de la patrouille lâche : "Ce sont des chacals." L'alerte a duré très peu de temps. Nous ne bougeons pas et attendons encore. L'attente se fait longue. Nous décidons d'envoyer un djoundi vers l'autre groupe pour savoir ce qui se passe. Au bout de quelques minutes, il revient. Il n'y a personne. L'autre groupe a replié. Nous sommes donc seuls. Avec prudence, nous nous glissons vers l'arrière, rejoignons le point de ralliement du commando choisi au moment du départ. Nous avons l'explication. Dès la sortie de la patrouille munie d'une torche, Si Nouredine a ordonné le repli du groupe dont il avait la charge, jugeant qu'il serait découvert à coup sûr par les militaires.
(à suivre)


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