Algérie

«Le club est seul maître du destin contractuel de son entraîneur»



«Le club est seul maître du destin contractuel de son entraîneur»
Maître Tatiana Vassine est avocate spécialisée en droit du travail et droit du sport et exerce au sein du célèbre cabinet «RMS Avocats» dirigé par maître Redouane Mahrach, lequel a eu la gentillesse de répondre récemment à nos questions. Elle a bien voulu répondre aux questions posées par notre journal qui a souhaité en savoir plus sur les cas de limogeage et mise au placard des entraîneurs.
La Nouvelle République : Une question pour inaugurer cet entretien, si vous le permettez, connaissez-vous ou avez-vous des informations sur le sport en Algérie ' Si oui qu'en pensez-vous ' Maître Tatiana Vassine : Le cabinet RMS Avocats est particulièrement impliqué dans le sport au niveau international et notamment en Algérie. A ce titre, nous avons la chance de pouvoir suivre avec attention le sport et son développement en Algérie. Il est actuellement en phase de professionnalisation et de structuration (je pense notamment au football et au rugby), ce que nous félicitons et encourageons ! On voit de plus en plus dans la presse le cas d'entraîneurs qui sont limogés par leur club. Est-ce un phénomène qui est à la mode ' C'est un phénomène qui est de plus en plus médiatique. Nous ne savons pas s'il y a plus de limogeages ou mises au placard qu'auparavant, mais ce qui apparaît, c'est que les entraîneurs hésitent de moins en moins à contester ces mises à l'écart. Il suffit d'en citer quelques uns comme Louis Van Gaal, (Bayern Munich), Michel Estevan (Arles-Avignon) et Claude Puel en football, Raphaël Geslan (Toulouse) en handball, Thierry Mentières (Pau) en rugby' qui ont tour à tour fait la une des médias soit pour un limogeage, soit pour une mise au placard en bonne et due forme. Quelques statistiques qui illustrent les cas de mise au placard ' Il est difficile de recenser les cas qui sont passés devant les tribunaux de par le monde. Une fois limogés, les litiges ne sont pas toujours médiatisés et souvent, les décisions de justice sont rendues plusieurs années après le limogeage. Des pays plus touchés que d'autres ' Je n'ai pas connaissance d'une étude qui ait été menée à long terme. Ce que je peux vous dire, par contre, c'est que pour la saison 2010-2011 dans le football, c'est l'Allemagne qui détient le nombre record d'entraîneurs limogés au cours d'une même saison (12 entraîneurs pour 2010-2011). Aujourd'hui, on voit que de moins en moins de clubs hésitent à sanctionner leurs entraîneurs pour les mauvais résultats de l'équipe et à les en écarter. Mais, pensez-vous que c'est vraiment à l'entraîneur de supporter les mauvais résultats de ses joueurs ' Est-ce légal pour un club de limoger l'entraîneur qui n'obtient pas de bons résultats ' Est-ce qu'il peut le mettre au placard ' C'est une excellente question. Ce qu'il faut bien avoir à l'esprit, c'est que les entraîneurs des clubs professionnels concluent des contrats de travail à durée déterminée. Il s'agit de contrats qui ont la particularité de ne pas pouvoir être rompus avant leur terme (sauf cas déterminés). Quels sont les avantages de ces contrats, qui doit les préparer et enfin une Fédération de football peut-elle s'interférer dans la mission de l'entraîneur ' Ils garantissent à l'entraîneur une stabilité contractuelle pendant une durée déterminée et de laisser libre court aux opérations de transfert (même si celles-ci sont encore peu développées chez les cadres sportifs). Dans les pays où le football est professionnel ou en voie de professionnalisation, ils sont préparés par les fédérations ou les ligues professionnelles qui établissent des contrats «types», ces contrats doivent être complétés par les clubs et font, comme c'est le cas en France, l'objet d'une homologation. Mais le pouvoir d'immixtion de la fédération s'arrête à ce stade. Le club est seul maître du destin contractuel de son entraîneur. Parfois, les fédérations ou ligues peuvent instituer des commissions, il peut s'agir soit de commissions de résolution des litiges qui vont trancher le différent entre un club et un entraîneur, soit de commissions de conciliation qui vont tenter de pousser les parties à trouver une solution amiable. On ne peut donc pas rompre ces contrats ' Exceptionnellement si. Mais seulement dans des conditions strictement déterminées comme le commun accord (mode de rupture utilisé par l'entraîneur du Panathinaïkos, Nikos Nioplas, en novembre 2010), la force majeure ou la faute grave (invoquée par exemple lors du limogeage du sélectionneur de l'équipe nationale de basket-ball de l'Angola, Luis Magalhaes). Souvent, pour les entraîneurs, on leur reproche une faute grave pour justifier la rupture de leur contrat. Mais, les clubs n'ont pas toujours une faute grave à leur reprocher, alors, parfois, ils fouillent dans le comportement de l'entraîneur pour tenter d'y déceler une faute gave qu'ils pourrait lui reprocher' On a pu voir ainsi plusieurs clubs qui avaient rompu le contrat de leurs entraîneurs en considérant au motif de leur refus de serrer la main du président, de s'excuser pour avoir fait des déclarations publiques vis-à-vis des dirigeants, d'être placés sous l'autorité fonctionnelle du directeur sportif, ou de leur comportement injurieux, d'une pratique de harcèlement, d'insubordination' Ce qui a été rejeté par les juges. D'autres fois, les clubs ont directement reproché à l'entraîneur une insuffisance de résultats ou la perte de confiance et considéré qu'il s'agissait d'une faute grave. Mais, à nouveau, les juges ont rejeté ces motifs pour rompre le contrat de l'entraîneur. ça a l'air en effet, très difficile pour un club de se débarrasser légalement d'un entraîneur sous contrat. Enfin, il peut toujours le mettre au placard' Attention, la mise au placard n'est pas un processus légal non plus. Mais je comprends votre approche puisque certains clubs ont eu la même. Ils ont jugé plus judicieux de pousser l'entraîneur à la sortie en lui confiant un poste inférieur à celui d'entraîneur de l'équipe première plutôt que de prendre la responsabilité de rompre son contrat. Je me souviens très bien d'ailleurs d'un cas passé devant les tribunaux où le club avait décidé de changer la fonction d'entraîneur recruté en qualité «d'entraîneur de l'équipe professionnelle» en celle «d'entraîneur général». Logiquement, ce changement de qualification faisait perdre à l'entraîneur diverses primes et avantages, comme les primes de matchs, ce qui est interdit. (Ndlr : il est interdit de modifier la rémunération d'un salarié en France sans son accord). Que peut faire l'entraîneur alors s'il est mis au placard ' L'entraîneur peut évidemment la contester. Il peut même décider de rompre son contrat au motif de cette modification intervenue sans son accord et à son détriment pour faute grave du club. Alors, le club pourra être condamné à lui payer tous les salaires restant dus jusqu'au terme du contrat. Mais attention, comme pour le club, la faute grave doit être réelle, sérieuse et suffisamment grave. A défaut, c'est l'entraîneur qui pourra être condamné à verser au club des dommages et intérêts. Des cas connus dans le monde que l'on peut citer ' Il doit y avoir des cas similaires dans le monde. Mais je me limiterais. En France, on peut citer le cas de Laurent Roussey, limogé en 2008, et au sujet duquel une décision de justice a été rendue par le Conseil de Prud'hommes. Le club de St Etienne a été condamné à verser 1,14 million d'euros de dommages et intérêts à son ancien entraîneur Laurent, licencié en novembre 2008 pour «faute grave». Laurent Roussey affirmait que son licenciement n'était dû qu'au piètre début de saison 2008-2009 des Verts, ce qui ne constituait pas une «faute grave». Le club soutenait que l'entraîneur avait tenu des «propos injurieux» à l'égard d'un joueur, des «actes d'insubordination» en laissant partir à l'étranger des joueurs en arrêt maladie, et refusait «d'être placé sous l'autorité du directeur sportif Damien Comolly, une nouvelle fonction créée par les dirigeants». Laurent Roussey avait été démis de ses fonctions après une défaite à domicile contre Rennes (3-0), mettant l'ASSE dans une position de relégable (18e) après une série de cinq défaites consécutives en championnat. D'autres cas ' Oui, quelques cas de limogeage recensés de par le monde (je ne saurai vous dire s'ils sont tous passés en justice). Vous devez le savoir l'avant-dernier de Super Liga, Vitoria Setubal vient de se séparer de son entraîneur, Dauto Faquira. Le président du club, Luis Lourenço a lui-même annoncé la nouvelle qui fait suite aux mauvais résultats obtenus (3 victoires en 14 journées). L'entraîneur mozambicain était arrivé en fin de saison dernière et avait signé un contrat de deux ans. Il est désormais libre. L'entraîneur de Shalke 04, Felix Magaht, a été démis de ses fonctions (2011). L'entraîneur du club Primeriro de Agosto, Ljubinko Drulovic, Jean, Christian Lang, entraîneur du Maghreb Fès (MAS) a été démis de ses fonctions après deux défaites contre Rabat et Salé, Lamine Dieng, entraîneur du Jaraaf de Dakar. L'entraîneur du Club Africain (1re div. tunisienne), Kais Yaacoubi. En tant qu'avocat spécialiste de la matière, un conseil aux clubs qui sont dans cette situation ' Mon expérience ne peut que me conduire à les inviter à la plus grande prudence, car comme nous l'avons vu, la faute grave doit être maniée avec la plus grande précaution que ce soit pour le club ou pour l'entraîneur. Avant toute prise de décision qui peut se révéler catastrophique pour l'avenir d'un club, je conseille toujours de prendre contact avec un avocat spécialisé pour régler au mieux les difficultés en amont.


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