Algérie

Le cinéma de préférence



Il fallait supplier ses parents, parfois leur voler de la monnaie, en plusieurs parties de préférence pour ne pas être pris. Ensuite choisir le film, de préférence nouveau pour être à la page devant ses amis et surtout ses amies. Se rendre à la salle, de préférence loin du quartier pour ajouter le plaisir de la balade et être discret au cas où...Choisir sa place sur le plan de la salle (le seul endroit de notre vie où cela était possible), de préférence au balcon si l'on était accompagné et de préférence à l'orchestre si l'on était seul. Se laisser guider par la placeuse, de préférence légèrement en retard pour suivre sa torche dans l'obscurité et sentir son parfum de plus près comme une avance du bonheur qu'on allait prendre. Regarder les publicités, de préférence avec un esquimau au chocolat si les parents avaient apprécié notre bulletin trimestriel ou si on leur avait volé assez de monnaie. Passer l'entracte, de préférence à l'entrée de la salle pour regarder les passants avec l'air de leur dire qu'on n'était déjà plus des leurs et qu'on allait entrer dans un monde merveilleux, les laissant sans remords à leur quotidien médiocre.
Entendre la sonnerie et se précipiter dans la salle, de préférence en jetant des regards rapides aux autres spectateurs avec l'air de leur dire que nous appartenions à une communauté liée par une étrange complicité. Puis les lumières s'éteignaient une à une ou par rangées jusqu'au noir, de préférence total, même s'il y avait toujours cette loupiote verte de secours qui faisait partie de la poésie. Puis le film commençait. Le film seulement, car le cinéma, lui, avait commencé bien avant !
Si le cow-boy mourait, de préférence d'une flèche cheyenne ; si le soldat retrouvait sa bien-aimée, de préférence sur le quai d'une gare ; si l'Empire romain s'écroulait, de préférence après une révolte d'esclaves ; si le trésor était trouvé ou l'assassin démasqué, de préférence à la dernière minute, on sortait toujours étonné de retrouver la lumière du jour ou les lumières de la nuit, un peu groggy, comme si l'on découvrait sa propre ville.
Cette force du cinéma, stupéfiante sinon hallucinogène, il m'arrive souvent de la regretter, mais surtout de la regretter pour les jeunes d'aujourd'hui. Pour avoir pratiqué toutes les façons nouvelles de voir un film ? DVD, streaming téléchargements ?, je peux dire qu'aucune n'égale la vision collective dans une salle obscure, acte de plaisir mais aussi de civilité, de fantaisie mais aussi d'enrichissement.
Et le seul moment de l'année où il m'arrive de ressentir, presqu'avec la même force que j'éprouvais adolescent, le formidable émerveillement du septième art, est bien le Festival international du cinéma d'Alger, dont la huitième édition a commencé hier. Sa programmation somptueuse fait toujours remonter en moi la fameuse phrase du grand cinéaste, Jean-Luc Godard : «Quand on va au cinéma, on lève la tête. Quand on regarde la télévision, on la baisse.» Et ma préférence s'impose d'elle-même.


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