Les Algériens se souviennent de la Suisse comme âtre du FLN et théâtre des négociations de l’indépendance. Ils l’affectionnent. Certains pour ses banques, d’autres pour sa liberté d’expression. Cette semaine, ce sont les cinéastes qui exposent leur œuvre à la 72e édition du Festival international du film de Locarno qui se tient du 7 au 17 août.
Pendant que les marcheurs algériens, déterminés à finir le chemin tortueux menant à leur liberté, affrontent courageusement les chaleurs aoûtiennes et l’entêtement absurde d’un système moribond, loin des incendies qui ravagent les forêts algériennes, un jeune cinéaste serpente et se bat contre les sinueuses routes du Centovalli. Il s’agit de Hassen Ferhani qui participe à la chasse au Léopard d’or dans la section “Cinéaste du Présent” du festival suscité.
Pour rejoindre le festival, refuge des cinéastes rouges lors de la guerre froide, on a emprunté la route passant par Lucerne où les délégations algériennes et françaises conduites, respectivement, par Ahmed Boumendjel et Georges Pompidou, se sont rencontrées, en mars 1961. Puis on a passé le massif du Saint-Gothard à travers son tunnel routier, d'une longueur de 16,9 kilomètres. Sur la route, on a vu des publicités pour l’autre tunnel ferroviaire éponyme, mis en service en 2016, après 17 ans de travaux.
Avec ses 57 km, ce plus long tunnel du monde devient un symbole de l'identité et du développement ; un point de rencontre entre les langues du pays, et une voie de communication entre le nord et de sud de l'Europe. La frontière séparant les Suisses alémanique et tessinoise est annoncée par les photos des léopards qui sont partout. Cela dénote l’importance que les autorités locales et fédérales accordent au cinéma et à la culture. Sur place, on découvre un programme dense et l’Algérie est très présente, notamment avec 143 rue du désert et Terminal sud, respectivement, de Hassan Ferhani et Rabah Ameur-Zaïmeche.
Visible aussi à travers plusieurs films dans la Rétrospective Black Light, consacrée au cinéma fait par des Noirs. Mais aucune référence à la Révolution en cours qui se lit sur les écrans. Ce sont les discussions qui servent d’amplificateurs à la voix du peuple. L’information a vite circulé entre les rares Algériens et Marocains vivant au Tessin. 9 août, 18h30, l’équipe du film de Ferhani, dont les acteurs Amari Chawki et Samir Elhakim, présentent le film à quelques 500 festivaliers. Rachid, le Marocain, et Salah, l’Algérien, confessent. “Nous sommes un peu isolés ici et ce genre d’occasion est à savourer.”
Le Marocain Abderazak qui gérait autrefois, durant le festival, la tente “Casablanca”, dédiée à la culture maghrébine, regrette “l’absence de lieu de diffusion de la riche culture de nos pays”. Et d’ajouter : “Ce manque crée de l’ignorance qui rend parfois le dialogue et l’intégration difficile.”Après la présentation, vint le noir, puis la lumière de la première image du film : un décor désertique à travers une porte. Elle dure. Un regard contemplatif. Il est plus pointé sur la route et le sol, guettant un quelconque passager qui rentrerait dans le champ.
Le ciel et le grand désert sont restés en hors-champ. “C’est l’Algérie vue du sol, et non pas du ciel”, plaisante Hassan qui a choisi son point de point. Celui de Malika, une septuagénaire débonnaire qui gère un petit restaurant de fortune au milieu du désert. “Je voulais faire un film avec Malika et non pas sur Malika”, explique-t-il. Des passants, chacun avec son histoire sans intérêt parfois, se succèdent, mais seule Malika intéresse la caméra.
L’intensité dramatique a été entretenue par ses inquiétudes devant son existence menacée par la construction d’une pompe à essence en face de son commerce. “Tout au long des mois de tournage, j’ai essayé de m’adapter à mon personnage et aux évènements”, nous éclaire le cinéaste. Le lendemain, Rabah, habitué du festival, voit son film Terminal Sud projeté. D’emblée, il plonge une large audience dans la violence qui terrasse un médecin entre le marteau de l’État profond et l’enclume des groupes armés. Il n’est pas aisé de parler des films de ce compatriote tant il est toujours déroutant.
Imaginez l’histoire d’un médecin algérien, plongé dans l’atmosphère de la terreur de la décennie noire, face au terrible dilemme de mener un combat impossible, ou de s’exiler en France. Des faux barrages, des assassinats, des abus policiers, de la torture etc. Et le film se déroule en 2018, en France, comme certains indices le montrent : les plaques de voiture, l’écriteau sur une tombe. “Naturellement, j’ai volontairement laissé quelques indices, mais je n’ai pas voulu ancrer l’histoire dans un lieu connu”, commente Zaimèche. À la fin de la projection de ce film qui est en compétition internationale, à l’instar de son protagoniste, interprété par Ramzi, parfois peu crédible, le spectateur ne sait plus à quel repère s’accrocher.
On peut dire que c’est un film absurdement sur la “décennie noire” française ! À méditer ! Sous un ciel capricieux, on croise Mohamed Soudani qui évoque son film Guerre sans images. Il prend des nouvelles de la rue algérienne et exprime sa joie de “la fierté retrouvée grâce au courage des jeunes. Je suis fier de cette jeunesse !” Il évoque aussi son neveu Hillel Soudani et se rappelle que c’est le foot qui l’a ramené au Tessin et au cinéma. Une pluie torrentielle écourte la discussion. Et on se retrouve à regarder West Indices du Mauritanien Med Hondo, programmé dans la rétrospective Black Light.
Coproduit avec l’Algérie, le film est une diatribe contre le colonialisme. Dans le même sens, France Fanon s’est invité à l’écran à travers le film Frantz Fanon : Black Skin, White Mask de Isaac Julien et Mark Nash qui se sont livrés au dur exercice d’éclairer la pensée complexe de cet Algérien, à travers ses écrits. Et aussi par sa biographie qui commence en Martinique, terre natale de l’écrivain Joseph Zobel qui a publié, en 1950, La Rue Cases-Nègres, et à la réalisatrice Euzhan Palcy l’ayant porté à l’écran, en 1983.
L’adaptation de ce roman autobiographique qui ressemble fortement au Fils du Pauvre de Mouloud Feraoun, publié aussi en 1950, lui a valu un Lion d'Argent à la Mostra de Venise et un César de la meilleure première œuvre en 1984. Les Prix à Locarno, tout le monde les espère. Mais les Léopards, comme les militaires algériens, résistent. À Alger ou ici, il faut de la patience, de la persévérance et du génie pour atteindre son but. En attendant, les félins continuent à feuler et les Algériens à marcher.
Posté Le : 17/08/2019
Posté par : litteraturealgerie
Photographié par : © Tahar Houchi /Liberté.
Source : Liberte-algerie.com