Abderrahmane Bouguermouh, voilà un nom qui sent bon le professionnalisme. Une intonation de la même valeur que celle qui résonne à l'évocation de son frère Abdelmalek, et avec qui il partageait cette aura professionnelle jusqu'au bout des ongles, dans cet art qu'ils avaient en commun, l'un pour le 7e art, l'autre pour le 4e art. A présent, les deux frères se retrouvent par les liens de sang et les liens culturels. Un dénominateur commun, leur donation profonde et convaincue pour l'art national, purement algérien, profondément enraciné dans l'identité. Celle-là même que Bouguermouh Abderrahmane s'en est allé chercher, quêter et retrouver pour l'adopter et la faire plus sienne encore et à jamais, dans ce qu'il va avoir à vivre, découvrir, connaître pour s'y mêler et en faire un porte-flambeau, le sien propre, la période du combat révolutionnaire, la lutte du peuple et l'aversion des hommes et des femmes de ce pays pour la chose coloniale. Des images et des vécus alors en ce printemps de l'année 1945, alors qu'Abderrahmane est tout jeune lycéen dans ce Sétif d'adoption où les parents s'en sont allés vivre. Cette manifestation pacifique à laquelle il prend part en tant que témoin oculaire et qui va éveiller en lui cet instinct de liberté, d'indépendance, de révolte et de combat. Une période charnière qui le voit déjà aussi rêver de cinéma, lorsque, avec les copains, il se rendait dans les salles obscures pour plonger dans la lumière de la magie des images collées à des mots... Il remue grandement ses souvenirs d'adolescent, de jeune Algérien aux côtés de Kateb Yacine et de Malek Haddad... Ce dernier, particulièrement, sera son grand ami qu'il admire pour son écriture, un homme qu'il dit être oublié par les siens, malgré toute la lumière qu'il diffuse dans ses écrits, porté par une plume extraordinaire... Bouguermouh se remémore dans la pénombre de ce petit appartement sur les hauteurs de Didouche-Mourad ce qui lui a fallu subir en censure, en interdits quand il s'employait à faire son métier. A ne faire que son métier. Lui qui s'est enrichi d'une expérience riche en enseignements en ses débuts balbutiants, mais ô combien palpitants qu'il aura à connaître et à aimer au gré de ses rencontres pas comme les autres, d'une autre dimension, celle d'avec deux grands monstres de la culture algérienne : M'hamed Issiakhem et Mouloud Mammeri. Il fera connaissance de ce dernier en 1957 et avec lui, il se frottera plus encore à la cause berbère. D'où naîtra le projet de l'adaptation de son roman culte « L'opium et le bâton » qui sera réalisé par Ahmed Rachedi avec l'assistance technique à la réalisation de Bouguermouh. Le cinéaste confie que cette collaboration sera omise, d'ailleurs, dans le générique de ce film porté à l'écran et qui dans sa version décevra beaucoup de romanciers tant dans le manquement à l'âme du roman que dans la langue utilisée... Bouguermouh suggère et promet de porter un jour un autre roman de Mouloud Mammeri, « La colline oubliée »...
Les épreuves d'un métier fait d'engagements et de détermination
Ce ne sera pas la première déception de Bouguermouh qui voit tout à ses débuts de carrière le refus de la commission de censure de ce film dont le scénario est écrit par Malek Haddad « Comme une âme » d'avaliser le projet, à moins d'en faire une version en arabe, car l'original est en kabyle... Le cinéaste s'entête avant d'être licencié pour la seconde fois sans pouvoir en garder une copie, après l'avoir été en 1964 du CNSA (Centre national cinématographique algérien) dont il est l'un des créateurs en 1963, année qui a vu son retour de France où il se rendit très jeune pour y étudier le cinéma à l'IDHEC (Institut des hautes études cinématographiques). C'était en 1960 où il travailla, également, pour la télévision française, en tant que réalisateur d'émissions de variétés. C'est de là aussi qu'il ramène une copie en 1965, de « Comme une âme » qui n'a jamais visité l'écran en Algérie. D'autres déboires pour d'autres projets seront plus loin le lot de ce grand cinéaste qui parle peu, mais qui en dit toujours long. En écorché vif qui s'assume, mais qui n'en dit pas moins des vertes et des pas mûres sur un métier qu'il aime par-dessus tout, surtout lorsqu'il dit n'avoir jamais pu aller au-delà de ses rêves, tourner et tourner encore... Une absence de reconnaissance, qui l'a poursuivi même lorsqu'il s'est mis sur le projet de « Kahla oua beida », ce chef d uvre encore ancré dans l'esprit des Algériens, tant il était vrai et respirait l'algérianité dans toute son entité. Même proposé en arabe dialectal, cette fois-ci, son auteur confiait alors qu'il a subi bien des pressions avec même le tournage. « J'étais alors sur la sellette, un indésirable. Parce que j'étais un fervent défenseur de la langue berbère, ce qui constituait en soi à l'époque un blasphème ! ». Mais contre toute attente, Bouguermouh ne lâche pas prise et assume son projet. Il s'obstine et s'assure l'encouragement des Sétifiens qui lui viennent en aide en finançant le film. Le grand film qui tire son essence de la société et dans lequel il est rendu encore plus vrai avec l'apport de professionnels comme Sid-Ahmed Agoumi et le jeune Kamatcho qui en a oublié la caméra, lui, l'amateur, le novice qui se tenait sous les projecteurs pour la première fois de sa vie, rapportait alors le cinéaste, bien fier de son produit, il y a de quoi au regard du franc succès public remporté alors. Un autre long métrage qu'on lui connaît « Les oiseaux de l'été », réalisé en 1978, deux ans avant cet hommage à l'équipe de football sétifienne en 1980.
En 1956, il quitte le lycée pour la révolution...
Bouguermouh ne plie pas et s'en va faire son métier comme il l'entend, en tant que professionnel. Il fera encore dans les films qui dérangent, non pas dans sa conception à lui, mais ainsi perçus par ceux qui l'entendent plutôt de cette oreille là. Il fait aussi dans le film documentaire et assiste d'autres réalisateurs, Sid-Ali Mazif, Mohamed-Lakhdar Hamina dans « Chroniques des années de braise », Palme d'or à Cannes en 1975 et puis, Ahmed Rachedi dans « L'opium et le bâton » et bien avant cela, René Vautier dans « L'enfer à dix ans », un film époustouflant de cet engagement d'enfants dans la guerre, en parfaits amateurs, voire en excellents acteurs d'une Algérie à venir... Un flash back inévitable pour un Bouguermouh qui, depuis sa vie au lycée Albert Tinet, aujourd'hui, El Kerouani, de Sétif, sera marqué à jamais par ces Algériens et Algériennes sorties dans la rue clamer et rappeler aux Français qu'il était temps de respecter leur promesse de leur rendre leur pays. Le réalisateur témoigne dans un documentaire de ces massacres d'abord, puis dans un livre qu'il signe « Anza » où il y décrit Sétif et par ricochet toute l'Algérie avant, pendant et après 1945. Un écrit bouleversant, aussi bien manié que sa caméra à lui, une littérature inspirée de la révolution à la Tolstoï ou la Dostoïevski... Bouguermouh assis à sa table de salle à manger, sur une chaise faute de pouvoir le faire sur un fauteuil souffrant énormément du dos, porte son regard dans ce passé tumultueux pour y retrouver : « De la fenêtre, je voyais des enfants sous un déluge de balles qui pleuvaient de partout, sur tout le monde, ces soldats qui sautaient par-dessus des corps ensanglantés, ces dizaines de cadavres sur le sol, sur ces enfants qui allaient cueillir des épis de blé parce qu'ils avaient faim... » Lui, le lycéen qui a abandonné ses études à Sétif pour être de la grève des étudiants de 1956, ne peut changer de profil. Un engagement contre toute épreuve, contre l'aliénation, contre l'oppression quel que soit son auteur est la même. Lui, aussi, armé de ses idées de liberté, se voit interdit de monter au maquis par son père qui voulait le préserver. Il n'a d'autre solution que d'émigrer. Il a à peine 18 ans lorsqu'il se rend à Paris. Il est bien outillé de par ses passions et pour la peinture qu'il taquine à Sétif dans un atelier d'un grand artiste peintre qui lui colle ce vice et puis le cinéma où il passe le plus clair de son temps. Il est obligé de travailler pour vivre, il est employé en usine et vivote ainsi, avec surtout l'apport en mandat de son père, à partir de l'Algérie. Abderrahmane Bouguermouh, c'est bien sûr cette colline oubliée « Thawrirth Istwatsun ». 20 bonnes années entières avant de voir cette oeuvre se jucher sur les écrans algériens : « A sa sortie, en 1993, il a fait salle comble dans 5 salles à Paris ; la même semaine, il était au box office, à raison de 3 projections par jour. Un succès qui a trouvé des échos certains et favorables dans la presse, Le Monde y compris, avec 18 interviewes, comptes rendus, critiques, avec des passages à la télévision française, le JT de TF1, de Patrick Poivre D'Arvor et l'émission culturelle de Laure Adler, et toutes les télévisions m'avaient sollicité... J'ai vécu 6 mois de folie », rapporte Bouguermouh qui précise qu'en Algérie, il n'y a eu que l'avant-première de la salle Algeria, le 24 décembre 1994, puis une autre projection et à l'affiche à Tizi, mais mal sorti dans sa première version ». Il en retient, en tout cas, un bonheur sans commune mesure avec une tout autre joie, celui d'avoir vu sa mère trembler de froid à la vue de ces plénitudes de neige filmées par lui dans ce dernier produit qu'est « La colline oubliée ». Une belle récompense qui a émané spontanément et véritablement d'une spectatrice non avertie lors de cette avant-première. Une belle reconnaissance pour son travail. Pour, également, celui de ce directeur photo, qui n'est plus aujourd'hui, Merabtine qui se souvient de Bouguermouh. « A ce moment là, au début du tournage, le cameraman de passage en Algérie, venant du Canada a insisté pour être de ce film. J'ai acquiescé. Il est mort peu de temps après. « La colline oubliée » était son dernier film. Il voulait tellement se retremper dans cette ambiance là du tournage !.. »
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Une fort belle signature qui porte Bouguermouh aux sommets de son métier. Enfin, une reconnaissance, mais qu'il ne lui fait pas tourner la tête, encore moins oublier ses autres travaux qui sont stoppés dans leur plus bel élan. Il ne s'avère point vaincu et va faire voyager sa caméra autrement, dans le documentaire en compagnie d'archéologues qu'il suit partout pour en extraire des images et pas n'importe lesquelles. Il signe « Cris de pierres » en 1987, de nombreuses fois primé. « C'était, dit-il, à l'époque de la belle RTA et du bon cinéma, les années 1970 et même 1980... » Ainsi, Abderrahmane Bouguermouh aura passé sa vie à se battre pour une cause, celle de son métier, un art à part entière, lui qui se dit toujours fait pour l'art. Parce qu'il avoue qu'il aurait pu tout autant être architecte, un penchant dicté par l'excellence de ses dessins comme le confie admirative, sa femme Djamila, elle aussi du monde artistique, de l'animation et du théâtre radiophonique. Il a également taquiné la peinture dans cet atelier en France, mais appuie-t-il : « Le cinéma m'a happé en chemin, il faut dire qu'il a son propre langage ». D'autant qu'il aurait voulu tourner de nouveau n'étaient ces ennuis de santé ... Car il avait en tête ce beau projet de faire un film sur le 8 Mai 1945, mais qu'il réalisera autrement, dans ce livre édité par Casbah éditions « Anza » sorti en 2009. Un autre désir, celui de retourner de façon définitive à son Ighzer Amokrane, pour s'y sentir véritablement chez lui, en lui, mais la maladie ne lui laissait pas ce loisir... D'ailleurs, il y fait des séjours réguliers. C'est là aussi près de la maison paternelle qu'il a été victime de son accident, renversé par un automobiliste... et de compenser par des retours réguliers : « C'est là-bas que je suis bien, que je me sens bien ». Reposez en paix Monsieur Abderrahmane Bouguermouh dans cet Ighzer Amokrane qui referme sur vous les bras de la Soummam sur laquelle vous avez ouvert les yeux. Là où vous avez souhaité un jour vous retirer définitivement. Voici donc votre v'u exaucé. Dieu vous accorde le sommeil du juste...
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Posté Le : 04/02/2013
Posté par : presse-algerie
Ecrit par : Saliha Aouès
Source : www.horizons-dz.com