Algérie

Le ciel, rêvons-le cet été: Héliocentrisme et géocentrisme, les têtes tournent et s'échauffent



Dans cette série de l'été nous aborderons aujourd'hui l'un des contentieux les plus violents entre la science et l'Eglise. L'héliocentrisme est venu heurter frontalement la notion du géocentrisme, une doctrine rigoureuse de l'Eglise durant près de 1500 ans. Un débat explosif qui verra triompher la science contre l'obscurantisme, après qu'elle en aura payé un lourd tribut.Avec la grande période des découvertes qui débutèrent au XVème siècle s'ouvre une épopée nouvelle de l'humanité dont les bases de la connaissance scientifique sont à l'origine de son gigantesque bond dans la modernité que nous héritons aujourd'hui.
Mais l'Europe venait de traverser un millénaire et demi sous une domination conservatrice de l'Eglise. Celle-ci n'était pas prête à laisser échapper si facilement, au profit d'une supposée science nouvelle, le pouvoir de ses doctrines et de son influence sans concession sur les consciences, y compris celles des puissants souverains.
Que des esprits maléfiques, pénétrés par des idées démoniaques et iconoclastes, puissent remettre en cause le corpus des dogmes de l'Eglise, était insupportable pour les autorités du clergé.
Le géocentrisme est l'idée que tous les astres du ciel tournent autour de la terre qui est le centre de l'univers (Gê, devenu géo en français, est le mot grec pour nommer la terre). L'héliocentrisme est la théorie inverse, la terre tourne autour du soleil qui devient le centre de notre univers proche (Hélios étant le dieu grec de la lumière, du soleil). L'héliocentrisme est aujourd'hui une donnée irréfutable de la science. Et pourtant, c'est un long et difficile chemin qu'elle a emprunté pour installer cette vérité dans les esprits.
Je ne suis absolument pas concerné par le débat de la foi, mon opinion est libre. Mais par l'histoire de l'humanité, comme tout être pensant, et cette histoire que nous allons revoir ensemble est l'un des obscurantismes les plus néfastes.
Les Grecs, pour une fois, ce n'étaient pas eux
Non, ils ne sont pas ceux qui ont promu l'idée de l'héliocentrisme et ne l'ont par conséquent pas prouvé. Les astronomes de la civilisation hellénique expliquaient le ciel par le géocentrisme, notamment celui que retient la mémoire collective, le modèle d'Aristote.
Plus tard, combiné avec celui de Ptolémée qui le confirme au Moyen-âge, ces deux savants seront la référence historique et doctrinale du géocentrisme. Nous le verrons. Mais une idée rare allait tout de même poindre, la terre tournerait autour du soleil et pas l'inverse. Ainsi, selon les informations rapportées par Archimède, Aristarque de Samos, un philosophe (encore !) aurait émis, au IVème siècle av. JC, l'idée que la terre tournait autour du soleil. Cependant, il n'apporta aucune preuve. Et voilà que fera suite à ce merveilleux contexte de l'intelligence humaine dans l'antiquité, une gigantesque éclipse qui s'abattît sur l'humanité et la fera entrer pendant des siècles dans les plus profonds des ténèbres, le Moyen-âge.
La Bible, point central de la controverse
Le mot controverse n'est pas exactement celui qui convient car il n'y a pas réellement eu un débat. Le Moyen-âge est, malgré certaines nuances que nous avions déjà rappelées comme celui de la « terre ronde », une entrée dans un long tunnel de rigorisme religieux qui effaça les apports des grandes civilisations passées, particulièrement dans la compréhension du ciel.
La position de l'Eglise était simple et tranchée, aucune science ne pouvait contredire la vérité révélée par la Bible dans son préliminaire de la Genèse, connu de tous et dont je ne reproduirai qu'un extrait.
Au commencement, Dieu créa les cieux et la terre.
La terre était informe et vide: il y avait des ténèbres à la surface de l'abîme, et l'esprit de Dieu se mouvait au-dessus des eaux.
Dieu dit: Que la lumière soit! Et la lumière fut.
Dieu vit que la lumière était bonne; et Dieu sépara la lumière d'avec les ténèbres. Dieu appela la lumière jour, et il appela les ténèbres nuit. Ainsi, il y eut un soir, et il y eut un matin : ce fut le premier jour…/…
Pour l'Eglise, s'écarter de l'interprétation à la « lettre » du texte de la Bible était un sacrilège contre l'Eternel car dans ce texte se trouvait la confirmation de sa vérité sur le ciel. Il ne pouvait y avoir d'autres conceptions que celle conçue par son œuvre, se situant inévitablement au centre du monde auquel il a rajouté la lumière pour l'éclairer le jour. Le soleil n'est ainsi qu'une commodité de lumière apportée à la terre comme le seront les eaux.
Les Grecs, tout autant en dévotion envers leurs dieux, estimaient que comprendre leur domaine, le ciel, était les honorer et se rapprocher d'eux. La connaissance et la résolution des mystères célestes étaient un effort de compréhension et d'humilité afin de mieux faire dans leur quotidien, en conformité avec les souhaits des dieux car la connaissance de ce monde divin était un chemin de salut.
Avec le Moyen-âge, la messe était dite, circulez, il n'y a rien à dire, à rechercher ou à discuter. Le protestantisme, par Luther et Calvin, que beaucoup pensent être imprégné d'un libéralisme plus éclairé (grossière erreur sur la signification du nom), sera encore plus farouchement opposé à toute contradiction (ou doute de contradiction) avec les écrits de la Bible.
Pour eux comme pour les catholiques, c'était un blasphème, un sacrilège que celui d'affirmer que le soleil était immobile. La Bible ne raconte-t-elle pas que l'Eternel avait aidé Josué à vaincre ses ennemis en « arrêtant le soleil » ' Ainsi, si le soleil fut arrêté, c'est qu'il était en mouvement (autour de la terre).
Aristote et Ptolémée, savants « officiels » de l'Eglise
Le pauvre Aristote, il aurait dû se cantonner à la pensée philosophique parce qu'en matière d'astronomie, il a tout faux, comme diraient les jeunes.
Mais pas question de s'abstenir à lui rendre un vibrant hommage car il avait observé, réfléchi, calculé, émis des hypothèses et rédigé des conclusions. Un grand pas dans la science de l'humanité que cette seule démarche. La science n'est pas seulement belle et utile lorsqu'elle a raison mais lorsqu'elle mobilise les intelligences pour rechercher inlassablement la vérité réelle, autrement que par des dogmes.
Même si son système géocentrique était faux, nous le savons depuis Copernic. Comme il n'a vraiment pas de chance, il sera condamné d'une double peine puisque l'Eglise du Moyen-âge va en faire, à son insu puisqu'il n'était plus là, la référence absolue de sa doctrine officielle. Comme honneur, celui d'être la référence d'une erreur grossière, il y a plus gratifiant. En fait, elle le fera par l'intermédiaire de Ptolémée, un savant qui vécut à Alexandrie au deuxième siècle et qui reprit les thèses du géocentrisme en les développant dans un système encore plus élaboré. Ptolémée suit donc les pas d'Aristote.
L'Eglise prendra appui sur la description du monde par Ptolémée pour figer les connaissances au Moyen-âge. Le système était devenu intouchable. Tous les écrits et autres communications de l'Eglise porteront exclusivement sur cette donnée scientifique que très peu osèrent remettre en cause jusqu'à Copernic et Galilée. Et le premier ne divulguera même pas sa thèse.
La révolution copernicienne
Très peu d'êtres humains ont vu leur patronyme devenir un qualificatif. Qui ne connaît pas cette expression, la révolution copernicienne ' Peut-être les plus jeunes.
Le quinzième siècle va faire subir au monde un cataclysme comme il en existe très peu dans l'histoire humaine, la révolution copernicienne en fut le détonateur le plus explosif. L'Eglise ne s'en remettra plus véritablement et commencera sa chute progressive jusqu'à nos jours.
Tout cela avait commencé avec Christophe Colomb dont la découverte annonçait un bouleversement. Puis est venu le tsunami avec Copernic et Galilée. La première phrase de Neil Armstrong, le premier homme sur la lune, avait été « Un petit pas de l'homme, un pas de géant de l'humanité ». C'était tout à fait juste mais nous conviendrons que cette phrase inaugurale de l'ère moderne est plutôt adaptée à la révolution copernicienne et aux grandes découvertes maritimes.
Nicolas Copernic, né en 1473, était polonais, d'une famille assez bourgeoise et bénéficiant d'une instruction certaine. Mathématicien et astronome, il eut une éducation religieuse et lorsque mourut son père, il fut recueilli par son oncle, un futur évêque.
Il fut incontestablement le premier qui théorisa le principe de l'héliocentrisme. Tous les lecteurs savent cependant que c'est Galilée qui en donnera définitivement la preuve.
C'est au début du 16ème siècle, en 1512 et 1513 qu'il rédigea sa contribution sur l'héliocentrisme dans le livre connu sous le titre abrégé de Commentariolis (le titre en latin prendrait deux lignes).
Ce qu'ignorent beaucoup de jeunes est que Nicolas Copernic n'avait jamais publié sa thèse de son vivant, sa distribution se fit d'une manière intimiste auprès de certains amis. Il savait combien était suicidaire de divulguer des idées considérées hautement hérétiques. Il n'aura donc jamais eu la satisfaction de se rendre compte d'avoir bouleversé la représentation du monde, celle qui ne sera jamais démentie par la science moderne.
L'estocade finale, Galilée
Galiléo Galilei, dit Galilée, est né en Italie au XVIème siècle. Il faut immédiatement rectifier une croyance ancrée profondément dans la mémoire collective. Galilée n'a pas inventé la lunette astronomique qui l'avait déjà été auparavant. Mais il l'a perfectionnée et, surtout, l'a dirigée vers le ciel. Il faut rappeler que ses contemporains voyaient en cette fabuleuse invention un instrument militaire.
Il avait pris connaissance des travaux de Copernic et prouva, par ses observations et ses calculs, que la théorie du savant polonais était fondée. Avec Galilée, l'héliocentrisme est définitivement installé comme vérité scientifique.
Mais au contraire de son prédécesseur, Copernic, ses travaux furent publiés. Nous savons combien la foudre de l'Eglise tomba sur lui et le traîna dans un procès pour éréthisme. Devant le risque fatal, Galilée se déjugea et publia un texte où il démentit ses affirmations sur l'héliocentrisme. Nous ne saurons jamais l'authenticité d'une phrase célèbre qu'il aurait prononcée à la fin du procès, «Et pourtant, elle tourne». Galilée a confirmé sa place dans la révolution copernicienne dont il a validé la thèse. Il sera à jamais celui qui bouleversa, avec Copernic, la représentation du monde. Mais il faut encore beaucoup de temps pour que la vérité refasse surface.
Pourtant, ils étaient profondément chrétiens
Pour rappeler ce qui est communément su, j'ai choisi ce passage de Philippe Testard-Vaillant dans le numéro du magazine Science et vie du 25 août 2020 :
Que l'on évoque la condamnation de Bruno ou le procès de Galilée, et l'on en déduit rapidement que la religion fut une entrave, un frein au développement de la pensée scientifique. Or, la foi fut en réalité un moteur pour les savants ! Si les Kepler, Galilée et autres Newton ont cherché à comprendre le monde, à observer sa marche le plus minutieusement possible et à décortiquer son horlogerie interne, s'ils ont entrepris de fonder la science moderne, c'était d'abord pour honorer le créateur d'un monde si fascinant. Pour se rapprocher de Dieu.
Et bien d'autres savants étaient dans cet esprit d'avoir voulu, comme ceux de la Grèce antique, honorer Dieu. Il y a dans ce sombre passage de l'histoire une grande leçon que les croyants, légitimes et apaisés dans leur foi, devraient méditer. Ne plus jamais contrer les travaux de la science au risque de sortir de la route d'une religion de paix, de fraternité et de recherche de la connaissance. Attention, cela ne veut pas dire l'impossibilité de la critiquer par des arguments scientifiques.
C'est l'Eglise qui s'était déshonorée en pourchassant des hommes qui ont voulu élever les êtres humains aussi haut que Dieu le leur a permis (selon la conviction des croyants) en les dotant d'une incroyable intelligence et d'un esprit de curiosité inégalable parmi les espèces vivantes. Renier l'évidence d'une beauté sublime du cosmos c'est renier la beauté de la création. C'est cela le blasphème.
Le repenti, très tardif, de l'Eglise
Il aura fallu 359 ans pour que le pape Jean Paul II convoque une commission qui réhabilitera Galilée. Le discours inaugural du pape est aujourd'hui une référence pour situer la position de l'Eglise dans le débat du lien entre la foi et la religion. Je n'en suis pas satisfait car je n'ai pas entendu exprimer ses regrets pour toutes les autres imbécilités, repressions et exécutions du Moyen-âge. J'aurais voulu qu'en matière de sciences, elle aille plus loin et qu'elle reconnaisse enfin que l'eau est mouillée, que le feu brûle, que la terre tourne autour du soleil et que les eaux de la mer ne s'écartent pas, ainsi de suite.
En conclusion, l'affaire Galilée nous enseigne définitivement que la science n'est ni contraire ni incompatible avec les croyances. Elle est la plus belle façon aux croyants d'honorer la condition humaine.
*Enseignant


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