A l'heure où l'exercice du pouvoir est passé au scalpel, un an après la prise de fonction de François Hollande, la jeunesse est un thème pour lequel la boussole politique de l'hôte de l'Elysée ne s'est pas totalement égarée. Priorité de la campagne du socialiste, elle continue d'être une ligne rouge du quinquennat. Dans ce domaine, le président est même susceptible d'influencer l'agenda européen, contrairement au traité de stabilité budgétaire, qui s'est révélé être une mauvaise porte d'entrée pour «réorienter» l'Europe. Même s'ils ne sont que 26 % à faire confiance à François Hollande, selon les dernières données TNS-Sofres du mois de mai, les jeunes continueront d'être au c'ur des préoccupations politiques, tant leur sort sur le marché du travail invalidera ou réhabilitera l'action publique face à la crise.
Les chiffres et les expressions anxiogènes sont connus (15,8 % de jeunes «nini» dans l'Ocde, terme désignant les jeunes qui ne sont ni dans l'emploi, ni en formation, 23,7 % en Espagne). Ce «vrai cauchemar» qui hante Enrico Letta, le Premier ministre italien, est autant un test qu'un casse-tête pour les dirigeants. Dans les différentes capitales, on s'interroge sur les publics à aider. Faut-il mettre le curseur sur les jeunes en décrochage ou élargir l'action aux diplômés ' En Espagne, le nombre de jeunes sans emploi issus de l'enseignement supérieur a littéralement doublé entre 2008 et 2010.
La tendance se confirme même au-delà de cette classe d'âge :
259 800 Espagnols diplômés âgés de 25 à 44 ans étaient au chômage en 2007, contre près de 700 000 en 2011 selon des chiffres rapportés par le centre de recherche Fundacion Alternativas. A Bruxelles comme à Paris, une réflexion similaire émerge. Le mois dernier, les députés européens ont voté en faveur d'un soutien accru de l'UE aux jeunes de moins de 30 ans titulaires d'un diplôme.
En France, le manque d'empressement des employeurs à engager des jeunes non qualifiés sous le régime des emplois d'avenir a ouvert le débat. Pour espérer atteindre la signature de 100 000 contrats d'ici la fin de l'année, certains parlementaires suggèrent
d'élargir le dispositif aux personnes qualifiées, dont le profil rassure les entreprises et les associations. 5 % des diplômés au chômage, contre 40 % des non-diplômés Une fausse bonne idée, jugent les spécialistes. Trois ans après leur sortie du système scolaire, seuls 5 % des jeunes français diplômés sont au chômage, contre 40 % pour les jeunes non-diplômés, rappelle Emmanuel Sulzer, sociologue au Cereq. 10 ans plus tard, le taux culmine toujours à 30 %. «Preuve que l'on n'est pas du tout sur les mêmes problématiques, poursuit-il.
Sans parler des très hauts diplômes, les jeunes parviennent à s'insérer assez facilement avec un BTS ou un DUT, surtout dans des spécialités très demandées de l'industrie ou de la santé.» Un diagnostic confirmé par le Conseil d'analyse économique (CAE), qui a récemment produit une note sur l'emploi des jeunes. «Le but n'est pas d'aider des gens qui ont les moyens de chercher seuls», résume sa présidente-déléguée, Agnès Benassy-Quéré. Les travaux menés par trois économistes pour le compte du CAE concluent même à un besoin de resserrement des dispositifs récemment lancés par le gouvernement sur les jeunes les plus défavorisés. C'est le cas pour les contrats de génération, qui récompensent à hauteur de 4 000 euros les employeurs jouant le jeu : recruter un jeune tout en maintenant dans l'emploi un senior.
Cette fois-ci, l'exécutif n'a pas fait dans la dentelle : le dispositif est ouvert aux jeunes indépendamment du niveau de qualification ou de rémunération.
Risque d'aubaine
Une erreur, pour le CAE, qui suggère de cibler «en priorité» les «jeunes peu qualifiés» dont l'embauche est actuellement «très difficile». Le contrat de génération «cible les moins de 25 ans et s'étend sur 3 ans, tout comme les emplois d'avenir, ce qui vise à répondre à une critique de la Cour des comptes qui redoute les durées trop courtes» des dispositifs d'aide, se défend Thierry Repentin, le ministre des Affaires européennes, en marge d'une rencontre avec des étudiants Erasmus le 25 avril. Le risque d'aubaine n'est pas à exclure, puisque des entreprises pourront capter des subventions tout en recrutant des jeunes bien formés' Le seuil suggéré par le CAE pourrait atténuer ces effets pervers, même s'il est peut-être un peu élevé. «A partir 1,6 Smic, on capte déjà la frange moins bien rémunérée des diplômés, des Bac+2 aux Bac+5», constate Emmanuel Sulzer. Plutôt que d'intervenir en aval, dans l'espoir de rendre plus attractif le profil de jeunes handicapés par leur parcours accidenté, l'action publique gagnerait en efficacité en étant plus précoce. «Cela se joue dès l'école primaire, insiste le sociologue du Cereq. Il faut que les familles s'impliquent. L'école ne peut pas tout, mais elle peut beaucoup.»
En Espagne, le marasme économique a un corollaire positif inattendu. Avec «la crise du marché du travail et la crise de la construction, les élèves de 18 à 24 ans» fréquentent de plus en plus les salles de cours, quand ils préféraient auparavant «travailler ou chercher un emploi dans les secteurs qui bénéficient du cycle économique », écrit le sociologue Alessandro Gentile, dans une étude pour la Fundacion Alternativas.
Conséquence, l'abandon scolaire a décru de 28,4 % en 2010 à 26,5 % en 2011. Au rythme actuel, l'Espagne pourrait atteindre les objectifs européens visant à ramener ce taux à 23 % en 2015 et 15 % en 2020, projette-t-il. Un progrès au goût amer, contrebalancé par le faible taux d'emploi des 20-64 ans. D'ici 2020, Bruxelles veut le porter à 75 %. En Espagne, il n'a cessé de dégringoler depuis 2008, s'établissant à moins de 55% fin 2012. Pour stimuler l'emploi, Madrid a lancé une série de mesures en mars dernier, comprenant des mesures parfois comparables au schéma français. Le paquet prévoit par exemple un contrat de génération, mais sa déclinaison est différente de la version hexagonale. Un jeune créateur d'entreprise se voit ainsi exonéré de 100 % des charges de sécurité sociale s'il s'engage, en contrepartie, à recruter un travailleur de plus de 45 ans. Financé à hauteur de 3,5 milliards d'euros sur 3 ans, dont 1,1 milliard par le Fonds social européen, ce plan de 100 mesures comprend un volet formation, mais il reste en grande partie composé
d'abaissements de charges sociales ou de bonifications sur différents types de contrats pour les moins de 30 ans.
Attentes très difficiles à honorer
Ces mesures de court terme ne s'accompagnent pas d'une stratégie ambitieuse de long terme, bien au contraire. Loin de sanctuariser l'éducation, le gouvernement conservateur de Mariano Rajoy a choisi de retrancher plus de 10 milliards d'euros à ce budget, qui passera de 4,9 % du PIB en 2010 à 3,9 % en 2015. Prêt à remettre sa démission si des coupes sont actées en matière de recherche, d'éducation et de culture, Enrico Letta se fait le porte-voix d'une autre vision de la consolidation fiscale. Le Premier ministre italien tient lui aussi à investir le champ de l'emploi des jeunes. Il s'entoure de conseillers de l'Ocde et semble vouloir arriver armé au sommet européen de juin, là où François Hollande avait promu son pacte de croissance un an plus tôt. Comme son homologue français, Enrico Letta prend le risque de créer des attentes très difficiles à honorer. Le chômage des jeunes doit être «l'obsession principale» de l'Europe, dit-il.
A quelques semaines du Conseil, les pistes sont aussi vagues qu'étroites. Mobiliser une partie des 6 milliards d'euros du programme européen avant 2014 ' «C'est compliqué», dit-on à la Commission. Mais quel est ce plan «ambitieux» pour l'emploi des jeunes que José Manuel Barroso appelait récemment de ses v'ux '
«Lui-même ne sait pas», persifle une source européenne.
M. H.
In http://www.euractiv.fr/
Vers un retour du Smic jeunes '
Edouard Balladur, alors Premier ministre, s'y était cassé les dents, en proposant un contrat aux jeunes, moins qualifiés, inférieur au Smic. Jugée inacceptable en France, l'idée est mise en 'uvre sans scrupules au Royaume-Uni, en Belgique, en République tchèque et aux Pays-Bas. Dans ses travaux, le Conseil d'analyse économique propose une formule moins explosive fondée sur des allègements accrus de charges, sans altérer le pouvoir d'achat des jeunes travailleurs.
«Le Smic n'est pas une cause majeure de chômage, explique Agnès Bennassy-Quéré, sauf pour les jeunes. C'est une vérité difficile à entendre, car on ne veut pas créer un sous-prolétariat.»
Au final, la décision politique revient quasiment à trancher une «question philosophique» qui inspirera peut-être les futurs bacheliers. «Qui doit payer pour l'échec scolaire '» interroge-t-elle. Avec un Smic au rabais, «c'est le jeune» qui paye. Avec des baisses de cotisation, «c'est la société».
M. H.
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Posté Le : 15/05/2013
Posté par : presse-algerie
Ecrit par : Marie Herbet
Source : www.latribune-online.com