Algérie

« Le choc, le deuil et l'échec principaux signaux d'alerte » Dr Lahreche Ali, psychiatre et psychothérapeute



Le docteur Ali Lahreche, psychiatre et psychothérapeute, a travaillé à l'hôpital de Blida avant un passage à Médéa et Tamesguida où il décroche une bourse pour la Belgique. Actuellement, il est établi à Blida et est président de l'association « Les Roses de l'Espoir », d'aide aux enfants cancéreux et femmes en détresse.
Comment peut-on définir le handicap mental '
Avant de donner une définition ou une nomenclature à ce handicap, permettez-moi tout d'abord de classer les différentes pathologies. Pour ma part, je préfère le terme « mal-être » ou « souffrance psychique » au lieu de la folie. Au cours de ma carrière, j'ai eu à ausculter plusieurs types de pathologies. Des psychoses, des névroses mais aussi d'autres affections moins fréquentes, comme les conduites suicidaires, la toxicomanie et les PTSD (traumatismes dus au terrorisme et problèmes sociaux). Il faut reconnaître, dans ce sens, que le taux de suicide en Algérie a pris des proportions alarmantes ces vingt dernières années. La toxicomanie est aussi une autre pathologie qui prend de l'ampleur. Dans les années passées, nous ne rencontrions que la toxicomanie médicamenteuse et la kifomanie (accoutumance au kif) mais actuellement, les drogues dures ont émergé dans la société algérienne. D'ailleurs, le phénomène évolue très vite et s'étend sur l'ensemble des régions du pays. Sans oublier les PTSD. Internet et le téléphone portable ont aussi créé de nouvelles pathologies. Actuellement, de nombreux internautes sont collés à leurs postes tout le long de la journée et cela provoque des déficiences mentales. Il y a également les troubles sexuels et d'identité sexuelle. Notre société est en plein dedans. Le pire, cela évolue exponentiellement.
Y a-t-il des signes précurseurs du « mal-être » '
Le « mal être » trouve son origine dans les évènements de la vie. Les maux sociaux, comme le chômage, l'échec et la déperdition scolaire sont des causes directes des troubles psychologiques. De nos jours aussi, les parents n'ont point d'autorité sur leur progéniture, alors qu'au contraire, il faut accorder une importance particulière à la phase 14-18 ans. La religion est également importante. Ces dernières années, nous perdons notre ancrage religieux. Par ailleurs, l'individu, dans certaines circonstances, notamment la perte d'un proche, le deuil ou l'échec est en situation de fragilité. A ce moment-là, la prise en charge psychologique est impérative. Il ne faut absolument pas hésiter car en réalité il s'agit d'une souffrance en sourdine. L'entourage, la famille ou les amis doivent être conscients que cet individu traverse un moment difficile. Si rien n'est fait en cette période de fragilité, l'individu glisse. Les problèmes familiaux et le deuil pendant la grossesse de la mère, les souffrances néonatales ont aussi des conséquences psychologiques sur l'individu qui va naître. Cet individu est donc prédisposé à souffrir de troubles psychologiques. Actuellement, il est impératif de mener un travail de sensibilisation et un repérage pour amener les gens à connaître et à démystifier la psychiatrie car la société algérienne réserve une place privilégiée à la « rokia ». Grâce à cette puissance, les « rokates » ont installé leur business. Je peux même vous assurer que tous les malades passent d'abord par un « raki » avant de consulter un psychologue ou un psychiatre. Pour autant, ces dernières années, notre société se familiarise peu à peu avec nous. En revenant aux origines des troubles psychologiques, il existe également un dernier courant qui favorise l'hypothèse biochimique ou organique. Les partisans de ce courant estiment que les troubles psychologiques trouvent aussi leurs origines dans un dysfonctionnement cérébral. Ils argumentent leur hypothèse par les effets des médicaments sur le malade.
Où en est-on dans la prise en charge de ces personnes '
Il n'existe pas de prise en charge au sens propre du mot. Souvent, c'est la famille qui prend en charge le malade. D'ailleurs, je dirai que c'est une chance que nous avons dans notre société. Donc, il faut réfléchir à un moyen pour assister ces familles. Aussi, les patients ne sont pas aidés sur le plan socioprofessionnel. Pour les réinsérer dans la société, il leur faut un travail à mi-temps. Dans ce sens, je lance un appel aux autorités pour réfléchir à une solution ou à un projet pour ces personnes. Le retour dans la famille n'est guère une réinsertion dans la société, ces personnes doivent être actives. L'activité est un passage qui les transforme, les valorise à travers un salaire, leur procure une place dans la société. Pour ce qui est des moyens mis par l'Etat, il est à relever que ce dernier a consacré des moyens colossaux pour le traitement de ces pathologies. Tous les médicaments (psychotiques) sont sur le marché algérien. En une phrase, l'Etat a mis à la disposition des malades et des praticiens des outils thérapeutiques qui n'existent que dans les pays développés.
Que recommandez-vous pour une meilleure prise en charge de ces personnes '
Les familles des malades n'ont d'autres recours que le médecin. A Blida à titre d'exemple, le CHU Franz-Fanon propose des séances d'ergothérapie mais cela reste insuffisant. Il faut installer des relais comme les hôpitaux du jour. A ce stade aussi, le rôle du mouvement associatif est primordial. De ce fait, il est impératif d'établir des réseaux associatifs pour aider et les malades et leurs familles. Pour le moment, les choses commercent à bouger, espérons que cela continuera dans les années à venir.


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