Algérie

Le chef de Daech pour la France tué



Le chef de Daech pour la France tué
Tout porte à croire que Boubaker al-Hakim, le djihadiste français le plus gradé au sein de Daech, chargé de planifier des attentats en France, a été tué, le 26 novembre dernier, dans la ville syrienne de Rakka.C'est le site «Rakka est massacré en silence», animé dans la clandestinité depuis Rakka par des opposants à Daech et à Assad, qui a annoncé la nouvelle : Boubaker al-Hakim, surnommé Abou Muqatel, a été tué dans un bombardement de drone sur Rakka, le 26 novembre, à proximité du stade de la ville, transformé par Daech en sa principale prison. Si cette mort est confirmée, c'est le plus haut gradé francophone de Daech qui disparaît, à la fois le mentor des frères Kouachi et l'inspirateur des plus sanglants attentats contre la France depuis 2015. La filière des Buttes-Chaumont (2002-2005) Boubaker al-Hakim, né en août 1983 à Paris, a la double nationalité française et tunisienne. Il se rend dès juillet 2002 à Damas, officiellement pour y étudier l'arabe. Il est en fait pris en charge par les services de renseignement de Bachar al-Assad, désignés en arabe sous le terme générique de moukhabarate. C'est avec leur concours que Hakim séjourne secrètement en Irak, avant de rentrer en France en janvier 2003. Assad et Saddam Hussein, tous deux baâsistes, ont en effet mis en commun une part de leurs ressources clandestines pour faire face à l'imminence d'une invasion américaine de l'Irak, dont le dictateur syrien craint qu'elle ne soit qu'un premier pas vers la déstabilisation de son propre pays. Boubaker al-Hakim est de retour en Irak en mars 2003 et il intègre la «Légion arabe» de volontaires mobilisés pour la défense du régime de Bagdad. Interviewé par les médias français, il invite ses «potes» des Buttes-Chaumont, le grand parc du Nord-Est parisien, à le rejoindre pour combattre l'envahisseur américain. La chute de Saddam Hussein l'amène à plonger dans la clandestinité, avec le soutien des moukhabarate de Syrie comme d'Irak. Cette expérience est d'autant plus importante que ces moukhabarate ont eux-mêmes été formés à l'école soviétique de la violence la plus débridée et de l'intoxication la plus insidieuse. Hakim revient en France pour établir la «filière des Buttes-Chaumont», ainsi qu'elle sera désignée à son procès. Il recrute son frère Redouane ou des «potes» comme Peter Cherif et Mohammed al-Ayouni, avant de contribuer à leur transfert en Irak via Damas. De mars à août 2004, Boubaker al-Hakim séjourne dans le bastion de la guérilla anti-américaine qu'est devenu Fallouja, dans l'Ouest de l'Irak. Abou Moussab Zarqaoui, le chef jordanien du groupe «Unicité et Jihad», y a été rejoint par de nombreux anciens officiers de l'armée et des moukhabarate irakiens. C'est cet amalgame entre la subversion jihadiste et la terreur baâsiste qui fonde la «sauvagerie» propre à Al-Qaïda en Irak, puis à Daech (La gestion de la sauvagerie est le titre du manuel bientôt le plus populaire au sein de l'organisation). Les «volontaires» français payent un lourd tribut à ce jihad anti-américain en Irak : Redouane al-Hakim est tué dans un bombardement aérien, Mohammed al-Ayouni perd un ?il et un bras dans une explosion, Peter Cherif est emprisonné après la chute de Fallouja en novembre 2004. Mais l'aura de Boubaker al-Hakim n'en sort que grandie au sein du cercle de ses «potes» des Buttes-Chaumont, notamment auprès des deux frères Chérif et Saïd Kouachi. En janvier 2005, la police française démantèle la «filière des Buttes-Chaumont» : Hakim, dont la France obtient enfin l'extradition par la Syrie, est condamné à sept ans de prison, Mohammed al-Ayouni et Chérif Kouachi reçoivent une sentence de trois ans, tandis que Saïd est laissé en liberté. De même que Hakim demeure le mentor de la «filière», Ayouni, qui a payé dans sa chair son engagement en Irak, devient le modèle d'un délinquant qui partage sa cellule, Salim Benghalem. De la Tunisie à la Syrie (2011-2016) Libéré en janvier 2011, Boubaker al-Hakim gagne la Tunisie où un soulèvement populaire a balayé la dictature de Ben Ali. Il se met au service d'Abou Iyad, de son vrai nom Seifallah Benhassine, qui lance alors le mouvement salafiste des Partisans de la Charia (Ansar al-Charia/AC). Hakim va patiemment organiser la branche armée et clandestine des AC, largement responsable de l'assaut de septembre 2012 contre l'ambassade des Etats-Unis (la police est débordée et c'est la garde présidentielle elle-même qui brise l'émeute, ce qui pourrait expliquer l'attentat-suicide perpétré à Tunis contre cette même garde présidentielle, juste après les attaques de Paris, en novembre 2015). En 2013, Hakim est responsable, indirectement en février, directement en juillet, de deux assassinats politiques qui manquent de faire dérailler la transition démocratique en Tunisie. La man?uvre échoue du fait de la médiation quadripartite menée entre nationalistes et islamistes par un «Quartette» qui a, pour cet accomplissement, été couronné par le Prix Nobel de la Paix. Hakim voit ses plans tunisiens s'écrouler et il rejoint Daech sous le surnom d'Abou Mouqatel. Pour Baghdadi et ses partisans, Hakim est un atout de poids dans une stratégie de subversion francophone et d'expansion en Tunisie, voire en Libye (où Ansar Charia a installé des camps d'entraînement non loin de la frontière tunisienne). En janvier 2015, l'attaque de la rédaction de Charlie Hebdo par les frères Kouachi porte clairement la marque de Boubaker al-Hakim, même si elle est initialement revendiquée au nom d'Al-Qaïda au Yémen, à la fois pour brouiller les pistes, et pour conforter Daech dans son OPA agressive sur l'ensemble de la galaxie jihadiste. Deux mois plus tard, l'attaque du musée du Bardo, où une vingtaine de touristes étrangers sont assassinés, démontre que Daech, sous l'inspiration de Hakim, développe une campagne coordonnée contre la France «laïque» et la Tunisie «démocratique», toutes deux vouées aux gémonies jihadistes. Le même 26 juin 2015, un terroriste tunisien, formé dans un camp libyen de Ansar Charia, massacre à Sousse 39 personnes, dont une majorité de touristes britanniques, tandis qu'un jihadiste français, après avoir supplicié son employeur, échoue à provoquer une explosion en chaîne dans un site chimique de l'Isère. Là encore, la signature de Boubaker al-Hakim est avérée dans la planification de ce double coup, alors que Daech frappe le même jour au Koweit et au Yémen. Il s'agit de semer par la «sauvagerie» une terreur telle qu'elle en devient sidérante, fragilisant les défenses du pays et de la société ainsi attaqués. Boubaker al-Hakim s'exprime volontiers dans les organes jihadistes sur cette «sauvagerie» dont il revendique l'efficacité, en France comme en Europe en général : «Tuez n'importe qui. Tous les infidèles là-bas sont des cibles. Ne vous fatiguez pas à chercher des cibles difficiles. Tuez qui vous pouvez parmi les infidèles.» Une telle injonction ne saurait mieux correspondre à la sauvagerie qui anime les assassins de l'Est parisien et du Stade de France, le 13 novembre 2015. Et nous avons vu que, comme lors de la séquence Charlie Hebdo/Bardo, un autre attentat ne manque pas de suivre le carnage français, cette fois en Tunisie même. David Thomson, auteur du tout récent (et passionnant) Les Revenants, souligne que «Boubaker al-Hakim est à la tête d'une unité de commandos dont la seule vocation est de former des gens en Syrie pour des attentats en France». Il pourrait être remplacé à ce poste par Salim Benghalem (lui-même «jihadisé» par Mohammed al-Ayouni), d'ores et déjà chargé de l'accueil des «volontaires» francophones de Daech. En tout cas, le coup porté à la planification terroriste en France est très sérieux. L'ampleur de cette perte explique peut-être la réticence de Daech à confirmer la mort de Hakim.


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