Présentation Elle avait un œil de nuit profonde, mystérieuse, insondable et un autre d'encre violette. Le regard de celle qui toute sa vie essaya d'imaginer le visage de sa mère disparue après sa naissance. Cette mère dont la voix lui parvenait à travers le liquide amniotique. Celle dont les battements de cœur lui étaient restitués par les bruits d'une cascade. Je n'oublierai jamais le visage de Nana près d'une cascade. Elle était dans une bulle et son visage n'était plus qui lumière. Elle entendait le cœur de sa mère, elle entendait sa voix, mais son visage lui restera à jamais inconnu.
La force des illusionsFéministe de la première heure, Fadéla M’Rabet vit en France, mais reste profondément attachée à l’Algérie, pour des raisons de survie intérieure et par devoir assumé.
Celle qui a écrit La femme algérienne en 1965 et Les Algériennes en 1967, deux essais pamphlétaires engagés dans la voie féministe, a toujours été rebelle, portant sur la place publique les problèmes subis par les femmes algériennes au lendemain de l’indépendance alors qu’elles avaient combattu au même titre que les hommes pour obtenir la liberté du pays et les libertés citoyennes. Ses prises de parole lui ont valu l’ire des tenants de la tradition et des réfractaires au changement et à l’émancipation de la femme.
Fadéla M’Rabet s’est tue quelques années avant de réapparaître et reparaître en 2005 avec Une femme d’ici et d’ailleurs , livre se situant entre la nostalgie et l’espoir, la mémoire et le présent, l’Algérie et la France, l’Europe et l’Afrique. Un livre fort critique à l’égard des organisations officielles de femmes en Algérie dont les représentantes ne travaillent que pour elles-mêmes. Son dernier ouvrage Le chat aux yeux d’or, une illusion algérienne avec, en couverture, une peinture de Modigliani, La femme à l’éventail, est court.
Le terme « illusion » est encore une fois utilisé. Dans L’Algérie des illusions, ouvrage commun du couple Fadéla et Maurice Tarik Maschino, le terme exprimait leurs déceptions par rapport à une Algérie moderne et démocratique qui met du temps à voir le jour. Fadéla M’Rabet s’infiltre dans un type d’écriture où elle évoque ce qu’elle observe, ce qu’elle entend, ce qu’elle lit. Elle met en forme ses impressions, ses pensées les plus intimes, mais elle ne s’arrête pas à ce côté impressionniste et sentimental.
Elle introduit, par touches successives, des commentaires politiques, des critiques acerbes sur les combats non gagnés, comme celui des femmes algériennes. Le chat aux yeux d’or fonctionne en déroulé autobiographique où l’écrivaine revient sur son enfance idéalisée. En effet, elle était entourée de chats et marquée par la grand-mère, Nana, qui régnait sur les chats et sur la maison familiale de Skikda, avec amour et tendresse, à l’algérienne. Ces chats de gouttière sont présents au fil des pages jusqu’à en devenir le fil conducteur, celui de la narratrice qui remonte le temps et l’histoire.
La grand-mère, devenue mythique avec le temps, avait « un œil de couleur de nuit profonde, mystérieuse, insondable et un autre d’encre violette ». La mémoire familiale est transcendante, la narratrice recrée le combat des aïeules, femmes fortes qui ont su transmettre la flamme de la révolte au quotidien, relever les défis et montrer la fierté d’être à Fadéla. L’écrivaine est par moment dans un registre de la nostalgie d’une enfance perdue à jamais, le temps des jasmins et des fleurs d’oranger. Elle est dans le temps du regret.
A la lecture de cet ouvrage, il devient évident qu’elle ne se défait pas du temps qui passe, du temps de l’enfance, de l’adolescence et de la jeune femme battante qu’elle était. Elle regarde dans le rétroviseur comme avec cette ancienne collègue Safia, du lycée El Idrissi, épouse de Bachir Hadj Ali. Elle écrit : « Nos retrouvailles sur cette place de la Comédie noyée de pluie rendent mes années d’illusions algériennes à la fois lumineuses et en harmonie avec le reflux de l’histoire, qui a submergé nos espérances sans emporter nos traditions. »
Cette Algérie dont elle parle n’existe plus et c’est peut-être là tout le problème d’une génération. Fadéla M’Rabet reste dans sa « madeleine de Proust ». Ceci étant dit, le texte recèle quelques moments de colère, quelques « cris » qui restent intacts. La femme algérienne est toujours au centre de ses préoccupations et elle ne décolère pas contre les islamistes qui ont déformé son image générale, y compris le corps « amplifié dans une espèce de gabardine sombre, comme le châle qu’elles n’enlèvent pas, à l’intérieur comme à l’extérieur, quel que soit le temps ».
Elle se lamente qu’aujourd’hui les mères soient devenues les pires ennemies de leurs filles, ce qui n’était pas le cas au lendemain de l’indépendance. Cet ouvrage semble être un cri devant une déferlante rétrograde sur fond de mémoire d’une enfance heureuse. Fadéla M’Rabet semble amère car, entre les lignes, on peut lire que la liberté des femmes qui semblait toute proche est en train de s’éloigner. Un fort sentiment d’incompréhension se dégage de ce livre, de dépit et de révolte aussi par rapport au temps perdu.
La dernière phrase est éloquente à ce propos : « Que notre fin soit meilleure que nos commencements. » Le texte est agréable à lire, un texte où se mélangent réalité et poésie, pessimisme et espoir.
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Posté Le : 07/06/2007
Posté par : nassima-v
Source : www.elwatan.com