Algérie

Le charme perdu de Beyrouth



Le charme perdu de Beyrouth
Dans le monde arabe, Beyrouth fait l'exception. Connue avant pour son attrait touristique, culturel et artistique, la capitale du pays du Cèdre est devenue l'otage des puissances régionales et un terrain où se déroulent les bagarres politiques et confessionnelles. La population étouffe et vit résignée.Il y a deux Beyrouth. Celle d'antan, qu'on continue encore à sublimer et à regretter, avec ses ruelles larges et propres, ses cafés populaires ou chics, ses bibliothèques bouillonnantes de culture et l'odeur de jasmin qu'on peut sentir à chaque coin de rue. Il y a la Beyrouth d'aujourd'hui. Une ville complètement déstructurée, où même les trottoirs ont disparu au profit des voitures et des motos qui ont pris tout l'espace aux piétons et aux touristes, qui, jadis, flânaient avec bonheur à la découverte des merveilles architecturales et culturelles de cette ville promise d'Orient.En ce matin de mars, la pluie est de la partie. Le ciel sombre ne semble augurer rien de bon pour Abbes, un jeune chauffeur de bus, père de quatre enfants, qui doit encore sillonner avec son véhicule les rues vieilles et étroites de la capitale du pays du Cèdre. «C'est le cauchemar à chaque fois qu'il pleut. Les évacuations sont bouchées et les flaques d'eau se forment sur les routes comme de minuscules piscines pleines de détritus. Il suffit qu'une voiture passe dessus pour que les passants soient inondés et salis».Et de critiquer les hommes politiques locaux et les députés qui ne pensent qu'à se remplir les poches au lieu de déboucher par exemple les conduites d'eau. «Ici, chaque Libanais doit se débrouiller comme il peut. L'Etat est absent. Il ne donne rien. Pire, il incite indirectement les gens à être malhonnêtes. Il prévoit même d'augmenter la TVA (Taxe sur la valeur ajoutée) de 10 à 15% dans les jours qui viennent, tandis que la corruption est érigée en système».«Au Liban, la corruption est érigée en système»Abbes a pris sa décision. Il n'ira pas voter aux prochaines élections parlementaires prévues dans quelques mois. C'est une mascarade de plus, pense-t-il. «C'est toujours la même chose. A chaque vote, ils (hommes politiques ndlr) réapparaissent pour nous promettre de régler nos problèmes. Chacun dit si vous votez pour moi, je ferai de notre région un pôle économique et industriel important. Je construirai des routes, des hôpitaux, des écoles. Il y aura du travail pour tout le monde et personne ne sera obligé de quitter le pays. Sauf qu'une fois élu, il disparaît dans la nature et on ne le revoit plus jusqu'aux prochaines élections».Cet état d'esprit est partagé par une majorité de Libanais. Elle ne voit pas le bout du tunnel. La situation sociale et politique est explosive. Entre un million et demi de réfugiés syriens qui pèsent énormément sur l'économie de ce petit pays et les menaces d'une nouvelle attaque israélienne contre le Hezbollah, à cause de son soutien au régime de Bachar et à l'Iran, les Libanais craignent que les souvenirs de la guerre de 2006 ne hantent à nouveau leurs nuits. «Nous n'en pouvons plus de cette situation, explique un vieux Libanais, marchand de fruits et légumes à la rue Sidani, proche du quartier prospère Al-Hamra.On n'arrive plus à respirer et à entrevoir une petite lueur d'espoir. Chaque jour qui s'écoule laisse place à un autre plus dur et plus anxieux encore. On ne vit pas, on survit».Le commerce des divisions confessionnellesAutrefois, le tourisme faisait tourner l'économie grâce à la venue fréquente de familles riches du Golfe, qui ramenaient avec elles beaucoup de dollars. Mais depuis le positionnement politique de l'Etat officiel libanais en faveur du Hezbollah, l'Arabie Saoudite a mis fin à toutes les aides financières qu'elle octroyait au gouvernement, avant que les autres pays du golfe ne lui emboîtent le pas. Résultat, les hôtels sont vides. Les restaurants cherchent désespérément des clients. Le nouveau Président, Michel Aoun, en équilibriste, cherche à faire revenir Ryiadh aux bons sentiments, mais tout en soutenant le Hezbollah, qu'il considère comme une force militaire utile pour le pays, aux cotés de l'armée libanaise.Mais force est de constater que tous ces calculs politiciens n'intéressent pas grand monde. «La politique ne m'intéresse pas, raconte Wissam, un jeune étudiant rencontré dans un bar. C'est le terrain de jeu des hommes politiques et des gens proches du pouvoir qui font semblant de se critiquer à longueur de journée, mais qui, en même temps, profitent du système et s'enrichissent au détriment du peuple». Il ajoute, dépité : «Toutes ces guerres confessionnelles entre chiites, sunnites, druzes, maronites ou chrétiens n'aident pas les citoyens libanais. Ce sont les hommes politiques et religieux qui les agitent pour demeurer au pouvoir ou y accéder. Jamais le proverbe'' Diviser pour régner'' n'a eu autant de sens qu'au Liban».Vivre pour ne pas mourir de lassitudeWissam cite l'exemple de Nabih Berri, président du Parlement depuis 25 ans. Un poste qui lui procure toutes sortes de privilèges. «Mais il n'y a pas que Berri, nous rassure le jeune étudiant. Il y a aussi les familles Hariri, Aoun, Djmael, Joumblat et tous les autres chefs de partis et leaders religieux, qui se partagent le gâteau, alors que beaucoup de Libanais ne trouvent pas de quoi manger ou comment se soigner».Au Liban, les classes populaires s'appauvrissent davantage et les dignitaires du régime et leurs amis, tous des patrons d'entreprises, s'enrichissent. Il n'est pas choquant de passer à côté d'un hôtel cinq étoiles ultra luxueux puis decroiser quelques mètres plus loin une maison complétement détruite et dans laquelle vivent des familles libanaises ou syriennes. L'inégalité sociale est admise dans un Liban devenu l'enjeu des puissances régionales. Désespérés, déboussolés, incapables de se projeter vers un avenir enchanteur, les Libanais compensent l'absence de perspectives par une vie au jour le jour. Puisque la situation ne change pas, se dit la majorité, autant prendre du plaisir et profiter de la vie.Les jeunes se tournent vers le matérialisme et cherchent à vivre leurs rêves. Quel que soit le coût. Grâce aux prêts bancaires, ils s'offrent des voitures de luxe avec lesquelles ils paradent dans les rues des quartiers huppés de la ville.Au pays du Cèdre, l'allure compte énormément. Les gens se jugent en fonction de ce qu'ils portent ou conduisent, quitte à s'endetter toute la vie. Il suffit de faire un tour sur la corniche pour voir tous les bolides qui y circulent, la musique à fond. C'est leur façon de montrer aux jeunes filles, qui remontent le boulevard en footing, qu'ils existent. A Beyrouth, le rythme de la vie est marqué par la nonchalance, comme si l'avenir ne dépasse pas le bleu azur de la mer qui est juste en face.


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