Algérie

Le chanteur à la kalachnikov


Des chanteurs qui tournent mal et prêchent la haine, après avoir célébré l'amour, il n'y en a pas beaucoup, puisque les artistes se retrouvent souvent du côté des victimes de l'intolérance. À l'instar des actrices égyptiennes qui ont abandonné le 7e art pour se consacrer aux prêches, certains chanteurs arabes célèbres ont préféré la semi-retraite dans le chant religieux. Ce type de chanson, autorisé et même recommandé par les nouveaux prophètes de l'Islam, connaît une période faste dans le sillage de l'expansion wahhabite et il a ses figures de proue. Après l'échec de Cat Stevens, dont la conversion n'a pas été une perte pour la chanson et n'a rien apporté à l'Islam, d'ailleurs, c'est l'Iranien Sammy Youssef qui est la rock-star du moment. Dans le genre à ne pas écouter dans les familles engagées, nous avons aussi nos convertis, par tactique ou nécessité, comme un certain Lotfi double Canon, star de la chaîne Abassi-TV. Sans doute dépité par le succès de Sammy Youssef auprès de notre féminine jeunesse exaltée, le chanteur de raï, qui se porte mieux sans lui, essaye de nous convaincre qu'il parle au peuple. Enfin, de la chanson d'amour aux chants de guerre et de mort, il n'y a qu'un pas ou une clé de sol, comme dirait un professeur de solfège, et le chanteur libanais Fadhel Chaker l'a franchi sans hésiter.Fadhel Abderrahmane Shamandar est né il y a 51 ans, d'un père libanais et d'une mère palestinienne, dans le célèbre camp de réfugiés d'Aïn-el-Héloué, à Saïda, dans le sud du Liban. Selon ce qu'en dit sa notice biographique, disponible sur le site Wikipedia, il a commencé assez jeune sa carrière de chanteur en se produisant durant les fêtes dans sa région natale. Doté d'une voix de crooner, il va se hisser sur les podiums et conquérir d'abord un public libanais, avant de connaître la renommée, au-delà du Moyen-Orient, jusqu'en Afrique du Nord. Il devient une star des télévisions musicales locales, surtout après la sortie de son premier album et son premier tube Ouallah Zamane, qui fait une percée au hit-parade. A quel moment Fadhel Chaker a-t-il commencé à fréquenter la mosquée Bilal-Bnou-Rabaa à Saïda et à suivre les prêches virulents de son sulfureux imam, Ahmed Al-Assir. Toujours est-il qu'en 2011, il apparaît dans un meeting organisé à Beyrouth, en soutien aux groupes terroristes qui sèment la mort en Syrie et où le groupe Al-Assir proclame son allégeance à Daesh. La milice avait l'ambition de combattre l'influence du Hezbollah au Liban parce que les combattants du parti chiite se battaient en Syrie pour défendre Bachar Al-Assad. Des chansons sentimentales qui avaient contribué à sa gloire, l'artiste est passé aux chants de guerre que les terroristes se font passer dans les camps de Syrie et en Irak. En 2012, Fadhel Chaker, qui s'est laissé pousser la barbe entretemps, franchit un nouveau palier, en annonçant qu'il met fin à sa carrière de chanteur, la chanson étant illicite, selon lui.
D'après l'un de ses amis d'enfance du camp d'Aïn-el-Héloué, il songeait à mettre fin à sa carrière, mais depuis qu'il gérait un restaurant à Saïda, il subissait l'influence de son frère, aux idées intégristes. Mais la ligne rouge ne sera franchie qu'en 2013, avec sa participation aux côtés des milices d'Al-Assir à une attaque contre un barrage de l'armée syrienne, à Saïda, où 18 soldats sont tués. Alors qu'il est en fuite, Fadhel Chaker veut prouver qu'il était bien au c?ur de la bataille, et il diffuse une vidéo de l'attaque et se vante même d'avoir tué personnellement deux soldats libanais. Un mandat d'arrêt est lancé contre lui, et en 2015, un tribunal militaire le condamne à mort, par contumace, ainsi que plusieurs autres membres de son groupe. Entretemps, le «cheikh» qui rêvait d'être le calife du Liban, à l'instar de son chef de Mossoul, Al-Baghdadi, avait été arrêté à l'aéroport de Beyrouth au moment où il allait s'enfuir. La même année, le «chanteur sentimental», qui a échangé une guitare contre une kalachnikov, fait une apparition à la télévision privée LBC, où il revient sur ses anciennes déclarations. Fadhel Chaker a affirmé, en effet, qu'il n'avait jamais combattu l'armée libanaise, que ce soit à Abra, ou dans une autre bataille, et ce, contrairement à ce qu'il avait affirmé dans sa vidéo.
Il faut dire qu'il venait de rouvrir de nouveaux commerces sur son site natal d'Aïn-el-Héloué, après s'être rasé la barbe et s'être remis à chanter, mais avec moins de succès qu'auparavant. En 2018, il a essuyé un nouveau revers dans sa carrière professionnelle, lorsqu'une de ses chansons a été retirée du générique d'un feuilleton égyptien du Ramadhan, avec la star Yusra. Toujours recherché au Liban, alors qu'il se trouverait le plus souvent dans le camp palestinien d'Aïn-el-Héloué, à Saïda, Fadhel Chaker a été condamné à nouveau par contumace, mercredi dernier. La sentence du Tribunal permanent des forces armées, datée du 6 décembre, est de 22 ans de prison avec travaux forcés, ainsi que la déchéance de ses droits civiques, pour la première fois. Il s'agit, en fait, de deux condamnations : la première à 15 ans de prison pour avoir fourni une aide logistique à des terroristes. La seconde à 7 ans de prison et une amende de 5 millions de livres, pour avoir financé armes et munitions au groupe d'Ahmed Al-Assir. Apparemment, toutes ses dénégations et ses déclarations concernant des dissensions avec le «Lion des sunnites», comme il appelait jadis son guide spirituel, n'ont pas convaincu le tribunal.
A. H.
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