La lecture des
commentaires d'internautes parus dans différents blogs est fort instructive sur
l'état de la société algérienne et de ses intellectuels. Des constats et
l'expression d'un besoin ou d'une volonté unanime de changement. Comme tout le
monde je me suis posé la question, comment changer et quoi faire pour y
parvenir ? Etant tout de même conscient que cette interrogation ne concerne pas
que les gouvernants, les intellectuels, les commis de l'Etat, mais l'ensemble
de la société, notamment les jeunes, les femmes et les enfants qui, eux aussi,
ont leurs mots à dire ; leurs paroles de simple vérité à énoncer. Le raz de
marée patriotique provoqué par la victoire de l'équipe nationale de football
rend l'interrogation plus impérieuse. Parce que la victoire d'un jour, bâtie
sur les sables de l'éphémère, démontre que le changement n'est pas un coup de
baguette magique mais une Å“uvre de longue haleine qui a besoin d'un projet
solide autour duquel se rassemblent et s'unissent les volontés et les forces
tendues vers cet objectif.
Une question de
taille : comment changer ?
Depuis des
lustres, face aux situations de crise, hommes et femmes n'ont cessé de se poser
cette lancinante question. Aujourd'hui, plus qu'hier, dominés par les exigences
de réponses à apporter aux sollicitations tant de la société que celles
imposées par les mutations multiples que le monde du savoir et de la
technologie provoquent sans cesse, les hommes de pouvoir et les « sans pouvoir
» ne savent plus à quels saints se vouer. D'où, cette incapacité réelle ou
affichée, provient-elle ? Probablement de la complexité et de l'étendue des
problèmes, de leur rapide évolution ou de l'insuffisance de nos instruments
d'analyse ? Question centrale qu'il convient d'approfondir.
Les gens du pouvoir se disent excédés par les
constats faits par les citoyens quant à leur mode de gouvernance et souhaitent
que l'on en vienne aux faits et aux propositions. Or les constats ne sont rien
d'autre que des faits. Une multitude de regards critiques portés, à juste titre,
sur l'action de ceux qui gouvernent. De ce regard, les gouvernants ne veulent
pas. Alors qu'au plan de la méthode, il est juste de considérer le constat
comme une étape incontournable pour qui veut élaborer un diagnostic fiable sur
un secteur donné, ses hommes et leurs actions. C'est l'antichambre de l'analyse
permettant d'identifier les problèmes, les enjeux qu'ils recouvrent et les
pistes éventuelles menant à leur résolution.
Constater et
critiquer : devenu un sport national, mais à qui la faute ?
Il est vrai que
l'observation est quasiment générale : faire des constats critiques est devenu
une sorte de sport national loin d'avoir les faveurs des décideurs et de
quelques internautes victimes, eux aussi, de l'air du temps. Toutefois, c'est,
en même temps, le révélateur d'une prise de conscience nationale manifestée, à
tous les échelons et dans tous les secteurs par ces faits que l'on désigne par
un euphémisme expéditif : les faits sociaux.
Leur répétition et leur expression sous forme
d'émeutes de plus en plus violentes, spontanées ou provoquées selon les
allégations de certains, expriment le ras-le-bol de populations, jeunes pour la
plupart, elles aussi excédées de ne pas être entendues. Elles envoient, ainsi,
à leur manière, en direction des décideurs, des signaux d'alarme pour redresser
une situation chaque jour plus que compromise.
Signaux lus comme de simples constats et loin
d'être pris en considération par les décideurs, engoncés dans les fauteuils de
leurs certitudes et leur mépris des masses. Mais aussi traducteurs de
l'incapacité des gouvernants à dialoguer avec ce peuple qui leur a délégué
toute sa souveraineté et à régler les problèmes de leur charge.
Lorsqu'ils disent « Cessez de constater, car
tout le monde est capable de faire des constats ; et proposez plutôt des
solutions », ils avouent non seulement leur incapacité mais aussi leur
solitude. Car on ne gouverne pas seul, mais avec et au nom du peuple. Surtout
que jour après jour le pouvoir a bloqué tous les espaces de communication, de manifestation
et d'expression.
Car, dans quel espace s'exprimer, dire,
proposer, évaluer, contrôler, réguler, contribuer, participer ? Quelle est
l'institution qui ouvre ses portes aux citoyennes et citoyens pour les écouter,
puis donner suite utile à leurs doléances ? Et, lorsque cela se trouve, c'est
l'exception qui confirme la règle. Comme les députés du RCD qui, au cours du
débat sur la loi de finances, se sont fait reprendre par le Président de l'APN
qui a sorti une citation éculée sur l'excès et l'insignifiance. Il a ainsi
permis à Hakim Lâalem, notre frétillant et caustique billettiste de lui poser,
en substance, une verte question : qui donc est excédentaire et, insignifiant,
par voie d'incontournable conséquence.
Gouvernance
despotique et gouvernance démocratique
Cette situation
pose, dès lors, le problème de la nature de la gouvernance et de ses effets sur
le corps social. Face à une gouvernance de type autoritaire et despotique, ne
laissant nulle place à l'expression démocratique, comment les citoyens, armés
de leur seule volonté de voir les choses changer, pourront-ils faire entendre
leur voix pour, non seulement constater, mais aussi proposer, et demain,
participer aux affaires de la Cité comme l'énonce si justement la Constitution
de notre pays.
Car il faut être véritablement autiste pour
ne pas entendre, sous le constat et les cris de révolte, s'inscrire, en creux,
toutes les possibles solutions. Cela mène à préciser les fonctions et les rôles
de toutes les institutions, mais aussi celles des citoyens. Une fois le constat
fait, qui a pouvoir de choisir, parmi tous les possibles, et de décider du
projet et du sens, des hommes à mobiliser et des moyens à mettre en Å“uvre. Si
ce n'est ceux qui détiennent le pouvoir de trancher et de choisir, même si le
peuple ne leur a pas délégué par la voie d'élections justes et transparentes.
Face à cette implacable réalité, les
décideurs s'enferment dans leur logique à courte vue, sauf en certaines
occasions que nous examinerons en fin de parcours. Ils n'ont que faire des
constats et des analyses, vous disent-ils. Ils veulent des recettes
immédiatement applicables et consommables. Peu leur chaut analyses et autres
dissertations philosophico-académiques. Il leur faut convaincre de leur
efficacité le parrain qui les a fait nommer pour préserver le pré carré des
intérêts et de la rente du clan. Ils sont attendus au niveau de la performance
et du résultat, et non de la subtilité de l'analyse ou de la pertinence des
rapports.
Il est évident que lorsque les voix montent
et que la rue est envahie, il est désormais facile d'évoquer la main du Diable,
le troisième Å“il de Moscou et la patte maligne de la chèvre de Monsieur Seguin,
pour désigner quelque part un pauvre bouc émissaire, conjurer le sort et
l'offrir, en sacrifice, à la vindicte populaire. Pour expliquer les émeutes de
Berriane, plus besoin de la main mystérieuse, devenue désormais trop visible et
bien peu convaincante à la fois. On a trouvé mieux, puisque l'on fait désormais
dans la sophistication : des disques durs décryptés auraient révélé des tracts
subversifs appelant à l'émeute, et laissé subodorer des complots dont l'ampleur
pourraient expliquer les incendies de Chlef et d'Oran, ou d'ailleurs.
L'ancien ministre de l'Intérieur avait raison
de s'indigner en parlant de dégâts et de destructions ne nuisant qu'au peuple
et à sa jeunesse, et de souligner que « des moyens pacifiques existent pour
exprimer un mécontentement. Les doléances peuvent être présentées aux autorités
concernées par le biais d'une délégation à cet effet ».
Les exemples foisonnent où cette méthode fut
employée par des citoyens conscients et responsables, mais où leurs doléances
furent rarement entendues. Mieux, lorsque le stade de la doléance présentée par
une délégation est consommé et que l'on veuille, par la suite, manifester
pacifiquement, organiser un sit-in - rien de plus inoffensif et de moins
perturbateur quant à la sécurité des biens et des personnes - on argue alors de
l'état d'exception et de la crise, pour faire donner de la matraque à des
enseignants ou à des médecins ne réclamant rien d'autre que leurs droits.
Il y a un peu plus d'un an, à Chlef, le wali
a traîné devant la justice un enseignant retraité, dont le seul tort fut de
défendre les droits légitimes de ses concitoyens.
Mais l'indignation des gouvernants,
appartenant au premier cercle du pouvoir, devrait être encore plus grande,
lorsque des milliards d'euros ou de dollars sont siphonnés par les multiples
clans qui prospèrent à l'ombre de commissions de marchés occultes. Ce qui
occasionne des dégâts mille fois plus importants au patrimoine de la Nation et
du Peuple que «les errements» de jeunes émeutiers. Ceci n'excusant pas cela !
Par ailleurs, tant que des syndicats
autonomes, dont la légitimité est reconnue non seulement par la loi mais aussi,
et surtout, par les travailleurs qui les ont constitués, seront considérés hors
course, nous ne ferons qu'ignorer les réalités du pays. L'UGTA qui ne
représente plus les travailleurs, mais le pouvoir et le patronat, doit être rendue
aux travailleurs. Persévérer dans les erreurs d'une gouvernance opposée à toute
expression démocratique, conduit à tourner le dos aux véritables solutions,
fondées sur l'adhésion et la confiance de tous ceux et celles qui sont
concernés. Ne pas faire participer à la tripartite - on devrait plutôt
l'appeler « trifarcite », parce qu'en fait de farce on ne pouvait mieux faire -
les représentants authentiques des travailleurs, c'était rendre plus criarde
l'imposture de ne voir à la table des négociations que des féaux du pouvoir. De
qui se moque-t-on ?
L'Etat au service
du peuple, dites-vous ?
Toujours dans le
même ordre d'idées, le ministre de l'Education nationale, après s'être complu à
dialoguer avec les syndicats maison, ne posant d'autres problèmes que ceux du
partage de la rente des Å“uvres sociales, refuse le débat démocratique avec les
syndicats autonomes. En outre, il s'est imprudemment targué, hier, d'enseigner
la démocratie dans une école caporalisée, depuis plus de trente ans, par des
méthodes pédagogiques archaïques et une instruction civique et religieuse
désuète. Le tout en total déphasage avec les exigences d'un siècle marqué par
de profondes et incessantes mutations scientifiques et technologiques.
Et c'est justement cet entêtement
incompréhensible des gouvernants à vouloir naviguer à contre-courant de ce que
le peuple attend d'eux qui est la cause de tous les désordres et
dysfonctionnements ; alors que l'article 11 de notre Constitution est clair : «
l'Etat est au service exclusif du peuple ».
Or, depuis 1962, c'est l'inverse qui est
devenue l'amère réalité quotidienne des Algériens : le peuple est au service
exclusif de l'Etat. Et lorsque le peuple se rebiffe et investit de force la
rue, seul espace où il lui est possible d'exprimer ses colères, il est molesté,
matraqué, encarté, taxé et emprisonné, pour ne plus recommencer. Est-ce pour
cela que tout un peuple s'est battu pendant plus de sept années ? Encore un
constat me direz-vous, mais il est fondamental !
L'exemple de
Ghardaïa
L'assemblée qui
réuni, à Ghardaïa, ibadites et malékites, en présence des autorités locales,
est un exemple à suivre, lorsque les pouvoirs publics choisissent la voie du
dialogue, plutôt que celle de la répression aveugle utilisée, entre autres,
contre les enseignants grévistes de la faim.
Une assemblée de
citoyens parvient, en présence des représentants de l'Etat, assumant son rôle
de médiateur et de régulateur, à une déclaration de paix (bayan esilm) est, de
mon humble point de vue, une avancée de taille dans la résolution des conflits.
Intercommunautaires cette fois-ci, économiques, culturels ou et sociaux, pour
la suite, et à propos desquels l'Etat doit absolument privilégier le dialogue
et la négociation, plutôt que l'usage absurde et méchant de la matraque.
Afin que la voix
du peuple soit enfin entendue et que celui-ci réintègre l'espace de sa
souveraineté, d'où camarillas, clans et mafias, l'ont injustement et
illégitimement exclu, que des assemblées de citoyens se créent, grâce à
l'engagement et à l'initiative de certains qui, au lieu d'appeler de leur vÅ“u «
l'instauration d'une vraie démocratie », contribuent, de manière réelle et non
incantatoire, à son avènement.
Quoi faire ?
L'interrogation
est légitime. Chacun est en droit de la poser, mais surtout, en devoir de se la
poser, et de contribuer concrètement à la conception des solutions et à leur
mise en Å“uvre plutôt que de se contenter de glavioter à loisir, face à un
écran. Mais c'est la société tout entière qui enfantera des vraies solutions.
Celles dont elle est déjà grosse.
C'est en son sein que naîtra cette réflexion
collective nourrie par les luttes, analyses et propositions émanant du terrain
et de la vie. Et non de boîtes ou laboratoires étrangers, comme on a pris
l'habitude le faire, instaurant le règne du «clés en main», de la
démobilisation des cerveaux nationaux et des volontés citoyennes. Un Projet,
reflet des besoins, urgences, priorités, attentes immédiates et lointaines. Un
Projet qui soit réellement l'expression de la volonté populaire.
Concevoir et agir
le changement: tous ensemble au sein d'espaces citoyens !
Beaucoup de
propositions pour le changement ont été avancées, par des partis ou mouvements
politiques tels que le RCD, le FFS, le PT, le MDS ou le CCDR et les rédacteurs
de l'appel du 19 mars. Par des personnalités politiques aussi telles que Sid
Ahmed Ghozali, dernièrement, ou Ahmed Benbitour, depuis novembre 2009, tous
deux anciens Premiers ministres. Mais personne, encore, n'invite les autres,
comme l'a fait le CCDR auparavant, jouant, en qualité de mouvement citoyen, un
rôle de médiateur pour ne gêner personne, à se mettre autour d'une table pour
débattre du changement et du rassemblement des forces nécessaires pour y
parvenir. Faut-il croire que allons poursuivre ce dialogue de sourds, sinon
rien de positif ne pourra survenir et notre pays sera en passe de connaître
bien pire qu'octobre 1988 dont les anniversaires ont toujours fait l'objet
d'indignes matraquages.
Que ce juste rappel soit entendu comme une
incitation à la réflexion collective, organisée après une large concertation,
en toute humilité et sans luttes stériles et ridicules de leadership, surtout
lorsque le destin du pays est en jeu. Le changement ne peut advenir que par
l'action et non l'incantation !
Car l'heure, loin
d'être propice aux susceptibilités épidermiques des uns et des autres, appelle,
bien plus, à un regain de responsabilité et de civisme, en vue de dégager,
ensemble, tous ensemble, où que nous trouvions, les voies et moyens de la
transition démocratique et citoyenne. Il y va de la responsabilité de tous et
de chacun, sans que l'on ait à invoquer l'intervention de tel parti, syndicat,
tel responsable ou journaliste ; ou à attendre des solutions miracles
dispensées par un homme providentiel, c'est-à-dire de s'abriter sous le commode
parapluie qui nous absoudra de tout engagement citoyen.
Prenons
rendez-vous donc, aussi tôt que possible, avec nos vérités, avec l'histoire et
les valeurs de la révolution du 1er Novembre 54 et de la Plate-forme de 56,
avec nos projets remisés pour qu'advienne, enfin, le temps du rêve démocratique
et citoyen. Et pourquoi pas un rendez-vous pour le mois de décembre 2010, pour
bien entamer la nouvelle année, l'année de l'engagement pour le changement ?
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Posté Le : 25/11/2010
Posté par : sofiane
Ecrit par : Si Mohamed Baghdadi
Source : www.lequotidien-oran.com