Algérie - Sabra

Le chahid Mohamed Bouzidi dit Ogb Ellil Le Lion de Sabra



Le chahid Mohamed Bouzidi dit Ogb Ellil Le Lion de Sabra
Le village où est né le chahid Ogb Ellil n’existe plus de nos jours. Edechra, minuscule hameau proche de la ville de Sabra, avait subi en 1958 un déluge de feu qui l’a certes rayé de la carte, mais qui n’a pu réussir à l’effacer des mémoires. Le nom de ce douar ainsi que ceux portés par une dizaine de familles y ayant vécu sont aujourd’hui intimement liés à la glorieuse Guerre de libération nationale grâce à de pertinents témoignages qui continuent à voir le jour sous différentes formes. Le livre signé par le professeur Lahcen Bouzidi sous le titre Ogb Ellil, une révolution dans la révolution constitue en ce sens une précieuse contribution à l’écriture d’une histoire que les principaux concernés, entre acteurs, témoins et intellectuels sont appelés à préserver de toute falsification ou interprétation de mauvais aloi. Il nous livre des éclairages plus qu’intéressants sur la personnalité exceptionnelle et le parcours combattant héroïque d’un des nombreux baroudeurs qui sont arrivés en un temps très court à hisser l’Armée de libération nationale au rang d’une institution organisée, disciplinée et possédant une percutante force de frappe. Edechra représente à travers la résistance livrée par sa population, dans une spontanéité face à laquelle le courage ressemblerait à une simple saute d’humeur, un concentré de sacrifice et de don de soi qui nous révèle sous les traits de Ogb Ellil, et tout au long de son action révolutionnaire, toute la détermination d’une élite militante déterminée à utiliser le seul langage que le colonialisme comprenait : la lutte armée. Ce livre nous invite à revisiter des évènements historiques de première importance durant lesquels Ogb Ellil joua un rôle extrêmement prépondérant dans la propagation des idées indépendantistes à travers la région de Sabra. Ancien membre de l’Organisation Spéciale, son engagement et sa profonde conviction patriotique étaient connus de tous les dirigeants à un tel point qu’ils n’avaient pas hésité à lui rendre visite dans son douar pour le solliciter à rejoindre la nouvelle organisation mise en place dans le cadre de la lutte armée. Larbi Ben M’hidi, premier responsable de la Révolution au niveau de l’Ouest, connu à l’époque sous le pseudonyme de Sadek, Abdelhafid Boussouf, son adjoint, accompagnés d’un groupe de précurseurs parmi lesquels Si Ahmed Bouzidi, Abdelkader Saïm, Bouzidi Belabbès et El Ahmed Wahrani se déplacèrent jusqu’à Edechra pour tenir une réunion capitale avec Ogb Ellil et à l’issue de laquelle ce dernier fut désigné chef du secteur 5, selon l’organisation en vigueur jusqu’au début de l’année 1957. L’auteur du livre relève ensuite un fait très significatif en soulignant que trois des sept secteurs formant la région de l’Ouest sont alors dirigés par Si Ahmed, Si Aïssa et Ogb Ellil, tous originaires du douar Edechra ; mieux encore, ils étaient aussi issus de la même famille ! En un temps très court, le cinquième secteur dirigé par Ogb Ellil a été transformé en un véritable quartier général supervisant une organisation militaire constituée de 8 groupes de 35 à 40 éléments placés sous l’autorité d’Ahmed El Wahrani dit Si Lakhdar, et une structure civile, une sorte de réserve constituée par des « moussabiline » menée par Slimani Mohamed. En plus, il a été procédé à la création d’un service spécialisé dans le renseignement et l’information commandé par Ben Abderrahmane Laïd surnommé Brixi par Ogb Ellil en personne, et une organisation de « fidayine » comprenant des dizaines de cellules installées dans la ville de Tlemcen. Avant de continuer ce récit, il est utile d’ouvrir une parenthèse pour mieux nous imprégner de l’état d’esprit de ce baroudeur à l’intelligence débordante qui ne laissait rien au hasard. En collant le nom de Brixi, un patronyme porté par une grande famille citadine de Tlemcen, au responsable des « fidayine », Ogb Ellil voulait surtout rappeler à l’occupant que toutes les catégories sociales, des paysans, des démunis et aussi citadins aisés, étaient engagées dans le combat pour la libération de l’Algérie. Dans sa quête d’une organisation parfaitement adaptée aux exigences de la lutte contre l’armée coloniale, Ogb Ellil ne s’est guère contenté des schémas classiques trop vulnérables à son avis et s’est appliqué ingénieusement à adapter son action aux conditions imposées par la réalité coloniale. Dès les premiers mois de l’année 1955, le secteur 5 de la région ouest qui contrôlait toute la zone allant de Sabra à El Bouihi dans la wilaya de Tlemcen se distinguait déjà par sa section de gendarmes chargée de la coordination entre les maquisards et la population civile autochtone, et sa section de commandos formée par des combattants aguerris qui ne quittaient pas leur chef d’un seul pas. Il s’employa par la suite à mettre en place de nombreux réseaux spécialisés dans la collecte d’information et la prise en charge du volet ravitaillement à l’intérieur de la ville de Tlemcen devenue en peu de temps une plaque tournante de l’insurrection nationale où des dizaines de groupes de « moussabiline » et de « fidayine » dont la plupart n’étaient pas encore connus de l’administration française ou étaient carrément considérés comme des individus acquis aux thèses colonialistes. C’était cela aussi le génie de Ogb Ellil pour qui toutes les cartes étaient jouables. Il suffisait d’y mettre toute la conviction. L’apport de ces contingents de civils qui constituaient en fait une réserve appelée à rejoindre le maquis si les circonstances venaient à l’exiger était énorme et extrêmement utile à la révolution naissante. Avec ses frères d’armes dont nous citons entre autres Si Ahmed El Bouzidi, Saïm Abdelkader, Si Benyahia El Bouzidi et Hamdaoui Mamoune, il a pu tout mettre en œuvre, grâce à un sens tactique et organisationnel sans pareil, pour obliger l’état-major de l’armée française à reconnaître implicitement le caractère global et irréversible de l’insurrection. Ce paysan, qui a grandi au sein d’une famille extrêmement dénuée, et dont la conscience s’est éveillée dans un contexte marqué par les effroyables conditions de vie des Algériens, n’a pas fait les grandes écoles et pourtant il a réussi à saisir en toute lucidité les véritables enjeux qui se dessinaient à l’horizon d’un siècle agité par un sursaut révolutionnaire planétaire. Dès son jeune âge, il s’engouffra dans le sillon creusé par l’association des oulémas algériens avant de rejoindre en 1948 l’Organisation Spéciale, la branche armée créée par le parti du peuple algérien. Entre 1952 et 1953, il s’éloigne peu à peu du Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD) secoué par une terrible crise en refusant de s’impliquer dans la campagne de dénigrement auquel faisait face Messali Hadj. Foncièrement convaincu de l’inaliénabilité de l’option armée, il s’est limité à observer les dégâts collatéraux et le déballage honteux des « sautes d’humeur » des uns et des autres. Le 15 octobre 1954, deux semaines exactement avant l’éclatement de l’insurrection nationale, il est convié à assister à une importante réunion qui a eu lieu dans la petite localité d’El Khemis, appelée aujourd’hui Beni Senous, sous l’autorité de Mohamed Larbi Ben M’hidi. Et c’est probablement lors de ce conclave que le militant Ogb Ellil a été instruit des détails concernant le début de l’action armée. Quelques semaines plus tard, il reçoit la visite du même Ben M’hidi accompagné par Boussouf dit Si Mabrouk qui le chargent de la responsabilité organique et militaire d’un territoire aussi vaste que la Belgique et la Hollande réunies. Organisateur émérite et fin tacticien, il a transformé la région de Tlemcen en un véritable champ de bataille et poussé l’armée coloniale à demander des renforts considérables en hommes et en matériel afin de faire face à ce héros dont la simple évocation du nom faisait trembler les paras français. En deux ans seulement, il a réussi à installer des positions stratégiques au cœur même du dispositif colonial démontrant ainsi par les faits la grossière manipulation menée par la presse française de l’époque. La guérilla déclenchée par les baroudeurs de Novembre n’avait rien à voir avec tout ce qu’on lisait dans L’écho d’Oran par exemple qui s’accrochait pathétiquement à une terminologie dépassée par le temps et les évènements. Les notions de « hors-la-loi », « rebelles » et « fellagas » étaient beaucoup plus destinées à la consommation des colons et de l’opinion publique hexagonale qu’à traduire, ne serait-ce qu’une partie de la réalité qui prévalait sur le terrain des combats. Conscient de l’importance capitale de la guerre médiatique, Ogb Ellil, aidé par ses hommes, a saisi l’occasion de la présence d’un journaliste égyptien pour transmettre à l’opinion publique arabe particulièrement les images infalsifiables d’une lutte légitime et d’un combat libérateur qui ne vont pas tarder à avoir un écho international retentissant malgré le forcing diplomatique français consistant à considérer les évènements d’Algérie comme une affaire interne franco-française. Cet homme sorti des « entrailles de l’Algérie algérienne », n’a nul besoin d’un encensement à titre posthume, car ses nombreux faits d’armes plaident pour lui et le hissent au-dessus des tiraillements et des conflits d’intérêts qui n’ont pas manqué de troubler certaines certitudes révolutionnaire. Dans le cadre des structures qui ont précédé la nouvelle organisation mise en place par l’ALN et le FLN, Ogb Ellil est arrivé jusqu’à infiltrer des casernes de l’armée de l’armée française en réussissant à mobiliser des Algériens portant l’uniforme colonial pour le compte de la Révolution. C’est ainsi qu’il organisa en novembre 1956 la « fuite » d’une grande quantité de munitions évaluée à quelque 25 quintaux vers le maquis, au nez et à la barbe de l’administration et des soldats français. L’opération a duré plusieurs semaines dans le secret le plus absolu grâce à un stratagème digne des grands films hollywoodiens. Les stocks de munitions sont transportés par un chauffeur issu d’une famille proche de l’administration coloniale et déposés secrètement dans un dépôt appartenant à un juif situé à deux pas du tribunal de la ville de Tlemcen. Durant la même année, il dirigea d’une main de maître une attaque contre un établissement administratif français à Sebdou à l’issue de laquelle le local fut incendié et d’importantes quantités d’armes et de moyens logistiques furent récupérés et mis à la disposition de l’ALN. La personne qui avait transporté les armes et les machines de tirage, un certain Mohamed Bendahmane, chauffeur du sous-préfet à l’époque, a utilisé le véhicule personnel de ce dernier pour acheminer le butin en prenant soin de brûler la voiture avant de rejoindre définitivement le maquis. Parmi les opérations militaires d’envergure conçues et dirigées par ce grand homme, nous citerons dans le désordre chronologique l’opération de Sidi Yahia, la bataille de Sad Enmer, qui avait vu la neutralisation d’une trentaine de soldats français et la récupération d’une grosse quantité d’armes et de munitions, l’offensive d’Oussar et l’attaque du train de Sabra. Dans son livre intitulé Guérilla sans visages, le moudjahid feu Abdelkrim Hassani a évoqué certains de ces évènements héroïques qui ont fini par inscrire en lettres de feu le nom de Ogb Ellil ou Si El Mokhtar parmi les hommes qui ont réussi à ébranler les fondements et les bases du système colonial. Aujourd’hui, 52 ans après son martyr, nous sommes plus que jamais interpelés à méditer sur sa vie et son sacrifice pour que vive l’Algérie, loin des interférences et des interprétations biaisées des différends qui l’ont opposé à certains prestigieux dirigeants de la Révolution. En ce qui concerne les générations actuelles, leur devoir est de s’inspirer de l’exemple de cet homme aux ressources illimitées qui a pratiquement gagné toutes les batailles qu’il a livrées face à une armée coloniale soutenue durant des années par l’OTAN. Même à 200 contre 4, il a été impossible aux généraux français de mettre la main sur lui ! En un mot, Ogb Ellil était un vrai phénomène en chair et en os qui a su élever la notion du sacrifice à un niveau presque « inhumain » si l’on tient compte de la courte période s’étalant entre 1954 et 1958 et durant laquelle il a déjoué tous les pièges semés sur son parcours avec un inégalable brio et un courage sans failles. Le sacrifice suprême de ce chahid ainsi que celui de 67 martyrs de sa famille constituent un patrimoine national qu’il est hors de question d’expédier en deux mots et trois phrases juste pour justifier une quelconque révision de la mémoire. Pour notre part, nous ne commettrons jamais l’indélicatesse de passer à côté de ce monument de la lutte de libération nationale sans nous mettre au garde-à-vous rien qu’à la simple évocation du « lion de Sabra ». Le reste, tout le reste n’est que littérature à travers laquelle chacun tisse sa vérité, n’importe quelle vérité, pourvu qu’elle le mène là où il a l’intention d’aller, quitte à inverser la réalité au cas où cela s’avérerait utile dans un monde où la manipulation des faits historiques à des desseins politiciens est devenue l’apanage exclusif des maquilleurs professionnels qui sévissent encore. La mémoire de Ogb Ellil demeurera vivace et continuera à éclairer la voie aux enfants d’une Algérie libre et éternelle comme l’a toujours rêvé cet homme d’envergure qui a côtoyé Ben M’hidi, Boussouf et Boumediene et qui a eu la franchise d’émettre des réserves à propos de certaines décisions sans jamais oser briser la discipline de fer qu’il s’est imposée.


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