Algérie

Le cartable-fardeau !


Le cartable-fardeau !
PUBLIÉ 05-09-2022 dans Le Soir d’Algérie

Par le Pr Baddari Kamel(*)
«Trouver des solutions immédiates à la souffrance des élèves due au poids du cartable» est l’une des principales instructions données par le président de la République, M. Abdelmadjid Tebboune, lors du Conseil des ministres du 12 septembre 2021 en vue d’assurer le bon déroulement de l’année scolaire, rappelée cette fois par le Conseil des ministres dans son communiqué du 28 août 2022, qui insiste sur la nécessité de «poursuivre les mesures d’allègement du cartable».
Chaque année, au moment de la rentrée scolaire, les écoliers, comme des «jeunes grimpeurs», partent à l'assaut des sommets du savoir. Cela vient du lot de millions d'écoliers qui vont en classe avec une charge bien trop lourde d’environ 6 à 9 kg sur les épaules. Avec des cartables à dos, qui semblent parfois plus grands que leurs propriétaires.
En plus des livres, leurs sacs à dos sont bourrés de cahiers, de papeterie, d'objets personnels, de jouets, d’eau, de nourriture, de kits d'art et de kits de sport. Peu de parents d'écoliers savent que le poids d'un sac à dos vide ne doit pas dépasser les 700 grammes. Et bien sûr, beaucoup de gens ignorent les exigences d'hygiène, et encore moins la norme du poids d'un sac à dos rempli qui leur permettrait, par la suite, de le comparer à celui du sac à dos de leur enfant. L'éducatrice américaine Jessie Hubbel Bancroft, dans son livre The Posture of School Children (1913), a écrit : «La posture est facilement gâchée par le transport de livres lourds. Le temps viendra où les tests de développement physique dépasseront en importance tous les autres tests éducatifs.» Si on observe l’état physique des enfants écoliers des cent dernières années, on remarquera que leur posture a bien été affectée. Ainsi, nombreux parmi eux présentent des défauts de posture détectés lors d'examens médicaux, et le nombre de maladies associées à la posture et au développement physique a considérablement augmenté. Bien entendu, il n'y a pas de recherche approfondie qui indique définitivement le poids idéal du sac d'école, car il est difficile de quantifier à quel niveau les dommages engendrés à la colonne vertébrale pourraient survenir. Cependant, les scientifiques recommandent que le poids maximum tolérable d’un cartable soit de 10% du poids corporel de l’enfant. En d'autres termes, si votre enfant pèse 40 kg, son sac à dos ne doit pas peser plus de 4 kg. Le poids maximal idéal du cartable va dépendre de plusieurs facteurs. Les plus importants sont : 1) le poids et la forme physique de l'enfant ; 2) le temps et la distance parcourus ; 3) la qualité du sac à dos. Il s’avère que dans nos écoles, le poids du cartable d'un élève du primaire est au moins trois fois supérieur à la norme. De plus, il pèse plus qu'un cartable d’un lycéen. Alors, combien est de trop quand il s'agit du poids d'un sac d'école ?
Constat
Porter un cartable est une routine pour la plupart des enfants. Cependant, le poids croissant du cartable et son effet sur la santé des écoliers suscitent d'intenses échanges entre les parents d'élèves, les enseignants et les professionnels de la santé. De ce fait, on met en évidence quelques constats qui s’accordent à juger la situation préoccupante du cartable scolaire. On citera, ainsi, outre les cartables des enfants déjà évoqués devenus trop lourds et, ipso facto, au-delà du ratio fixé par les médecins : les écoliers répartissent mal les fournitures dans leur cartable ; il y a plusieurs cahiers pour chaque matière ; les livres de cours et d’activités encombrent également bien l’espace. L’élève, qui ne sait toujours pas quand il faut apporter celui des cours ou des activités, préfère les mettre tous dans son cartable même s’ils ne sont parfois pas tous utilisés dans la même séance. Ajoutons à cela que l'enfant va, dans la majorité des cas, à l'école à pied, d'un quartier à l’autre et d’un étage à l’autre, le cartable pèse davantage lourd. Les enfants qui habitent loin de l'école, surtout à la campagne, se retrouvent également avec plusieurs livres et articles imposants à porter le même jour; la charge varie bien sûr en fonction de l’organisation de la journée de l’élève. Dans ce sens, il faut noter que les lycéens, plus âgés, sont plus organisés et échappent, d’une façon générale, au transport fastidieux de kilos de matériel scolaire.
Dans cette optique, une étude sur l’effet du poids du cartable sur l’enfant, réalisée en 2022 par le laboratoire de recherche en planification des ressources humaines et amélioration des performances de l’université de M’sila, a noté que plus de 88 % des enfants âgés de 7 à 13 ans portent plus de 30% de leur poids sur le dos, y compris des aliments divers, des bouteilles d'eau... Il est donc en moyenne trois fois plus élevé. Et l’on s'aperçoit également qu’avec la pandémie de covid-19, le cartable s'alourdit davantage par des désinfectants des mains. L’enquête a révélé que le fardeau le plus élevé des cartables se trouve dans les écoles privées aux cycles primaire et moyen. Le Pr Saïd Benyamina, directeur du laboratoire, fait l’inventaire du cartable d’un élève de 10 ans de cinquième : huit grands livres, dix cahiers, un paquet de feuilles, une trousse comportant deux stylos, une gomme, des ciseaux, une colle en bâton, une règle, une équerre, une ardoise, une brosse, une boîte de crayons de couleurs, un petit goûter... Des millions d’élèves subissent ce même régime. Le Pr Benyamina indique que le poids moyen d’un cartable a augmenté de plus de 55% en dix-huit ans (depuis 2004). Son enquête, in situ, indique que les mallettes des enfants sont si lourdes que les parents doivent porter à la place de leurs petits jusqu’à l’école, risquant ainsi un problème d’assiduité au niveau de leurs postes d’emploi. Le mobilier scolaire ne supporte pas non plus le poids des sacs à dos. Selon les récits des élèves, si vous accrochez un cartable au dossier d’une chaise, elle tombera. L’enquête a dénoté la diminution du rapport entre le poids moyen des cartables et le poids corporal moyen des élèves au CEM, et surtout au lycée.
À l’évidence, la progression dans le cursus scolaire permet de mieux maîtriser la gestion du cartable. Il est recommandé, in fine, d’éviter l’inflation liée au grand nombre de matières et de sujets dans les programmes scolaires pour redéfinir le bien-être et la réussite des écoliers, notamment au cours de l’enseignement obligatoire, avant seize ans où le corps est en pleine croissance.
Le poids excessif des cartables n’est pas sans incidence sur la santé des enfants à un âge où leur corps est en développement. Premièrement, comme les enfants n'ont pas développé leurs muscles abdominaux, ils se courbent souvent pour compenser le poids du sac, ce qui force leurs épaules. Cela provoque des douleurs et de la fatigue dans le dos, le cou ou les bras. De plus, ces changements de posture affecteront leurs hanches et leurs genoux car les enfants modifient leur démarche pour compenser le poids du sac. Deuxièmement, d’après certains médecins, à la suite de ces changements posturaux de la colonne vertébrale, des problèmes rachidiens peuvent se développer, entraînant des conditions telles que la scoliose et la cyphose (courbe excessive vers l'extérieur).
En 2008, le ministère de la Santé, de la Population et de la Réforme hospitalière avait lancé une campagne nationale de dépistage de la scoliose en milieu scolaire. Aussi, des actions sporadiques avaient été esquissées pour alléger le poids du cartable. En octobre 2010, le ministre de l’Éducation nationale avait affirmé, dans le cadre d’une rencontre d’évaluation de la rentrée scolaire 2010-2011, que les directeurs de l’éducation des wilayas étaient autonomes dans l’équipement des écoles de casiers pour les élèves afin de limiter le poids du cartable. En 2008, le ministère avait préconisé de doter toutes les classes de casiers vers 2010. A la veille de la rentrée scolaire 2018-2019, le ministère de l’Éducation a promulgué une circulaire concernant les trois cycles (primaire, moyen et secondaire) portant sur l’allègement du poids du cartable, ainsi que la réduction des coûts des articles scolaires et la rationalisation de leur utilisation (https://www.aps.dz/algerie/78070-education-allegement-du-poids-du-cartable-pour-les-eleves-du-primaire). Au-delà de ces mesures de bon sens, globalement l’action a sonné son échec, car les élèves continuent à aller en classe avec des sacs-fardeaux sur les bretelles. Au point que, aujourd’hui, l’ensemble des acteurs du système éducatif s’accordent à dire qu’il ne faut pas baisser les bras et ne jamais abandonner la recherche de la bonne réponse au cartable-fardeau. Dans les faits, en Algérie, il n'y a pas de loi dans le code de l’éducation interdisant le port de charge lourde par l’enfant; bien que certaines circulaires aient été émises par des autorités administratives et pédagogiques, elles ne sont pas de nature obligatoire.
Existe-t-il une solution ?
Le problème du poids des cartables se pose avec acuité dans de nombreux pays du monde. Taïwan a déjà créé une tablette PC de 10 pouces, qui pèse un peu plus d'un kilogramme pour soulager le cartable. De nombreux experts, et pas seulement à Taïwan, prédisent que ces appareils remplaceront progressivement les livres en papier. Leurs avantages ne résident pas tant dans leur faible poids, mais aussi dans le fait que leur passage créera un nouvel environnement d'apprentissage avec des possibilités incomparablement plus grandes.
La TCA Computer Association de Taïwan a créé un groupe, dont l'objectif est de promouvoir la distribution de cartables électroniques dans le pays et à l’étranger — des ordinateurs qui devraient combiner des manuels scolaires, des cahiers, des agendas et tout ce dont un élève a besoin pour étudier. Les autorités malaisiennes ont également annoncé leur intention de remplacer les manuels scolaires par des ordinateurs portables. Ils ont suggéré que les sociétés informatiques développent un ordinateur bon marché et pratiquement sans poids, ne coûtant pas plus de 50 dollars, que les élèves pourraient utiliser de l'école primaire au collège.
En Amérique, ils ont depuis longtemps trouvé une issue dans un double kit de formation. Dans les écoles, chacun se voit attribuer une boîte personnelle dans laquelle l'élève peut mettre tout ce qui est nécessaire dans la classe. Très pratique — un ensemble à la maison, un autre à l'école.
En Europe du Nord, les enfants allègent à leur manière le poids du portfolio en recevant des feuilles photocopiées du manuel du cours, qu’ils classent à la maison plus tard dans un classeur spécial. En Angleterre et à Singapour, le poids d'un manuel pour les classes 1 à 4 atteint 185-240 grammes, pour les classes 5 à 8 — 400 grammes, pour les classes 9 à 12 — 265 grammes.
En Algérie, depuis plusieurs années, le poids du cartable fait problème. Récemment, le secteur a lancé un projet-pilote consistant à fournir des tablettes aux élèves afin de promouvoir l'apprentissage numérique. Malgré toutes les initiatives, il reste que l’allègement du poids du cartable passerait par des actions structurelles top down. Premièrement, le problème du poids excessif des cartables doit être traité dans le cadre des objectifs généraux de l’éducation nationale comme un vrai sujet de santé publique. Deuxièmement, l’impression de manuels scolaires en plusieurs fascicules, et de cahiers moins épais avec du papier au grammage plus fin. Troisièmement, l’organisation des établissements scolaires, en relation avec les collectivités locales, pour la mise en place de casiers individuels à l’établissement et la fourniture d’un double jeu de livres qui reste dans l’école (cette organisation est coûteuse). Quatrièmement, la simplification, l’allégement et la structuration des programmes scolaires en fonction des besoins de l’élève et de la société. Cinquièmement, un partenariat efficace entre les écoles et les associations de parents d’élèves pour limiter les charges imposées aux écoliers. Sixièmement, l'utilisation massive des complexes numériques pédagogiques et méthodologiques modernes. Sans entrer ici dans le détail de la dernière piste, insistons que, sous brève échéance, on n’en est pas près du compte. Par ailleurs, toutes ces entrées sont perspicaces, mais aucune n'est suffisante. Elles doivent agir simultanément dans ce registre pour alléger le fardeau d’aujourd’hui.
Conclusion
Avec la rentrée scolaire, la question du poids du cartable s'est à nouveau posée : que faire pour que les enfants ne s'enlisent pas dans le fardeau de transporter des sacs lourds vers les écoles ? Depuis plusieurs années, la situation n’a pas évolué. C’est pourquoi, il est grand temps d’inviter les acteurs institutionnels de l’éducation, ainsi que les développeurs de matériel pédagogique, y compris les acteurs du numérique, à amorcer une réflexion générale autour de l’analyse des situations liées à l’aspect du cartable-fardeau et autour de lignes directrices pour agir collectivement de façon pragmatique et efficace afin de diviser le poids du cartable par deux ou trois.
K. B. 
(*) Professeur des universités. Université Mohamed-Boudiaf de M’sila.
Courriel : k.badari@mesrs.dz

BADDARI KAMELPUBLIÉ 05-09-2022

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