Algérie

Le c'ur et la raison dans un film désespérément masculin



Le c'ur et la raison dans un film désespérément masculin
La tension était palpable, l'inquiétude sur le visage moustachu de Hadjadj n'arrivait pas à se dissimuler sous la casquette blanche du réalisateur. C'est un peu normal ! Ce cinéaste chevronné présente en avant-première son film, « Fadhma N'Soumer » et le trac l'accompagne dans cette aventure filmique depuis plus de trois ans.Il faut dire que cette production initiée en haut lieu avait fait d'abord le tour de deux ou trois productions pour se retrouver enfin dans les mains de Belkacem Hadjadj qui en écrira le scénario en compagnie de Marcel Beaulieu sous le titre originel « Fadhma N'soumer, le burnous embrasé », s'ensuivront plusieurs versions montées et projections qui seront montrées à l'entourage, pour arriver à cette version finale, expurgée et allégée de quelques scènes inutiles. La production est signée AARC, (Agence Algérienne de Rayonnement Culturel ), Machahou Productions pour l'exécutif ainsi que le Centre National des Etudes et Recherches sur l'Histoire du Mouvement National et sur la Révolution du 1er Novembre 1954, le tout dans le cadre de la célébration du 50ème anniversaire de l'indépendance de l'Algérie. Dans cette épopée d'un lyrisme absolu, Belkacem Hadjadj plonge son inspiration dans la saga kabyle, où il affirme que cela a été difficile de convaincre les gens du ministère des Moudjahidine d'entamer cette épopée. Dès le début du film, la tonitruance du film saute aux yeux, rigoureux jusqu'au bout de l'objectif, « Fadhma N'soumer » est esthétiquement irréprochable. Nous sommes en pleine contrée kabyle, en 1849, cette terre demeure imprenable, la résistance farouche des Kabyles faisant la différence, la France quant à elle compte bien investir ces lieux, mais la résistance s'organise bien sûr. Dans cette agitation fondamentale, Fadhma, jeune fille énergique et perspicace grandit dans une famille maraboutique lettrée et puissante. La belle se sent à l'étroit dans son carcan de femme soumise, elle se refuse à un mariage imposé, se voit recluse dans le fond du jardin et finit « exilée » chez son frère Tahar qui la prendra sous son aile tutélaire. Belkacem Hadjadj dans l'esprit de « Amachahou » nous donne un peu le contexte ô combien machiste dans lequel se trouvent les dames kabyles du XIXe siècle. Les images sont très bien léchées, chiadées à souhait, notre ami sait y faire pour représenter par la grâce du directeur photo Yourgos Arvanitis, très ami avec Théo Angelopoulos des tableaux à la Delacroix, la magie des prises de vues et des étalonnages laisse une belle impression générale. Nous voici donc en face d'un écran géant à voir l'émergence d'une rebelle ultime qui va diriger son peuple vers la lutte. Elle investira les confréries traditionnellement masculines pour imposer son bagout et le diriger vers la protection de sa terre natale. Belkacem Hadjadj, maître des céans filmiques, se laisse aller à extirper des pans de légendes pour intégrer le monde de la réalité historique, on ne sait point par quel miracle maraboutique ou scénaristique, la belle Fadhma incarnée par la magistrale et hiératique Laëtitia Eido arrivera à convaincre une assemblée de conservateurs marabouts de ne laisser qu'une seule fois la chance de faire entendre sa voix ! La légende étant, elle le fera pourtant. C'est ensuite une saga toute en éléments symboliques savament distillés le long du film où le réalisateur dans son désir de bien faire voudra tout dire dans son ?uvre. Il arrive que cela tombe à plat tant certains décors laissent le vide des camps français qui avaient mis les moyens pour coloniser le cru kabyle par exemple apparaître dans un manque flagrant d'investissements. Certains intérieurs surtout ceux des « collaborateurs » traîtres zélés kabyles sont un peu théâtraux et laissent peu crédibles les scènes d'incendies et de destructions. Mais qu'à cela ne tienne, Belkacem Hadjadj, alchimiste des scènes extérieures, arrive à faire de la région de Bouzeguène un amphithéâtre un peu gréco-romain pour installer sa « tragédie » grecque dans un contexte méditerranéen où Fadhma prendra surtout les atours d'une vierge Marie plus crédible que Fadhma elle-même, qui d'ailleurs était en réalité bien plus rondouillette et féminine. De cet aspect hiératique à plus d'un titre, nous retiendrons de ce superbe numéro d'actrice une présence formidable qui se plaira à nous inscrire dans l'imaginaire collectif kabyle et d'intégrer la légende faute de véritables informations historiques difficiles certes d'accès. Dans ce film d'action très bien mené, les acteurs se succèdent, les héros et les batailles aussi. On est conquis par le numéro d'acteur du trop beau et très viril Assâd Bouab, qu'on est allé chercher au Maroc pour incarner le très charismatique Boubaghla qui se croyait à l'épreuve des balles et invincible par l'entremise surtout des croyances et supersitions du coin. Bien lui en fasse malgré tout, il prendra le ton et sera le véritable héros du film, traitant du fil de son épée tous ceux qui sont sur son passage d'infidèles à la cause. Encore une fois, quel lien et quelle secrète arcane a fait de ce personnage venu de nulle part dans le film, un héros qui avait supplanté le très efficace Moulay Brahim bien porté par l'acteur Menad Embarek dans cette lutte féroce contre l'occupant et aussi contre la traîtrise dont les raisons ne sont pas saisies dans le film. Le tout est donc limité à une histoire d'amour « platonique » avec quelques sous-entendus superbement filmés par Hadjadj, un sens de la poésie et de l'évocation qui apparaissent grandement à l'écran. Ce réalisateur avait voulu nous emmener dans les délicats méandres d'une histoire magnifique dont le héros serait une femme. Celle-ci prendra les attributs de la lutte, mais seulement à la mort de son postulant amoureux, éconduit en quelque sorte par une loi de la tradition cristallisée dans la rancune. Il en souffrira et des morts s'ensuivront, la frénésie de la libido frustrée et fruste passant par là avec une défrocation en règle de la belle qui reprendra symboliquement le «Talisman» à son héros d'un jour. Fadhma reprendra son allant vers la raison, on est en face de très belles images symboliques de batailles, de tableaux aux allures fantomatiques, d'images bienveillantes du jeune qui meurt pour protéger Boubaghla, de la très sympatique Ninouche, figure de la s?ur bénéfique incarnée par Malha Mameri, et de son héros Rabah joué par Ahcène Kherrat. Et le frère Tahar, marabout de son état, taleb de par sa fonction, il fera de sa s?ur, un élément à part entière dans ce microcosme montagneux partagé entre lutte armée vers l'ennemi extérieur, mais aussi contre l'ennemi intérieur ancré dans le ciment létal de la tradition. Et dans le brouillard d'un scénario inconsistant et vu avec la pensée contemporaine, Ali Amran, dans son aleter ego Azar, est l'esprit du fil, il en sera l'ombre fantomatique qui incarnera l'esprit, il est l'essence de ce film sur des chants venus du ciel tutoyer la terre kabyle, il donnera par excellence l'image la plus forte de ce qu'est la magie de cette terre immense par son histoire. Le tout dans un maelstrom d'images et de son dont la musique de Safy Boutella sera un plus indéniable au point que l'on peut écouter seulement la mélodie et avoir une idée de la scène en cours. Belkacem Hadjadj a su s'entourer d'une très bonne équipe de comédiens et de techniciens, on notera l'excellent travail sur les dialogues en tamazight de Mohamed Benhamadouche qui a coaché les comédiens, et un montage tout en efficacité d'Isabelle Devinck, les costumes de Brigitte Bourneuf et le son de Philippe Grivel et Dominique Vieillard, et des maquillages de Charlotte Lequeux, avec aussi à la distribution Ahmed Benaïssa, Farid Cherchari, Saïd Bensalma et beaucoup d'autres sur les immensités de cette épopée lyrique à plus d'un titre. Le réalisateur l'a voulu comme historique, nous sommes devant un bon film d'action aux allures de fresques hollywoodiennes juste efficaces, sans plus. « Fadhma N 'soumer » a été voulu et pensé comme un récapitulatif de l'époque, pour illustrer la lutte d'une femme pour sa terre, il ne sera qu'un hommage, viril, tristement masculin, d'un homme épris d'une femme. En quelque sorte l'incarnation de cette lutte féroce entre...Eros et Thanatos.




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